Trésors wallons : Les grottes de Remouchamps, la merveille des merveilles
Cette extraordinaire beauté naturelle, classée comme site depuis 1941, est inscrite sur la liste du patrimoine exceptionnel de Wallonie.
- Publié le 05-03-2023 à 17h55
- Mis à jour le 05-03-2023 à 18h06
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Par Florence Pirard / Photos Guy Focant
Intégrée à la commune d’Aywaille, le village de Remouchamps se situe au bord de l’Amblève, que cinq ponts (quatre ponts routiers et un pont de chemin de fer) franchissent en moins de 1 500m. Le village se trouve en dessous de l’autoroute du Soleil et à deux kilomètres du centre d’Aywaille.
Bourgade paisible, Remouchamps a traversé les siècles sans se faire remarquer, si ce n’est à la fin de l’Ancien Régime. En effet, en 1794, c’est sur ses hauteurs, sur la Heid des Gattes, qu’eut lieu la fameuse bataille de Sprimont, qui vit les armées françaises rejeter définitivement les Autrichiens vers le Rhin. Une des difficultés principales de Liège-Bastogne-Liège, la côte de la Redoute, évoque le souvenir d’un lieu de cette bataille.
Les grottes sont situées sur la rive droite (nord) de l’Amblève. L’entrée se trouve dans la localité même de Sougné-Remouchamps, à une centaine de mètres de l’Amblève et quelques mètres plus haut que le niveau de cette rivière. Les grottes sont creusées dans des calcaires d’âge frasnien (370millions d’années) disposés en couches d’orientation générale nord-sud, avec une pente modérée vers l’ouest, tout en dessinant dans le détail une série de petits plis. De Louveigné (à 6km au nord) à Remouchamps, ces couches frasniennes appartiennent à une zone calcaire large de quelque 600m. Tous les petits cours d’eau qui arrivent dans cette zone en descendant soit de l’est (région ardennaise), soit de l’ouest (région condruzienne) y disparaissent dans une dizaine de chantoirs. La zone calcaire est ainsi occupée par une vallée sèche, qui porte d’ailleurs le nom évocateur de vallon des Chantoirs et dans laquelle se trouve le village de Sècheval. Ces eaux d’infiltration traversent les roches calcaires et finissent par se rassembler en une rivière souterraine, appelée le Rubicon.

Orientées en gros du sud au nord, les grottes s’enfoncent dans le massif calcaire jusqu’à un point terminal situé, en ligne droite, à 500m de l’entrée. Elles comportent de nombreuses sinuosités, salles et galeries secondaires réparties sur deux niveaux, de sorte que la longueur totale des galeries est de l’ordre de 3 500m. La disposition géométrique de ces diverses irrégularités s’explique par la structure géologique des couches calcaires: pente de stratification, plis, joints (diaclases) et petites failles qui ont contribué à orienter le passage de l’eau et la corrosion des roches. L’étage supérieur, maintenant déserté par les eaux, est situé à une dizaine de mètres au-dessus de la rivière souterraine actuelle. Il représente un ancien cours du Rubicon, datant de l’époque où l’Amblève coulait dix mètres plus haut qu’actuellement. Un des intérêts touristiques des grottes est d’ailleurs le parcours en barque de 600m sur cette rivière souterraine, dans une galerie spacieuse creusée et sculptée par la rivière.

Les concrétions des grottes sont abondantes, variées et, en certains endroits, très développées. Cependant, ces dernières années, l’intensité de l’éclairage et sa trop longue durée a entraîné une prolifération de mousses et d’algues qu’il est urgent d’arrêter. Malgré cette couverture végétale, la beauté, la forme et l’importance des concrétions, dont beaucoup sont encore en croissance, sont spectaculaires. Plusieurs d’entre elles ont été datées ; la plupart se sont développées uniquement au cours des périodes froides. À titre d’exemple, une concrétion haute de 4m et d’un diamètre d’un mètre à la base s’est formée en 31 000ans entre 126 000 et 95 000 avant notre ère, à la vitesse moyenne de 1,3cm par siècle.
La très longue cavité qui constitue les grottes de Remouchamps fut explorée dès le XVIIIesiècle et constituait déjà un lieu de promenade apprécié des touristes en cure à Spa. Les premières fouilles furent entreprises au tout début de la recherche préhistorique, dans les années1820, par Philippe-Charles Schmerling, puis reprises par les Musées royaux d’art et d’histoire en 1902, et enfin par une équipe liégeoise de 1968 à 1980.

La salle d’entrée, vaste et bien éclairée, contenait d’abondants vestiges laissés par les derniers peuples chasseurs des temps glaciaires durant la phase climatique rigoureuse dite DryasIII, au cours du neuvième millénaire avant notre ère (une date radiocarbone de 8 430 avant JC fut obtenue pour cette installation).
Les outils de pierre sont de petites dimensions, réalisés sur des lamelles en silex et dominés par des pointes destinées à armer des traits légers. Ces caractères semblent correspondre à l’usage de l’arc de chasse. Les proies principales, attestées par les nombreux ossements abandonnés sur place, étaient en majorité des rennes, animal typiquement adapté à cet environnement froid et sec. Un outillage domestique abondant traduit aussi des activités artisanales telles que le travail de la peau et des ossements. Enfin, signes symboliques ou religieux, de nombreuses coquilles fossiles sont assemblées en amas correspondant apparemment à des contenus de sacs ou de poches.
Divers ossements portent des signes gravés dont l’agencement est manifestement intentionnel et rythmé. Des groupes de ponctuations organisées par cinq sur une esquille osseuse ont été découverts au début du siècle. Une lame osseuse, trouvée en 1970, porte des incisions rectilignes, d’organisation très complexe. Elle présente des associations numériques dont le chiffre cinq semble former la base. Un reflet de considérations intellectuelles ou rituelles remontant à des périodes très anciennes nous est ainsi restitué.

Philippe-Charles Schmerling a démontré l’impensable
En ce début de XIXesiècle, un grand pionnier de la Préhistoire s’apprête à démontrer l’impensable. En septembre 1829, pelle et pioche au poing, un homme pénètre dans une grotte du petit village mosan de Chokier (Flémalle-Liège) avec une seule idée en tête: fouiller pour trouver des animaux fossiles et comprendre le mystère de leur origine.
Quelques mois plus tard, lors de l’hiver1829-1830, dans la grotte du Trou Caheur, située dans un vallon escarpé séparant les communes d’Engis et de Flémalle, Philippe-Charles Schmerling (1790-1836) met au jour deux crânes humains entourés d’ossements d’animaux disparus, mélangés à des silex et ossements travaillés par la main de l’homme. En 1833, après avoir investigué une soixantaine de grottes de la région liégeoise, Schmerling publie la première monographie associant paléontologie animale, paléontologie humaine, archéologie préhistorique et paléopathologie. Il y traite ses données et confronte ses observations et ses idées innovantes à celles publiées par une poignée de chercheurs allemands, français et anglais. Il prouve en ce début du XIXesiècle l’inimaginable pour cette époque: il existait des hommes fossiles et une « humanité » avant la nôtre, avant le Déluge. Il conclut: « Tout ce que nous venons de dire sur ces restes dus à la main de l’homme, et tout ce que nous avons dit sur les ossements humains, est exact et sans réplique. Le temps seul, au reste, décidera jusqu’à quel point nous avons eu raison de nous exprimer d’une manière aussi catégorique, et aucun géologue éclairé ne voudrait soutenir aujourd’hui que l’homme n’existait point à l’époque où nos cavernes ont été comblées du limon et des fossiles qu’elles recèlent. »
L’acceptation collégiale par les milieux scientifiques de l’existence de l’homme fossile n’adviendra qu’une trentaine d’années plus tard. Grâce aux recherches et aux découvertes de Schmerling, la Wallonie peut être considérée comme le berceau des recherches préhistoriques.

Organisez votre visite
Sur le plan touristique, Aywaille offre un éventail très large de possibilités de découvrir des sites naturels grâce à de nombreux parcours de promenades et circuits VTT ou équestres traversant des paysages magnifiques. La visite des grottes de Remouchamps commence par une promenade de plus d’un kilomètre à travers un décor féerique. La suite de la visite se fait en barque pour ce qui est de la plus longue navigation souterraine du monde ! Sous la conduite d’un guide, vous profiterez d’un spectacle fabuleux.
INFOS
Rue de Louveigné3
4920 Remouchamps
04 360 90 70 – info@lesgrottes.be
Durée de la visite: 1 h 15. Ouvert tous les jours dès 9 h 30.