«Le procès Eichmann à Jérusalem» : transmettre l'inimaginable...

À l’heure où les derniers survivants de la Shoah ne sont plus très nombreux, l’urgence à raconter l’indicible se fait pressante.

Yvan Morane incarne sept personnages : Joseph Kessel, Eichmann, le procureur, l’avocat d’Eichmann, le président du tribunal et les deux juges qui l’accompagnent.
Yvan Morane incarne sept personnages : Joseph Kessel, Eichmann, le procureur, l’avocat d’Eichmann, le président du tribunal et les deux juges qui l’accompagnent. ©DR

Dans , le comédien et metteur en scène Yvan Morane adapte les écrits du romancier et journaliste Joseph Kessel, témoin du procès d’Adolf Eichmann, l’esprit maléfique de la Solution finale. Une œuvre forte qui s’installe dans la salle des audiences du palais de justice de Bruxelles.

Paris Match. Qu’est-ce qui vous a donné envie de monter un tel spectacle ?

Yvan Morane. Ce sont les textes de Kessel, choisis parmi la sélection d’articles qu’il avait lui-même décidé de publier. Ma part d’écriture réside dans le choix et le montage. Je voulais traiter la thématique de la Shoah depuis longtemps, jusqu’à ce que je rencontre ces textes en 2018. Sans doute n’étais-je pas prêt auparavant. Pour la dernière production de la compagnie théâtrale que j’avais menée durant quarante ans, je ne voulais pas aborder ce sujet entre Shakespeare et Tchekhov. Il s’agit doublement d’une histoire familiale. D’une part la Shoah, de l’autre la compagnie qui était auparavant celle de ma mère, elle-même la tenant de mon père qui l’avait créée en zone libre durant la guerre, en cachant ses origines juives. Une partie de sa famille a été assassinée dans les camps. Quelque part, la boucle est bouclée.

Gardiez-vous à l’esprit un désir de transmission ?

Absolument. Beaucoup de gens ne savent pas qui est Adolf Eichmann. J’avais l’envie de transmettre cette histoire-là, mais aussi l’idée que des génocides ont encore eu lieu depuis et continuent aujourd’hui. Il est donc de notre responsabilité à toutes et tous, y compris les jeunes générations, de nous montrer attentifs et de refuser, quelle que soit l’idéologie, toute dérive totalitaire. La seule chose que je sache faire, c’est du théâtre. C’est un bon médium, qui rend le récit crédible. D’autant que je diffuse la voix de Shelomo Selinger, rescapé de neuf camps, lisant des extraits de son livre «Nuit et lumière». Il m’a dit que ce spectacle lui avait fait beaucoup de mal, mais je l’ai pris comme un compliment.

Comment se glisser dans la peau et l’esprit d’autant de personnages ?

J’en incarne sept : Joseph Kessel, Eichmann, le procureur, l’avocat d’Eichmann, le président du tribunal et les deux juges qui l’accompagnent. Je suis parti de l’idée que Kessel reprenait ses notes et se mettait à raconter le procès. Par un décor très minimaliste, dont la fameuse cage de verre de l’accusé, et des jeux de lumière, j’espère apporter un jeu très spécifique à chaque personnage. Il m’a fallu beaucoup de temps pour oublier le comédien que j’étais et proposer une interprétation juste, en rejetant la colère qui m’habitait. Mon épouse m’a ouvert les yeux et m’a dit cette phrase extraordinaire : «Tu n’arriveras à être comédien dans ce spectacle qu’en le jouant six millions de fois.»

Il n’est cependant pas dénué d’humour. Est-ce présent chez Kessel ?

L’humour imprègne ses mots, et le public rit, parfois pour se délivrer d’un mal-être. Par exemple, quand Eichmann s’estime satisfait qu’avec lui, au moins, les trains étaient à l’heure ! Le cynisme poussé à l’extrême. -Kessel, en bon juif ashkénaze, démontre qu’on peut rire même à l’orée de l’horreur.

Vous jouerez au palais de justice de Bruxelles. Une démarche particulière ?

Ce sera la première fois que la salle des audiences solennelles de la cour d’appel accueillera une représentation. Le travail reste le même, mais les résonances émotionnelles du public comme de moi-même seront peut-être différentes. Par contre, je joue quatre fois en deux jours, je m’y prépare tel un sportif !

«Le procès Eichmann à Jérusalem», le samedi 20 mai à 18 h et 21 h, et le dimanche 21 mai à 14 h 30 et 18 h.

www.pluritheatre.be

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