Bernard Depoorter : le couturier belge à l'assaut de Paris

Le couturier belge à l'assaut de Paris

Paris Match Belgique
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Le jeune créateur wavrien, amateur d’Hitchcock et de gothique a présenté sa collection à Paris, en prélude à la Fashion Week. Parmi le public, Line Renaud, marraine de l’événement. Également présentes, dans le désordre, Clara Morgane, Jeanne Mas, la comédienne Armelle, Gabrielle Lazure, la princesse Anne de Bourbon-Siciles, Maryvonne Pinault, l’épouse de François Pinault, Pdg de Kering, Sylvie Rousseau de Dior (LVMH)…

Rue de Surène, Paris huitième. Sous les lambris à la feuille d’or la voix d’Alfred Hitchcock résonne. Nous sommes dans la résidence de l’ambassadeur de Belgique, Vincent Mertens de Wilmars. Alignés sur des chaises de velours, les invités s’éventent avec le programme. La température est tropicale.

En fond sonore, la musique des «Oiseaux», de Hitchcock toujours, sera précédée par quelques passages techno. Bernard Depoorter aime les contrastes. En présentant sa collection à Paris, dans un lieu à la fois prestigieux et feutré, il reste fidèle à ses principes: proximité, convivialité, chaleur d'un autre temps et références historiques. Le trentenaire a le goût du patrimoine. Il aime les années 50 et ses héroïnes aux chignons ajustés, à la taille marquée.

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Ses mannequins, visages de poupées de cire au sourire franc, portent des robes travaillées, des tailleurs à la Dior, structurés et féminins à mort – veste aux épaules charpentées, manches coquillées, tailleur à mi-mollet, taille étranglée. Ces ensembles automnaux font briller les yeux des dames malgré la canicule. Il y a du noir, de l’anthracite, du champagne aussi pour une robe de mariée, voilée de long et éminemment sexy, et puis une robe bustier en cuir noir à la ligne décollée. Il y a aussi ces plumes de jais qui sont sa signature et ces «reflets cendre de lune», trois mois de broderie, qui reproduit les reflets de l’astre mort sur un lac bleu glacier.

Vingt minutes pour convaincre

Les modèles Depoorter portent le chignon bas dans la nuque, un rien ébouriffé. Elles ont une frange parfois, et les yeux ornés d'un trait d'eye liner épais. «Je veux des yeux de biche, très marqués, des faux-cils relief 3 D, des chignons défaits» nous avait prévenu le créateur.

Gloire de l'artisanat, fierté du travail bien fait, attention à la clientèle, il y a dans ces salons des effluves de parfum, comme dans les années 50. C'est exactement ce que voulait le couturier, inspiré par Tippi Hedren, Kim Novak, Grace Kelly, Marlene Dietrich… Il voulait «sentir les froissements de la soie, permettre aux invitées de prendre l'ourlet, de saisir la matière, comme dans le temps». «C'est important d'avoir pour cadre un hôtel particulier du XVIIIe siècle, du patrimoine belge, un lieu magique méconnu des Parisiens. Important aussi d'avoir pu conserver le mobilier et faire défiler les mannequins en entendant les chuchotements…J'ai été sidéré par les standing ovations dans les salons VIP et très touché par la présence de personnalité prestigieuses comme Madame Pinault».

Vingt minutes pour convaincre. Prendre la température, ici plutôt hot, on l'a dit, rectifier le tir si nécessaire. Ces créations ne sont pas à vendre mais sont la démonstration de sa maîtrise. Le but du couturier: «soit travailler pour un groupe de luxe comme LVMH qui développe la marque, soit s'entourer de pros dans la distribution et le commercial, ou encore oeuvrer pour un grand nom comme Lagerfeld».

L’œil aiguisé de Line, la Ch’ti

Le défilé se termine dans une moiteur à peine tenable. Au fond, dans une des trois salles où ont circulé les mannequins, un petit attroupement s'est formé. En son centre, Line Renaud, pleine de verve malgré la chaleur (39° dans la salle sans air conditionné), est assaillie. Elle porte une robe bleu roi à la coup près du corps, ornée de roses en cuir. Une touche Depoorter qui maîtrise les codes du genre. Nous demandons à la légende française de parler du jeune Belge qu'elle connaît depuis deux ans. Nous lui demandons si elle qui vient du Nord voit en lui cette sacro-sainte belgitude. Elle, la ch'ti, qui connaît la chanson. «La Belgitude, c'est son travail, son envie de réussir, le fait qu'il s'y attelle. Il en veut et bosse pour ça. Nous, les gens du Nord, sommes combatifs, c'est notre force.» On a vu Bernard Depoorter à ses côtés, avec Jean-Paul Gaultier. S'intéresse-t-elle à la mode sur le tard? «Je ne suis pas une fashion addict! Mais j'ai présenté en effet Jean-Paul Gaultier à Bernard». Ce qu'elle aime chez le créateur belge?

guillement

Il a le goût des accessoires, des détails, des contrastes de matières. Il pourrait travailler pour les grands shows…

Nous croisons, parmi d’autres, la comédienne Armelle. Elle connaît les créations Depoorter sur papier seulement. Elle sait, nous dit-elle son talent pour les jolies robes et son «côté cinquante».

Bernard Depoorter a une ligne d’enfer. Au fil des ans, son style, comme sa silhouette, s’est affiné et affirmé. Une discipline qui commence par soi. Le sacré footing vespéral, la vingtaine d’heures de travail quotidien en prévision du défilé, une ascèse de tous les instants.

Nous l’avions rencontré il y a plusieurs années, il organisait alors un défilé au château de Chimay, en présence de la princesse Elisabeth de Chimay. Il a aussi utilisé comme cadres pour ses créations les châteaux de La Hulpe et d’Hélécine entre autres. Il a habillé la princesse Claire, la reine Mathilde dans une robre rouge qui fit sensation sur le Bund de Shanghai lors de la visite d’Etat en Chine en juin 2015, Lara Fabian et d’autres.

100% végétarien

Parmi les oeuvres présentées à Paris, il y a «Jardin de nuit», une robe de bal brodée de fleurs en cuir en hommage à Dior, un travail de 2000 heures qui a demandé 35 peaux d'agneau sculptées. «Bien sûr, 2000 heures de travail, ce n'est pas au niveau de Chanel qui en comptabilise 4 000 pour certaines pièces mais pour une petite maison belge, ce n'est pas mal. Il y a aussi cette robe "Les Oiseaux»ornées de 2000 plumes découpées à la main, cousues une par une. Et, en garniture, ce corbeau empaillé tenu du bout des doigts par le mannequin. Mais ne nous y méprenons pas, l'homme est un adepte transi du respect de l'environnement et de la cause animale.

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"Comme je l'ai toujours fait pour les fourrures, tous mes accessoires "animaux" sont vintage. Mes corbeaux empaillés ont plus de 100 ans, et les plumes sont de la récup. Je n'utilise que du cuir d'agneau, des animaux élevés sur les pâturages français pour leur viande. Ils sont abattus sans stress, sous étourdissement. Je suis à 100% pour la protection animale. J'ai d'ailleurs à domicile une ménagerie d'oiseaux où paons, canards et chats se côtoient. Je suis végétarien mais pas vegan. Les matières nobles comme le cuir sont incontournables. Nous avons besoin de préserver nos métiers d'art dans le domaine du cuir et la plumasserie. Ils sont indispensables à la sauvegarde de notre culture, pour les générations futures. Et ce sont des matières durables, non polluantes. Un sac brillant de Delvaux se transmet de grand-mère en petite-fille et il y a cette part écologique. Je raffole de la nature. Un des codes de mon univers de couturier, c'est le cabinet de curiosité. J'aime la taxidermie, la collection de plumes, les papillons. Dans ma prochaine collection, il y aura des broderies de coquillages et de nacre».

Le style Depoorter oscille entre classicisme et baroque foisonnant. Dans ce sens, il se rapproche d’une forme d’italianité. “Les couturiers du Nord sont plus germaniques, leurs vêtements sont souvent oversize, moins féminins. Leurs créations sont liées au design contemporain, à l’avant-gardisme. Personnellement, je veux faire revenir en Belgique les tendances plus latines, dans l’esprit de marques comme Dolce & Gabbana.” Parmi ses prochaines idées de fresques, il voit des brodeuses flamandes apparaître dans un clair obscur, un peu comme le duo italien l’a fait en conjuguant, sur papier glacé, les thèmes de la Sicile profonde.

Cherche groupe de luxe passionnément

"J'ai des contraintes financières et de main-d'oeuvre, je n'exploite donc qu'1 ou 2% de mes idées car il n'y a pas d'infrastructure derrière. La gestion du prêt-à-porter est quelque chose de tellement inhumain quand on a sa propre marque. Lagerfeld avait dit quelque chose d'horrible mais de très juste dans le cadre d'un reportage. C'était dans le contexte de l'affaire Hermès : "Si on veut jouer au patriarche, il faut être à 100% propriétaire de son capital, sinon comment baiser tout en voulant rester une jeune fille ?" Développer une griffe de prêt-à-porter demande un investissement colossal, qui se chiffre en millions d'euros, il faut constamment pleurnicher pour obtenir des moyens pour réaliser les créations, ce qui n'est pas humain à moins de faire partie d'une structure costaude".

L'objectif de Depoorter est donc d'intégrer sa signature à un label plus large, de travailler pour un géant comme LVMH. "Ce défilé, je l'ai mis sur pied aussi pour qu'ils prennent conscience que j'ai tout réalisé de mes propres mains. Mon rêve est d'avoir la même approche qu'un Karl Lagerfeld. Il fait partie, avec Jean-Paul Gaultier, des vrais créatifs. Je peux sublimer l'image d'une maison de haute couture car je rentre aisément dans les codes et l'ADN des marques. Je peux me fondre dans l'esprit d'une grande griffe et la projeter dans l'avenir. J'ai la faculté de recanaliser le style à la source d'une marque en léthargie, d'inscrire ce label dans notre époque et de le réveiller. Mon avenir, je le vois au coeur d'un groupe de luxe auquel je me consacrerais corps et âme. J'adorerais être couturier free lance et vouer mon énergie à des maisons différentes».

L’ensemble du reportage est à découvrir dans l’édition print de Paris Match Belgique dujeudi 29/06/17.

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