Benoît Mariage : " Les jeunes générations doivent réinventer la magie des salles obscures"
Benoît Mariage revient avec «Habib, la grande aventure», un film d’une très grande humanité, sélectionné aux festivals d’Angoulême et de Dubaï.
- Publié le 04-06-2023 à 17h00
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Par Christian Marchand
Paris Match. Grâce à des films comme «Les convoyeurs attendent», «Cowboy» ou «Les Rayures du zèbre», vous êtes devenu l’un des moteurs et une référence du cinéma belge. Est-ce plus difficile de réussir dans le métier qu’avant ?
Benoît Mariage. Lorsque j’ai tourné «Les convoyeurs attendent», il y avait moins de réalisateurs et moins de films. Aujourd’hui, c’est l’inverse. Il est donc plus difficile de se faire remarquer. Ensuite, de nos jours, on pourrait presque faire un film avec un téléphone portable. Mais comment arriver en salles ?
Vous avez travaillé avec François Damiens, Benoît Poelvoorde et Bouli Lanners, les pépites de notre cinéma belge. Qu’ont-ils de plus que les Français ?
Ce sont des acteurs talentueux comme il y en a en France. Mais ils ont l’esprit belge qui est le nôtre. Avec eux, on sait tout de suite de quoi on parle. Ils savent mettre en bouche les expressions et les mots. Le patrimoine est important !
Que ressentez-vous au moment de partager vos scènes avec vos amis ?
Le plaisir de voir que le rêve devient réalité. Et que c’est même plus beau encore qu’espéré. C’est tellement passionnant de partir de rien, d’une feuille blanche, pour arriver à mobiliser quatre ou cinq camions dans la rue avec une équipe de quarante personnes, et de faire vivre ces gens qui vont tout donner pour vous. J’ai autant de bonheur à travailler avec une vedette qu’un inconnu. J’ai un ami, Alain Bellot, qui a été découvert dans un casting sauvage. Aujourd’hui, il tourne beaucoup plus que moi. Il est chauffagiste un jour et, le lendemain, il va jouer avec Depardieu ou quelqu’un d’autre ! Ce sont de superbes rencontres.
Avec la précarisation des artistes, les soucis budgétaires et bien d’autres problèmes, le cinéma belge est-il en danger dans le futur ?
Beaucoup de productions théâtrales et de séries mobilisent travail et professionnels. Mais le cinéma vit un moment difficile. Parfois, on se demande si on n’est pas à la fin d’une époque… Il faudrait peut-être envisager une permaculture du cinéma, quelque chose qui le redynamise. Ensuite, objectivement, il y a beaucoup trop de films par rapport à la capacité des gens d’aller au cinéma. En revanche, les plates-formes sont régulièrement alimentées. Donc, le travail existe. Les jeunes générations doivent réinventer la magie des salles obscures.

La toile blanche ou l’écran domestique : un combat inégal, non ?
En vingt ans, la qualité des écrans a vraiment évolué. Avant, on regardait un film sur un téléviseur noir et blanc pas plus grand qu’un aquarium. Aujourd’hui, on trouve des écrans formidables. Donc, il y a d’autres modes de consommation. Mais l’être humain aura toujours besoin de se raconter des histoires, parce que ça l’aide à se structurer et à se définir. Ça fait partie des nécessités depuis la nuit des temps.
Avez-vous encore des rêves à réaliser ?
Loin des plateaux de cinéma, profiter de la vie avec ma compagne, notre petite fille et notre fils. Des choses très concrètes, comme tout le monde. On aime les randonnées en vélo et la nature. Je pense même que je pourrais me priver de cinéma, mais pas de nature. À mon âge, l’émerveillement que procure celle-ci est essentielle.
DANS LE LIT DE CATHERINE DENEUVE
Habib est un jeune acteur qui rêve de théâtre et de cinéma, mais qui n’enchaîne que des rôles sans envergure. Sa famille a bien du mal à comprendre cette passion qui ne lui rapporte pas un rond. Jusqu’au jour où il décroche un petit rôle de gigolo aux côtés de Catherine Deneuve. C’est le début de la grande aventure, mais aussi des problèmes… «Ce film est né d’une anecdote vécue», explique le réalisateur. «J’encadre des films d’étudiants à l’IAD. Dans l’un de ceux-ci, il y avait un jeune de 15 ans d’origine maghrébine très sympa. Ensuite, je ne l’ai plus vu pendant quatre années. Un soir, avec mon épouse, je vais voir “Le Tout Nouveau Testament” de Jaco Van Dormael au cinéma. Là, il y a Catherine Deneuve qui fait l’amour avec un jeune gigolo : c’est Bilal, que j’avais connu il y a quatre ans ! Après la projection, je lui ai téléphoné en lui disant : “Bilal, il est incroyable ton rôle. C’est magnifique. Tes parents doivent être fiers !” Il m’a répondu : “Arrête, je n’ai jamais osé dire ça à mon père. Lorsqu’il m’a demandé ce que je faisais sur ce tournage, je lui ai dit que j’allais aider une vieille dame à faire ses courses !” Voilà l’anecdote qui a lancé l’écriture du film. L’idée était d’en tirer des situations un peu burlesques. Dans une comédie, on cherche toujours la peau de banane. Là où le gars va glisser…» (rires).