Summer of Love : 50 ans de liberté et de style à San Francisco

Les rêves de jeunesse sont éternels. A San Francisco, l’été 1967 a vu naître la contre-culture hippie et nous a débarrassés des carcans du costume à la papa.

La Rédaction
Charlotte Leloup
Le M. H. De Young Museum, musée des Beaux-Arts, à San Francisco.
Le M. H. De Young Museum, musée des Beaux-Arts, à San Francisco.

Les rêves de jeunesse sont éternels. À San Francisco, l’été 1967 a vu naître la contre-culture hippie et nous a débarrassés des carcans du costume à la papa.

Deux rues, Haight et Ashbury, ont suffi à changer l'été 1967. À leur intersection, plus de 100000 jeunes se donnent rendez-vous pour «changer le monde» et prôner la contre-culture du flower power. Un petit carrefour devenu l'épicentre d'un phénomène. Cinquante ans après, l'âme des hippies règne sur San Francisco, entre mythe, rêve et nostalgie.

Cet été-là, pour célébrer l'amour, ils sont venus pieds nus, des fleurs dans les cheveux, jeans troués, robes à motifs colorés et lunettes à montures métalliques… Certains ont à peine 18ans mais tous ont débarqué les poches vides car à Haight-Ashbury on ne vit que de paix et d'amour, de musique, de sexe et de drogue. Les grands rassemblements dans le Golden Gate Park rythment ce moment libéré où l'on dort et mange en communauté, où l'on aime, danse, médite et prône un idéal sur des accents de pop music et d'improvisation.

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Sur la pelouse du Speedway Meadows du Golden Gate Park, plus de 2000personnes sont venues écouter les Charlatans, The Grateful Dead, Big Brother lors d'un concert gratuit. Sur les visages, on peint des étoiles et des fleurs, les garçons se laissent pousser la barbe et les cheveux et rien n'entrave la poitrine des filles. Ces jeunes hippies (« hip » signifie initié) militent contre la guerre du Vietnam et refusent la société consumériste. Joel Selvin, enfant dans les années1960 et journaliste musical à San Francisco, explique: « Les hippies ont réveillé des valeurs qui, jusqu'ici, n'avaient jamais été soulevées, comme la politique ou la religion. Ils voulaient tout reconstruire, à l'opposé de leurs parents qui, dans l'après-guerre, avaient consacré leur vie à assurer leur sécurité matérielle». Pour eux, quand le pouvoir de l'amour surpassera l'amour du pouvoir, le monde connaîtra la paix selon Jimi Hendrix. Seul San Francisco pouvait cristalliser les aspirations de cette génération, emboîtant le pas à la Beat Generation et à ses poètes, Jack Kerouac, Allen Ginsberg…

Aujourd’hui, le quartier Haight-Ashbury cultive l’esprit hippie, entre épiceries bio et boutiques de souvenirs. © DR
Aujourd’hui, le quartier Haight-Ashbury cultive l’esprit hippie, entre épiceries bio et boutiques de souvenirs. © DR

En 1848, des milliers d'hommes venus du monde entier se sont installés à San Francisco après la découverte par un charpentier d'une pépite d'or dans un cours d'eau. Cette ruée vers l'or a fait bondir la population de 500 à 50000personnes en deux ans, rebaptisant dans la foulée la baie «Golden Gate» (porte dorée). « Tout le monde pouvait devenir riche, il n'y avait pas de classes et la terre appartenait à tous. Des années plus tard, les hippies porteront le fameux jeans qui, jadis, servait de bleu de travail à ces chercheurs d'or », explique Joel Selvin.

L’été 1967 est débridé

Sur les trottoirs de Haight-Ashbury, on dessine à la craie des graffitis psychédéliques sous les yeux des policiers, on danse et on s'embrasse au milieu des rues, on embarque dans des bus scolaires multicolores relookés sur les musiques de Simon and Garfunkel, Bob Dylan ou des Beatles. Le business des maisons de disques et des labels est banni. Au marketing on préfère les belles affiches et les journaux comme « The Oracle » de San Francisco, créé par Allen Cohen. Ses dessins arc-en-ciel, ses poèmes et ses articles où l'on se réjouit de l'arrivée de la pilule en font le magazine le plus lu. Pour Ann Cohen, la veuve d'Allen Cohen, « "The Oracle" résumait tous les idéaux. Il fallait être différent. Quand on a été hippie, on le reste pour toujours… Allen et moi avons vécu toute notre vie avec cette envie absolue de vouloir changer le monde ».

À Haight-Ashbury, les étals de fruits et légumes bio côtoient les magasins de tatouages, de fripes hippies

C'est Allen Cohen qui fut à l'origine du Human Be-In, le rassemblement mythique qui donna le coup d'envoi du Summer of Love dès janvier 1967. Ce jour-là, dans un parfum d'encens, une marée humaine débarque sur le terrain de polo à l'ouest du Golden Gate Park. Sur scène, malgré quelques coupures de courant, Jefferson Airplane, The Grateful Dead, Quicksilver Messenger Service mettent la foule en délire, tandis que Timothy Leary rend célèbre son slogan « Turn on, tune in, drop out » (s'ouvrir, s'harmoniser, se détacher). Le son et les regards sont désormais psychédéliques, à l'image du message caché de la chanson « Lucy in the Sky with Diamonds », dont les initiales signifient LSD. Paul McCartney déclarera : « Si on faisait prendre du LSD aux hommes politiques, la paix aurait enfin une chance de régner sur le monde ! » Le Summer of Love a débuté lorsque cette drogue est devenue accessible. Le LSD, la marijuana et les psychotropes marqueront aussi la fin du pouvoir des fleurs.

Printemps-été 2017 Les fleurs reprennent le pouvoir et inspirent les couturiers. Les maisons Alexander McQueen (à d.) et Chloé célèbrent les 50 ans du Summer of Love. © DR
Printemps-été 2017 Les fleurs reprennent le pouvoir et inspirent les couturiers. Les maisons Alexander McQueen (à d.) et Chloé célèbrent les 50 ans du Summer of Love. © DR

Dès 1965, quand il est encore légal, les jeunes pratiquent des « acid tests » dans les sous-sols des fameuses maisons victoriennes de Haight-Ashbury. Ces « Painted Ladies », aux perrons imposants et aux moulures aux tons pastel, ont vu naître les premiers hippies : des étudiants des universités de San Francisco State ou de Berkeley. À l’époque, ils louaient, pour un prix dérisoire, des chambres dans ces maisons reliées à l’université par le bus22. Le soir et les week-ends, on se réunit, on conteste et on expérimente jusqu’à l’officialisation de ces pratiques avec l’ouverture d’une boutique à Haight-Ashbury: la Psychedelic Shop, où l’on trouve du papier pour fumer de l’herbe et des livres sur la drogue. Cet été 1967, Janis Joplin – la hippie chic aux colliers de perles – improvisera des jam sessions dans ces mêmes sous-sols des maisons victoriennes. Et la militante Joan Baez chantera « Farewell, Angelina ».

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Aujourd’hui, les passionnés et les vacanciers se pressent devant la « Dead House » du 710 Ashbury pour prendre en photo la maison des Grateful Dead, ou devant celle des Jefferson Airplane, au 2400 Fulton Street. À Haight-Ashbury, les étals de fruits et légumes bio côtoient les magasins de tatouages, de fripes hippies et de petites figurines de Ganesh. Sur les façades, des immenses graffitis de Bob Marley ou de Jimi Hendrix évoquent les couleurs arc-en-ciel, et le grand disquaire Amoeba rappelle qu’ici fut le royaume de la musique.

À la fin de l'été 1967, Haight-Ashbury perd son innocence, et le paradis de la paix se transforme en supermarché de la drogue. Les trottoirs sont envahis de mendiants et de toxicos… La violence croissante et la fermeture de la Psychedelic Shop marquent la fin du mouvement. Le 6octobre, le gouverneur de Californie, Ronald Reagan, interdit le LSD. Des centaines de jeunes entament une longue procession, bougies à la main et cercueils sur les épaules, pour déclarer la mort du mouvement hippie. « Ne pleurez-pas », « Organisez-vous » scandent des pancartes…

« Ce mouvement, à la fois social, politique et artistique, c'était tout et rien… Comme tous les mouvements utopiques, il était voué à l'échec. Mais il demeure un archétype américain, comme les cow-boys et les Indiens. Danser dans un parc pieds nus, porter des vêtements arc-en-ciel, cela évoque l'Amérique partout dans le monde. Aujourd'hui, on pratique le yoga même dans les petites villes de l'Illinois, c'est l'héritage des hippies car, avant eux, le mysticisme n'avait pas de place », explique Joel Selvin.

Doit-on aussi aux hippies la ville verte de San Francisco qui prône le bio et les circuits courts ? Pour Ann Cohen, c'est une évidence. « Le message est plus que jamais présent : sois en harmonie avec ton corps et ta tête, lâche le béton et ancre-toi dans la terre. Cela passe par la nourriture. Nous sommes dans un moment charnière, les gens souffrent car la terre souffre. Les hippies n'ont pas totalement réussi, j'espère que la génération actuelle reprendra le flambeau ! »

Une chose est sûre : pour célébrer les 50 ans des amoureux des fleurs, San Francisco a sorti le grand jeu. Au volant de son bus bariolé, Allison compte bien remonter le temps. Cette trentenaire aux lunettes en forme de cœurs et aux cheveux longs est fan des hippies. Dans son bus résonne la chanson « San Francisco » de Scott McKenzie, qui tournait déjà en boucle sur les radios de l'été 1967… « If you're going to San Francisco / Be sure to wear some flowers in your hair ». Si tu vas à San Francisco, assure-toi d'avoir quelques fleurs dans tes cheveux…

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