Sur la route des poivres les plus rares

De l’Afrique à l’Asie, d’infatigables explorateurs parcourent les grandes forêts tropicales pour débusquer les meilleures épices.

Le poivre possède 1 000 secrets.
Le poivre possède 1 000 secrets.

De l’Afrique à l’Asie, d’infatigables explorateurs parcourent les grandes forêts tropicales pour débusquer les meilleures épices.

Quoi de plus banal que le poivre ? Pourtant, au Moyen Âge, les nobles d'Europe en raffolaient ! C'est pour lui que Christophe Colomb s'en alla chercher la route des Indes et découvrit l'Amérique, que les Portugais, les Hollandais, les Anglais et les Français se firent la guerre au XVIIe siècle. En Égypte, les mages mettaient des grains dans les narines des momies. Aujourd'hui, des producteurs font redécouvrir cette épice méconnue aux plus grands chefs. Car oui, le poivre, broyé frais, peut sublimer les plats d'une façon que l'on ne soupçonne pas, loin du «tour de moulin» conventionnel de nos livres de cuisine.

Lire aussi >Il vit uniquement de la nature… dans une grande ville américaine

C'est en tout cas la certitude à laquelle est parvenu Erwann de Kerros, coauteur d'un livre magnifique, fruit de vingt ans de voyages : « Terre de poivres » (éd. de La Martinière). Ce Breton est tombé dans l'univers du poivre en 1992, quand on lui propose de prendre en charge la culture de la plus importante plantation de poivriers du Cameroun, à Penja. Les conditions de vie étaient frustes : une maison en bois sur pilotis, pas d'électricité, quelques chevaux… Mais, grâce à son enthousiasme, Penja est devenu la première IGP (indication géographique protégée) d'Afrique. Et l'un des plus grands poivres du monde : animal, mentholé et puissant. «Le poivre, c'est le voyage, on va au bout du chemin, on marche dans la brousse. En Tasmanie, en Ethiopie, à Sumatra, les habitants passent leur journée à broyer le poivre. À Madagascar, il pousse à l'état sauvage dans la jungle : il faut escalader des arbres hauts de 40 mètres pour le cueillir».

Tri des baies de poivre timur (au parfum d’agrume) à l’aide de plateaux tressés, au marché de Katmandou, au Népal. ©DR
Tri des baies de poivre timur (au parfum d’agrume) à l’aide de plateaux tressés, au marché de Katmandou, au Népal. ©DR

Depuis le naturaliste suédois Linné, on sait que cette épice (qui, au départ, est une fleur) appartient à deux genres botaniques distincts. Le premier, c'est le Piper, originaire d'Inde, une liane (comme la vigne). Les plus célèbres sont ceux de Penja et de Kampot, au Cambodge. Le second genre, c'est le Zanthoxylum, un arbre, comme le poivrier du Sichuan en Chine et le timur au Népal (qui pousse à 2 000 mètres d'altitude et offre un nez sublime de pamplemousse).«Un grand poivre n'est pas agressif. En bouche, sa brûlure doit être douce et subtile. Selon les terroirs, il peut être fleuri, fumé, fruité ou terreux, c'est un exhausteur de goût unique». Il libère en effet ses parfums et ses saveurs si on le broie frais dans un mortier en granit. Cet outil permet d'être créatif car, selon l'humeur, on peut mélanger différents poivres (fumés, aux notes d'agrume et de rose, fins et boisés…). Dans le XVe arrondissement de Paris, Erwann de Kerros aime se rendre chez le chef Bernard Sellin, du restaurant Bernard du 15. Cet autre Breton, qui collectionne les moulins, utilise les 60 poivres les plus précieux avec lesquels il illumine le homard et le millefeuille à la vanille : batak, sarawak, voatsiperifery, cubèbe à queue…

Mais le poivre est surtout une aventure humaine qui peut être bouleversante. Celle, par exemple, de la Bretonne Nathalie Chaboche et du Belge Guy Porré. Après une carrière dans l'informatique, ils tombent amoureux en 2013 de la région de Kampot au Cambodge et choisissent d'y vivre : «On ignorait tout de ce qu'on allait faire» !  C'est alors qu'ils découvrent l'existence du poivre de Kampot, issu d'un arbre pouvant mesurer plus de 4 mètres : c'est l'un des plus parfumés au monde, mais aussi l'un des plus coûteux ! (plus de 5 euros le paquet de 25 grammes pour le « poivre des oiseaux » picoré quand il est bien mûr et que l'on récupère dans leurs fientes).

À Kampot, à 140 kilomètres de la capitale Phnom Penh, la culture du poivre est artisanale. ©Antoine Besson
À Kampot, à 140 kilomètres de la capitale Phnom Penh, la culture du poivre est artisanale. ©Antoine Besson

Originaire de Chine, il connut son apogée pendant la période coloniale française, avant d’être détruit par les Khmers rouges en 1975. Sa culture reprit partiellement en 1999. En 2010, le poivre de Kampot devint le premier produit cambodgien à bénéficier d’une IGP avant de recevoir, en 2016, le label européen AOP. Au Cambodge, il est consommé au quotidien vert et frais. Vif et fruité, on le croque comme un bonbon ! En fermentant et en séchant au soleil, il devient noir et long en bouche. On peut aussi le conserver vert en le salant. Le poivre blanc (le noyau débarrassé de la peau) concentre tous les arômes de citron confit et de menthe fraîche. Il remplace le sel et on l’utilise comme anti-inflammatoire. Bref, au Cambodge, ce poivre est omniprésent : un vrai trésor culturel vivant !

Lire aussi >Cambodge : Étrangers dans leur pays

Nathalie et Guy décident de monter leur plantation. Ils construisent une maison traditionnelle khmère en bois, créent une école de village, payent le salaire des enseignants, emploient une centaine de personnes, font vivre les producteurs de la région et finissent par acquérir la nationalité cambodgienne ! « Le projet agricole et le projet social ne pouvaient qu'aller de pair ». Toutefois, la production de poivre de Kampot est minuscule, comparée notamment à celle du Vietnam, le premier producteur mondial. On est ici dans l'excellence. Les poivriers sont baignés par les vents marins et la rosée, bénéficient de toute la pluie et de tout le soleil nécessaires, « on est dans un écosystème fabuleux et préservé ». Avec une poêlée de saint-jacques, une viande grillée juteuse, des fraises ou une mousse au chocolat, leurs poivres noir fumés au goût d'eucalyptus apportent une note fleurie exceptionnelle.

© 2023 Paris-Match France. Tous droits de reproduction et de représentation réservés. Toutes les informations reproduites dans cette rubrique (dépêches, photos, logos) sont protégées par des droits de propriété intellectuelle détenus par Paris-Match France. Par conséquent, aucune de ces informations ne peut être reproduite, modifiée, rediffusée, traduite, exploitée commercialement ou réutilisée de quelque manière que ce soit sans l'accord préalable écrit de Paris-Match France.

Vous êtes hors-ligne
Connexion rétablie...