Inde : une émission s'attaque aux tabous du pays et devient l'une des plus regardées au monde
En seulement deux saisons, le feuilleton indien Main Kuch Bhi Kar Sakti Hoon, «Moi, une femme, je peux tout accomplir», a dépassé les 400 millions de téléspectateurs.
- Publié le 01-06-2017 à 20h03
- Mis à jour le 01-06-2017 à 20h17
:focal(688.5x395:698.5x385)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/OCFQAWJZ7VBN3GVNAKQJV2774U.jpg)
Attaques à l'acide, violences conjugales ou encore le taux élevé d'avortements sélectifs des filles… Les sujets évoqués dans cette émission trans médiatique sont nombreux et très peu abordés en Inde. Encore moins à la télévision. Lancé par la Fondation pour la Population d'Inde (PFI) en 2014, Main Kuch Bhi Kar Sakti Hoon est une sorte d'«edutainment», du divertissement éducatif qui remet en cause les normes sociales et culturelles autour du planning familial, des moyens de contraceptions ou encore des mariages forcés. Le tout, sur fond de Bollywood.
En avril dernier, le feuilleton dépassait les 400 millions de téléspectateurs, rapporte The Guardian, devenant l'un des plus regardés au monde. Un résultat étonnant qui ne cesse d'augmenter. Poonam Muttreja, la directrice exécutive de l'ONG, ne s'attendait pas du tout à un tel succès. «On pensait qu'on allait recevoir 250 appels par jour», explique-t-elle à propos d'une ligne téléphonique qu'ils ont installée pour avoir un retour critique des téléspectateurs. «Le premier jour, la première émission, nous avons reçu 7 000 appels en une heure. En deux heures, le système s'était planté». À la fin de la première saison, de 52 épisodes, le nombre d'appels avait dépassé le million. On pourrait croire que l'émission est populaire seulement chez les femmes. À tort, l'ONG ayant reçu 48% des appels venant d'hommes, contre 52% de femmes.
Lire aussi : Une «école des grands-mères» en Inde
Une série éducative et inspirante
Ce feuilleton suit l’aventure de Sneha Mathur, une jeune docteur qui a quitté sa carrière lucrative à Mumbai pour travailler dans son village natal, Pratappur. Une décision prise après que l’une de ses sœurs, contrainte d’avortement tardif d’un fœtus féminin, meurt pendant l’opération. En deux saisons, Sneha Mathur est devenue un modèle pour les jeunes indiennes grâce à sa capacité à faire face aux challenges et à se libérer des entraves patriarcales.
Pour ce feuilleton, les réalisateurs et scénaristes ont passé un an dans l'arrière-pays indien à la recherche des problèmes sociaux persistants dans le pays mais surtout dans les villages. «L'Inde a le plus vieux programme de planning familial», explique la directrice du PFI. «Encore aujourd'hui, les femmes dans les pays voisins comme le Sri Lanka, le Népal ou encore le Pakistan ont accès à plus de méthodes de contraception». Le journal britannique rapporte également une statistique effrayante : 85% de l'argent alloué au planning familial est consacré à la stérilisation des femmes, avec la majeure partie du reste consacrée aux avortements, qui sont souvent effectués négligemment et causent près d'un décès maternel sur 10.
Lire aussi : Inde : Une fillette de 10 ans veut pouvoir avorter après des viols répétés
Changer les normes sociales
«C'est prouvé que le divertissement éducatif, s'il est bien fait, peut très rapidement changer les normes sociales et ensuite mener au changement comportemental», explique Poonam Muttreja à The Guardian. Grâce au feuilleton indien, c'est en bonne voie. Après avoir regardé la première saison, près de 40% des femmes sondées étaient d'accord sur le fait que le mariage à un très jeune âge était risqué pour la vie des mamans mais aussi des enfants – 25% avant que sa diffusion. La sensibilisation est également présente chez les hommes. Seulement 2% d'entre eux pensaient que ce type de mariage était un problème avait de regarder l'émission, mais ce chiffre est passé à près d'un sur trois par la suite.
Les avis envers la violence conjugale ont également changé : après avoir regardé l’émission, le nombre de femmes qui convenaient qu’une femme méritait de se faire battre par son mari, s’il soupçonnait une tromperie, avait réduit de plus de 30%. Un impact important sur certains sujets, alors que d’autres sont encore et toujours tabous, comme l’homosexualité et les rapports sexuels. Une troisième saison est confirmée.