Yann Arthus-Bertrand : « J’ai bien compris que l’espèce la plus en danger, c’était l’espèce humaine »
À l’occasion de sa venue à Mons pour inaugurer l’exposition LEGACY – l’héritage que nous laissons à nos enfants, ParisMatch.be a rencontré Yann Arthus-Bertrand. Nous en avons profité pour parler de photographie, d’écologie – forcément –, mais aussi de bonheur.
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- Publié le 16-07-2020 à 11h31
- Mis à jour le 16-07-2020 à 12h14
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C'est sur les hauteurs de Mons, au pied de son beffroi, que les photos de Yann Arthus-Bertrand prennent tout leur sens. Quoi de mieux que de s'élever pour admirer des photos aériennes? Pour ce photographe de plus de 40 ans de carrière, exposer ses photos en extérieur était comme une évidence, et un retour à ses débuts. En 2000, Yann Arthus-Bertrand connaît un succès planétaire avec son travail sur La Terre vue du ciel. Bien qu'il veuille exposer par la suite ses photos dans des musées, les établissements ne sont pas du même avis.
Que cela ne tienne, le photographe et son équipe décident d'exposer les photographies en extérieur, rue de Médicis à Paris. Une réussite qu'il souhaite réitérer aujourd'hui à Mons. «C'est bien mieux d'exposer dehors, parce que d'abord c'est gratuit, et j'aime penser qu'il y a des jeunes, là, qui sont en train de pique-niquer au pied des photos. C'est ça qui m'intéresse.» Une manière de donner de la vie aux images immobiles. Bien que le photographe ait été mis en garde à l'époque contre d'éventuels dégradations ou vols, le succès était au rendez-vous. «Il y a un espèce de respect pour les photos de la nature, parce qu'en fin de compte, ce sont des photos de notre maison qui sont là.»

Dès ses débuts, Yann Arthus-Bertrand constate la beauté de «notre maison» et se dirige vers la photographie aérienne. «À cette époque-là, on n'avait pas sur notre téléphone le monde en aérien. Aujourd'hui, sur votre téléphone, vous avez tout avec Google Earth. L'aérien était quelque chose de très unique. » Une différence qui fait sa force. Avec 3,5 millions d'exemplaires écoulés, La Terre vue du ciel est le livre illustré le plus vendu de l'histoire. Des photos à couper le souffle, et une vision du monde comme on ne l'a jamais vu auparavant.
Photographier la Terre pour montrer sa fragilité
Pour lui, la photographie aérienne se compose avec certains imprévus. Alors qu'il part au Soudan pour photographier une machine en train de rouiller depuis 40 ans dans un canal, il tombe sur des femmes ramassant de l'herbe. Un geste quotidien pour ces femmes qui touche particulièrement le photographe. «Dans la photographie aérienne, la chance est très importante. C'est-à-dire qu'on a des objectifs, mais on sait très bien que ce que l'on va photographier va être complètement autre chose.»

En plus de capturer la beauté de la Terre, Yann Arthus-Bertrand découvre également la fragilité de notre planète. «Ce travail sur La Terre vue du ciel m'a complètement transformé. J'avais pris conscience, en partie, des problèmes de la Terre et d'une écologie assez basique, et j'en suis venu à une écologie où j'ai bien compris que l'espèce la plus en danger c'était l'espèce humaine.» En photographiant le monde, Yann Arthus-Bertrand se rend compte de l'impact de l'Homme sur l'environnement. Une pollution visible depuis le ciel, mais qui bizarrement, se trouve être «très graphique» sur les clichés. «La Terre est toujours une œuvre d'art incroyable. Ce qui est assez étonnant, c'est que la pollution est très belle, et très intéressante… c'est même un contresens quelque part. Bien sûr, on voit les déforestations, mais on les voit beaucoup plus en satellite qu'en hélicoptère.» Pour le photographe, l'intérêt de son travail ne se retrouve pas seulement dans la beauté du monde. Ses photos abordent surtout différentes thématiques, comme les pertes civiles dans les conflits armés, les réfugiés, les pesticides dans l'agriculture, ou encore les incohérences écologiques (cultiver dans le désert). «Sans information, les photos n'ont aucun intérêt.»
«J'avais envie de donner plus de sens à mon travail»
Seulement voilà, Yann Arthus-Bertrand ne veut pas être un simple témoin supplémentaire des problèmes environnementaux, et il choisit alors de véritablement s'engager. «J'ai adoré ce métier (de photographe, ndlr) où je faisais beaucoup de choses, mais j'avais besoin, comme je suis assez écolo, de convictions. Surtout, j'avais envie de donner plus de sens à mon travail.» En 2005, il crée la fondation GoodPlanet pour sensibiliser le public à la protection de l'environnement, et crée un programme pour compenser les émissions de CO2 engendrées par son travail de photographe. «Je m'aperçois autour de moi qu'il y a beaucoup de gens qui ont envie de s'engager, qui ont envie de comprendre…» Une prise de conscience nécessaire qui ne date pas d'hier, mais qui n'est malheureusement pas assez selon lui. «Ce n'est pas suffisant mais bon, il faut se contenter de ce que l'on a et ne pas baisser les bras. Il n'y a pas d'autres choses à faire que continuer, il n'y a pas d'autres solutions.»
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Admiratif de Greta Thunberg, il «aimerait que tous les jeunes soient dans la rue, des centaines de millions, et que les écoles soient vides». Pour autant, l'engagement écologique n'est pas réservé aux nouvelles générations. «Je pense qu'il ne faut pas demander aux jeunes de porter tout le poids de ce qu'on a fait. Il ne faut pas juste demander aux jeunes de changer le monde, ce serait très malhonnête, mais plus ça va aller, plus les signes vont être forts.» Pour lui, tout le monde doit prendre conscience de cette urgence climatique, bien que le chemin ne soit pas toujours facile. «Tout ce que tu fais aujourd'hui, pour économiser du carbone n'aura d'effets que dans 20 ans. C'est loin 2040. Il faut vraiment une vraie volonté, une prise de conscience très forte pour le faire malgré tout.»
«Ce que j’aimerais, c’est que le changement se fasse sous la pression du bon sens, et pas sous la pression de l’obligation »
«Bien sûr que ce n'est pas en prenant une douche au lieu de prendre un bain qui va changer grand-chose, on a bien compris que c'était beaucoup plus grave que ça aujourd'hui, mais au moins, commençons par le basique. On est quand même huit milliards d'habitants sur Terre, si on est quelques milliards à faire le basique, on change le monde.» Pour lui, tout n'est pas cause perdue. «Ce que j'aimerais, c'est que le changement se fasse sous la pression du bon sens, et pas sous la pression de l'obligation.»

Habitué à prendre des photos dans les airs, Yann Arthus-Bertrand garde les pieds sur Terre et rencontre près de 2 000 personnes pour son documentaire Human. Des témoignages qui ont profondément marqué le réalisateur. «Tu ne peux pas faire une interview de deux heures de quelqu'un, sans souffrir, pleurer, rire avec elle. Moi je suis un photographe engagé, je ne prends aucun recul là-dessus. En regardant les images de Human, combien de fois j'ai pleuré en écoutant tout ça. Je pleure de plus en plus en vieillissant [rigole], il faut le reconnaître, je suis de plus en plus sensible.»
Bien que les prévisions des scientifiques soient des plus préoccupantes, cet écologiste de toujours veut garder espoir. «Être optimiste devant les chiffres d'aujourd'hui c'est être très con. Mais maintenant, de vivre, c'est être optimiste. Tous les jours de profiter. Parce que la vie, c'est un cadeau incroyable. Dans Human, il y a une Russe qui dit «d'être en vie, c'est être heureux». Et quand tu es comme moi à 74 ans, et que tu te rapproches du moment final, je pense que c'est important de prendre conscience que d'être en vie c'est quelque chose d'incroyable.»
LEGACY : L'héritage que nous laissons à nos enfants
Parc du Beffroi de Mons et salle Saint-Georges
04 juillet – 25 octobre 2020