Jean Paul Gaultier sonne-t-il le glas de la Haute Couture ?
On s'en doutait. Pour ceux qui ont vu sa comédie musicale aux Folies Bergère "The Fashion Freak Show" qui a triomphé pendant six mois à Paris en 2018, il était clair que Jean-Paul Gaultier, créateur protéiforme, avait d'autres choses à nous montrer que des défilés de mode.
- Publié le 19-01-2020 à 15h35
- Mis à jour le 19-01-2020 à 15h41
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On s’en doutait. Pour ceux qui ont vu sa comédie musicale aux Folies Bergère The Fashion Freak Show qui a triomphé pendant six mois à Paris en 2018, il était clair que Jean-Paul Gaultier, créateur protéiforme, avait d’autres choses à nous montrer que des défilés de mode.
Jean-Paul Gaultier avait arrêté le prêt à porter en 2015, squeezé par un tempo infernal. C’est simple, à lui seul, il concevait et gérait une quinzaine de collections par an. Et se plaignait de ne plus avoir le temps de trouver des idées, plus le temps de se renouveler, bref, de réfléchir. Le marketing a pris le pas sur la création, on le sait, il faut vendre toujours plus, ça n’est jamais assez et… aux créateurs de s’adapter, l’oeil rivé sur les pièces, les tendances qui ont «bien marché». Et si ces nouvelles règles rentabilistes ne leur conviennent pas, à eux d’en tirer les conséquences, comme Raf Simons, par exemple qui, au bout de trois ans seulement, quittait la direction artistique de Dior. Il a eu raison. Comment rendre précieux un label si prestigieux s’il faut en bombarder la clientèle à jets continus ?
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Gaultier a un flair infaillible

Jean-Paul Gaultier l’a très bien compris. Cet homme brillant, très lucide sur son époque depuis qu’il a commencé à travailler avait déjà flairé pas mal de transformations. Les nouvelles beautés, – celles des «gueules», des séniors, des «caractères», de Rossy de Palma à Beth Dito -, la fin des conventions sexuées – avec les hommes en jupe, le maquillage pour messieurs -. Sa profusion créative l’a fait entrer au musée depuis longtemps, et on visite ses expos comme des témoignages de notre enfance, de notre adolescence, de nos jeunesses et de notre maturité. Quand il a arrêté le prêt-à-porter, il nous a rassurés : il continuerait de «s’amuser» avec la haute-couture ! À 5000 ou 10 000 euros le modèle qu’on n’est pas sûr de vendre, ça fait cher la distraction. Car là aussi, il faut s’interroger: la Haute Couture est-elle encore adaptée à notre monde ?
La Haute Couture est-elle encore adaptée à notre monde ?
Si on la considère comme de l’art, oui, pourquoi pas. Une pièce unique comme une toile de maître. Dans ce cas, le secteur doit repenser ses présentations. En faire des évènements particuliers, avec des tournées, des expos itinérantes, et des cotes du marché rendues par des experts spécialistes.
S’habiller… ou pas

Mais si la Haute-Couture est un artisanat qui sert à habiller les femmes, eh bien non, la Haute-Couture n'est plus… à la mode. Bien sûr qu'on peut avoir du plaisir à s'offrir une robe de mariée, une tenue de soirée, de cocktail, un magnifique tailleur «couture» pour une occasion particulière. Mais les «occasions particulières» se font rares ; c'est un lieu-commun de dire que on ne s'habille plus pour aller à l'Opéra (au théâtre, au concert, aux vernissages…), il suffit d'ouvrir les yeux. Pierre Bergé, patron de Yves Saint Laurent l'a déploré pendant des années : «Regardez la rue à Paris ! Les femmes ne s'habillent pas, ou s'habillent mal !» Être habillée, c'est quoi, aujourd'hui ? Gaultier le formule autrement en disant que «aujourd'hui on peut s'habiller très bien pour pas cher.» Mais ce «pas cher» n'est pas son métier.
C’est le «style» qui compte
Paradoxalement, au moment où le fonctionnement de la filière textile, le prêt-à-porter, la haute-couture sont remis en question, le look n’a jamais été aussi important. Pour un job, pour un flash télé, pour un selfie, on est commenté, classé, éliminé ou accepté. Jamais les «codes» vestimentaires n’ont été aussi pointus. La barbe du hipster, la forme du talon de la botte, la couleur de la surpiqûre, la mèche de cheveu, la bonne ou la mauvaise nuance de blanc ou de noir ! Pour un observateur averti, autant que pour un observateur inconscient, tout a une signification. Votre allure parle pour vous. Mais ça n’est plus parce que vous arborez une marque ou un logo que vous êtes applaudi. Rien de plus ringard-minable. C’est votre «style», singulier, inventif, débrouillard qui vous (nous) situe. D’ailleurs Gaultier, comme le regretté Alaïa ou le vieux Pierre Cardin prennent un plaisir fou à repérer les inventions vestimentaires des petits budgets.
Justement, la tendance à la dé-consommation et la montée en puissance des sites de revente oeuvrent pour nous. Oui, on a trop de fringues, oui, le jean-denim pollue, oui le made in China, Bangladesh… met l’Europe au chômage. Alors rien de plus dé-culpabilisant que d’acheter en fripes, dépôt-vente, sur Vinted ou sur Vestiaire Collective. Cela, Gaultier le sait aussi. Il a dû remarquer que ses fameuses vestes si bien construites, ses t-shirts en résille imprimée circulent énormément sur ces sites. Comme Dior, Chanel, Lanvin, Galliano, Dolce Gabbana, son nom est devenu une référence historique. Les acheteuses, les acheteurs s’éduquent peu à peu à reconnaître une coupe, une matière première. Mais ce ne sont pas ceux qui ont les moyens de s’habiller couture.
Gaultier a raison de quitter les podiums

Voilà pourquoi Jean-Paul Gaultier a raison de quitter les podiums… pour monter sur scène ! Après son Fashion Freak Show si foisonnant, il est évident que l’auteur a d’autres idées en tête. Dans la narration de sa vie (le thème de ce show), il y avait une centaine d’idées en germe qui ne demandent qu’à être développées. Sans parler des costumes délirants, des pièces de collection réellement haute-couture autrement plus folles qu’un fourreau en soie pour PDGère.

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En vérité, Gaultier préparait sa transition. Son Fashion Freak Show a été l’avant-goût de sa nouvelle vie. Et désormais, aller voir ses prochains spectacles coûtera moins cher que s’offrir une de ses vestes griffées haute-couture.
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