Partez à la découverte des maisons du peuple en Hainaut
Parmi les multiples types de patrimoine conservés en Wallonie, une catégorie est liée à l’histoire sociale de notre région.
- Publié le 10-06-2023 à 11h54
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Par Frédéric Marchesani / Photos Guy Focant et Vincent Rocher
De la riche et tumultueuse histoire du mouvement ouvrier sont nés de nombreux monuments érigés pour ceux-ci et leurs familles, dans les quartiers où ils vivaient, à proximité des charbonnages et autres usines sidérurgiques. On les appelait «L’Espérance», «La Ruche ouvrière», «Les Frères réunis» ou simplement «La Populaire». C’étaient les maisons du peuple et les coopératives ouvrières, de petites sociétés qui avaient pour but de rompre avec le système d’asservissement dans lequel se trouvaient alors les travailleurs.
À la fin des années 1950 étaient répertoriées 272 maisons du peuple réparties dans tout le pays, dont 216 en Wallonie et à Bruxelles. À leurs côtés, on trouvait également plusieurs centaines de magasins coopératifs. Aujourd’hui, bon nombre d’entre eux ont malheureusement disparu. Une liste établie en 2010 détaille à peu près 130 édifices en Wallonie. Parmi ceux-ci, 46 biens sont repris à l’inventaire du patrimoine, dont huit bénéficient d’une mesure de classement au titre de monument.
Dans la maison du peuple, les ouvriers viennent se détendre après le travail et pendant leur temps libre. On y trouve bien entendu un café, mais beaucoup abritent un magasin social ou encore une salle de spectacle où sont aussi organisés de grands repas. Nous vous proposons cette semaine d’en découvrir quelques exemples situés dans la province du Hainaut, riche en patrimoine ouvrier.
Le Cercle ouvrier et la Maison picarde à Mouscron. À Mouscron, on trouve deux maisons du peuple. La première, appelée «Cercle ouvrier», a été érigée en 1932 en style Art déco par l’architecte Marcel Hocepied. On y trouvait un magasin coopératif, un café et des bureaux. Transformé en 1960, le bâtiment conserve toutefois sa façade et son hall d’entrée d’origine. Établi en léger retrait de voirie, construit en béton, briques et calcaire sous toiture de tuiles, il présente une façade monumentale dominée par une travée d’entrée. Modénature anguleuse des châssis, retrait des briques aux encadrements, frises sous corniche, profil du balcon d’apparat, motifs décoratifs et graphie de l’enseigne bilingue sont autant d’éléments propres au style Art déco. À l’arrière, le jeu de briques de la façade apporte une rythmique de couleur elle aussi propre à ce courant. Le pignon central comporte des inscriptions bilingues, la date d’édification mais également un bas-relief représentant Saint-Joseph, patron du Cercle ouvrier de Mouscron.
La salle de bal de la Maison picarde, la seconde maison du peuple connue également sous le nom de «La Fraternelle», est recouverte d’un ensemble d’environ 4000 carreaux décoratifs constitué de huit panneaux figuratifs et allégoriques encadrés par des céramiques représentant des éléments architecturaux. L’édifice a été érigé en 1922-1923 par Martial Rémi. Après avoir visité le célèbre Vooruit de Gand (aujourd’hui une salle de spectacle), l’architecte parvient à convaincre les maîtres d’ouvrage d’utiliser d’onéreuses faïences pour décorer la salle de bal. Cet ensemble est exceptionnel, tant par sa taille (près de 100 m2 de surface) que par sa qualité. Il a été réalisé par la manufacture Helman de Berchem-Sainte-Agathe et posé par les frères Vandecasteele, carreleurs à Mouscron. Les tableaux évoquent l’univers des ouvriers de la coopérative. Les dessins sont l’œuvre de jeunes artistes, à savoir Jules de Bleye, Achille de Maertelaere, Gustaaf de Smet et G. Dierkens.
La Ruche verrière à Lodelinsart (Charleroi). Abritant toujours un café à l’heure actuelle, elle a été érigée en 1926 en pierre et brique cimentée, et présente une très belle façade d’esprit classique sur deux niveaux de trois travées. Au centre, un lourd attique couronne la toiture et est orné d’une ruche. L’édifice a été bâti à la demande de la Nouvelle Union verrière, la première association des ouvriers du verre, fondée en 1894. Le café a conservé son cachet de l’entre-deux-guerres, notamment deux grandes peintures signées Roquet et datées de 1927.
Sous celles-ci, on trouve des lambris flanqués de miroirs. Toutefois, c’est à l’arrière du café que se cache un joyau : une magnifique salle des fêtes construite en 1897 par Franz Lefèvre, prenant la forme d’un large vaisseau bordé de bas-côtés surmontés de galeries et d’un balcon. Au-dessus de la scène, un entablement mouluré supporte des bas-reliefs en stuc doré représentant un soleil rayonnant et deux divinités allongées. La galerie est soutenue par dix piliers en fonte peints en vert, dont les chapiteaux en fer forgé s’évasent en fleurs stylisées. Les garde-corps, de forme légèrement bombée, présentent un décor de stucs où des putti maintiennent des urnes sur fond de guirlandes.

La maison du peuple de La Louvière. À La Louvière, la Maison du tourisme et des associations est la nouvelle occupante de la maison du peuple. Datant du second tiers du XIXe siècle, elle a été aménagée en 1899 puis largement transformée en 1927, époque où elle fut dotée d’une façade Art déco. Récemment restaurée, elle possède un riche décor floral et coloré. L’ancienne salle du café présente un grand intérêt patrimonial : une frise longeant l’ancien plafond et un décor en staff affichent des motifs floraux et végétaux encadrant plusieurs bas-reliefs dépeignant des scènes allégoriques.
La maison du peuple de Pâturages (Colfontaine). Elle a été inaugurée en août 1903 dans le centre du quartier ouvrier. Imposant, le bâtiment érigé par Eugène Bodson est dominé par une ligne classique. Sa façade néoclassique est caractérisée par le jeu entre frontons triangulaires et courbes. Épinglons l’opposition entre style historiciste, utilisation de matériaux très modernes (colonnettes métalliques) et décoration Art nouveau (ornements en coup de fouet). Les mots «Progrès» et «Union» apparaissent sur les sgraffites, situés sous les appuis de fenêtre de l’étage. On peut également remarquer le sgraffite central représentant «Le Triomphe du travail», œuvre de Paul Cauchie, tout comme les portraits de César de Paepe (médecin et sociologue belge) et d’Alfred Defuisseaux (avocat et homme politique), deux membres fondateurs du Parti ouvrier belge. Architecte, peintre et décorateur né à Ath en 1875, Paul Cauchie fut une des figures marquantes de l’Art nouveau en Belgique. Son style architectural se caractérise par une rigueur géométrique compensée par la richesse des décorations picturales.

La maison du peuple de Wihéries. La commune de Dour a le privilège de compter trois maisons du peuple classées, à Dour, Élouges et Wihéries. Celle de Wihéries fut inaugurée en 1922. Le bâtiment, situé en plein cœur du village, frappe par son ampleur ainsi que par sa polychromie (briques rouges et blanches). Sa structure classique est rythmée par des ornements Art nouveau. Se déployant sur deux niveaux et neuf travées, l’édifice est couronné d’une toiture en bâtière, à l’exception des tourelles dont le sommet évoque la forme d’une ruche. Le sgraffite de la travée centrale illustre ce rapprochement avec le monde de l’apiculture.
Une ruche y est représentée encadrée de volutes et surmontée des mots «Société coopérative». Sous les abeilles, on peut également lire «La Ruche Boraine / Maison du peuple». Juste en dessous du balcon apparaissent les mots «Liberté», «Égalité» et Fraternité». D’autres sgraffites représentant des motifs floraux et végétaux sont également visibles au-dessus des portes et fenêtres du rez-de-chaussée. La maison du peuple abritait une salle de réunion, une salle des fêtes, un café, une salle de débit de pains, une boulangerie ainsi qu’une cuisine. L’organisation spatiale est restée inchangée, à l’exception du café qui a été agrandi. À noter : les impostes des portes et fenêtres, alternant vitres teintées jaunes et vertes.

POUR EN SAVOIR PLUS
L’Agence wallonne du patrimoine a édité une monographie consacrée aux maisons du peuple en Wallonie. Si vous souhaitez acquérir cette publication, n’hésitez pas à contacter le 081 23 07 03 ou publication@awap.be, ou consultez le site de vente en ligne de l’Agence wallonne du patrimoine (promotion.awap.be). L’ouvrage est également en vente aux boutiques de l’Archéoforum de Liège et des moulins de Beez (uniquement sur rendez-vous). Si vous commandez «Les Maisons du peuple en Wallonie» auprès de l’Agence wallonne du patrimoine avant le 30 juin 2023, vous pourrez bénéficier d’une remise de 40 %, soit 15 euros au lieu de 25 euros + les frais de port (offre valable jusqu’à épuisement du stock). N’hésitez pas à profiter de cette opportunité, avec le code «promo maisons du peuple».
«Les Maisons du peuple en Wallonie», Institut du Patrimoine wallon, Namur, 2010, 164 p.
1. Vue aérienne depuis l’arrière du Cercle ouvrier de Mouscron. 2. Transformé dans les années 1960, le Cercle ouvrier de Mouscron a toutefois conservé son hall d’entrée et sa cage d’escalier Art déco. 3. Plus de 100 m² de carreaux de faïence évoquant la vie ouvrière tapissent les murs de la salle de bal de la Maison picarde, à Mouscron. 4. La magnifique salle de bal de la Ruche verrière à Lodelinsart compte notamment des colonnes en fonte peinte.
5. Le café de la Ruche est resté en l’état. 6. La pétillante façade Art déco de l’ancienne maison du peuple de La Louvière. 7. Ornée de sgraffites de Paul Cauchie, la maison du peuple de Pâturages est une merveille de l’Art nouveau en Wallonie. 8. La maison du peuple de Wihéries est une des trois maisons du peuple classées de la commune de Dour.