Cédric Grolet, le meilleur pâtissier du monde
Connu pour ses desserts en trompe-l’œil, le prodige du palace parisien Le Meurice vient d’être élu par ses pairs. Rencontre.
- Publié le 05-11-2017 à 10h07
- Mis à jour le 06-11-2017 à 10h02
:focal(995x671:1005x661)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/DGKFI6EBJRAOVKH34UGHRTV3LM.jpg)
Connu pour ses desserts en trompe-l’œil, le prodige du palace parisien Le Meurice vient d’être élu meilleur chef pâtissier de restaurant du monde par ses pairs. Rencontre.
Il n'y a pas si longtemps, les pâtissiers étaient méprisés, tant par les chefs que par les chroniqueurs gastronomiques. « Comme Gault et Millau, ceux-ci s'arrêtaient le plus souvent après le fromage », se souvient Michel Guérard, le chef trois étoiles d'Eugénie-les-Bains, qui commença sa carrière comme chef pâtissier au Crillon, en 1956… Relégués dans les sous-sols des restaurants, les pâtissiers étaient surnommés « mange-farine », « rats » ou « pâteux ». Beaucoup sombraient dans l'alcoolisme (raison pour laquelle il y avait souvent plus de rhum que de baba !). Aujourd'hui, ils ont le vent en poupe, paradent à la télé et savourent leur revanche, comme Cédric Grolet, 32 ans, qui vient d'être élu « meilleur chef pâtissier de restaurant du monde », le 17 octobre à New York, par un jury de célébrités (Pierre Hermé, Jean-François Piège et le directeur du restaurant Alain Ducasse au Plaza Athénée, Denis Courtiade).
Lire aussi >10 adresses bruxelloises sucrées à goûter à quatre heures
Déjà sacré maintes fois pâtissier de l’année, Cédric Grolet est un travailleur forcené, obsédé par la perfection formelle, un technicien virtuose à qui on souhaite encore de progresser sur le chemin du goût. De son enfance dans la Loire, près de Saint-Etienne, il garde le souvenir des animaux, de l’odeur des foins coupés, des balades en forêt, et de son grand-père qui tenait un hôtel-restaurant. À 13 ans, bercé par les arômes de tarte tatin, il sait que son univers sera celui de la cuisine et de la pâtisserie. Passionné aussi par le dessin, il suit des cours d’arts plastiques jusqu’à ses 18 ans.
L’archétype du «pâtissier total»
À 21 ans, muni de son CAP de pâtissier, il entre chez Fauchon comme commis puis, cinq ans plus tard, devient sous-chef au Meurice, aux côtés de Yannick Alléno et Camille Lesecq, où, selon ses dires, il se prend une gifle : « Le niveau d'excellence était incomparable et je me suis senti perdu ! »À leur départ, en 2012, il est propulsé au poste de chef pâtissier. Alain Ducasse prend alors les commandes du restaurant et conseille à Cédric « d'arrêter de faire des belles choses et de travailler le goût… ». Ducasse comprend aussi que son jeune poulain a besoin de voyager, d'aller à la rencontre de l'autre. En 2017, Cédric entame un tour du monde afin de présenter son travail dans les écoles et de découvrir d'autres cultures à travers leurs cuisines : Moscou, Japon, Chine, Australie, Singapour, Thaïlande, Chicago et bientôt le Mexique ! Son compte Instagram recense 580 000 abonnés dans le monde, dont certains réservent ses cours de cinq jours des mois à l'avance. « On me pose beaucoup de questions, c'est très enrichissant et ça me donne des idées pour améliorer ma pâtisserie, vers toujours plus de légèreté, sans matières grasses. »
Son chef-d’oeuvre : la noisette
À la tête d'une brigade de 20 personnes, Cédric est responsable de toute la pâtisserie de l'hôtel Meurice (restaurant, salon de thé, petits déjeuners, brunchs, etc.). Crayon en main, il passe des heures à dessiner et peaufiner ses gâteaux. Leur beauté visuelle et leur perfection technique sidèrent, à l'image de ses fruits à pépins ou à noyaux créés comme des trompe-l'œil, à la manière du Caravage ou de Chardin. « Quand j'étais enfant, au lieu de manger des bonbons, je mangeais des fruits, car c'est la nature qui m'a toujours inspiré. » Pour imaginer un dessert au citron, par exemple, il choisira le citron dont l'acidité et le parfum lui paraissent convenir le mieux à son projet. « Certains fruits sont très bons nature, mais encore meilleurs lorsqu'on en concentre le goût. Je ne suis satisfait que lorsque mon dessert est meilleur que le fruit qui l'a inspiré ! » L'homme aime la simplicité dictée par les saisons. Il adore la tarte aux fraises nappée d'une crème d'amande pas trop cuite. Mais son chef-d'œuvre est la noisette, une vraie grosse noisette reconstituée, garnie à l'intérieur d'une mousse parfumée à l'infusion de noisettes de Sicile torréfiées dans du lait, de caramel, d'un palet de praliné aux noisettes concassées et d'un biscuit sablé.
Au milieu des années 1980, la pâtisserie stagnait avec ses mousses et ses coulis
En admirant ses merveilles d'orfèvrerie, on touche à l'essence de la pâtisserie, « un métier qui est quelque part entre la science, la sorcellerie, l'architecture, la poésie, l'école des parfums et des couleurs, où seule la rigueur dans la liberté permet de faire œuvre d'esprit » (Michel Guérard). Quand les débutants voient leur génoise retomber lamentablement, ils savent à quel point la pâtisserie est un art de la précision et de la mesure qui réclame une main sensible. Celle de Cédric Grolet est le prolongement de sa pensée. Elle a besoin de faire ses gammes et de s'exercer plusieurs heures par jour, comme les doigts d'un pianiste. Surtout, ce gaillard un peu timide a réussi l'exploit de combiner goût et esthétique : « Le beau fait venir, et le bon fait revenir ! » aime-t-il dire.
Lire aussi >Le Limbourg, terre de chefs
Souvenons-nous. Au milieu des années 1980, la pâtisserie stagnait avec ses mousses et ses coulis. C’était encore une histoire d’apparat, dont le visuel primait sur le goût, alors qu’au même moment la cuisine, elle, explosait grâce à des chefs aussi créatifs que Michel Bras, Pierre Gagnaire et Alain Passard, des types qui étaient capables de provoquer dans leur cuisine des émotions incroyables dont il n’existait pas l’équivalent chez les pâtissiers un peu durs de la feuille. En reprenant leurs techniques (réduction de jus, braisage de fruits, fleur de sel, épices et herbes fraîches) et en remplaçant les gâteaux traditionnels (qui étaient alors présentés sagement sur des chariots roulants) par des desserts préparés à la minute, éphémères et instantanés, le jeune Philippe Conticini, chef pâtissier du restaurant La Table d’Anvers (où son frère officiait en tant que cuisinier), fut le vrai inventeur du « dessert à l’assiette » qui allait révolutionner la pâtisserie de restaurant. Trente ans après, Cédric Grolet est l’archétype du « pâtissier total ». En regardant ses sculptures, toujours très légèrement sucrées (il n’utilise que du sucre de canne roux bio et peu affiné), la salive vient à la bouche, mais comment oser détruire ces splendeurs avec sa cuillère et son couteau ? Fragiles et fugaces, ses créations ressemblent à un rêve d’enfance.

« Fruits », par Cédric Grolet, chez Ducasse Edition (39 euros).
© 2023 Paris-Match France. Tous droits de reproduction et de représentation réservés. Toutes les informations reproduites dans cette rubrique (dépêches, photos, logos) sont protégées par des droits de propriété intellectuelle détenus par Paris-Match France. Par conséquent, aucune de ces informations ne peut être reproduite, modifiée, rediffusée, traduite, exploitée commercialement ou réutilisée de quelque manière que ce soit sans l'accord préalable écrit de Paris-Match France.