Salope !
Le commencement était le Verbe. L’instant suivant était violent. Deux V (plus vils que victorieux) pour engendrer la violence verbale; l’insulte. Salope! Titre coup de poing et intentionnellement putassier d’une exposition qui raconte comment l’insulte se construit et comment elle s’abat, et sur qui.
- Publié le 03-10-2017 à 10h38
- Mis à jour le 04-09-2019 à 15h15
:focal(120.5x130.5:130.5x120.5)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/5H5C5VQI5JB7LPIYQXH6HPH7KE.png)
L'exposition Salope !conçue par Laurence Rosier (professeure de linguistique à l'ULB) aura bientôt deux ans mais elle n'a pas une ride. De Bruxelles en 2015 à Paris aujourd'hui, cette Salope et autres noms d'oiselle a de beaux jours devant elle… Et pour cause. L'espace public, les réseaux sociaux et le web constituent un terrain fécond où l'insulte prolifère. Insecte gesticulant ou monstre vociférant le mot violent fait des ravages et des victimes. Et parmi elles, de (trop) nombreuses femmes.
Laurence Rosier confie: «j'ai décidé de m'interroger sur ces paroles brutales à l'égard des femmes politiques et publiques, pour lesquelles la Toile m'offrait un magnifique corpus en acte. J'ai voulu pointer des cas concrets révélant une dimension à la fois emblématique, symptomatique et archétypale de la place de la femme dans une société donnée à travers les manières dont elles ont été insultées».
De Marie-Antoinette à Simone Veil en passant par Christiane Taubira et Nabilla Benattia, les insultées célèbres (mortes ou vives) se suivent et ne se ressemblent pas. Et les insultes non plus…
Ah la salope, va laver ton cul malpropre!
Classique des classiques, salope demeure (avec pute) l’insulte la plus infligée aux femmes – bien qu’elle puisse être infligée aux hommes également; comme laissent présager les (troublants) travestissements photographiques de François Harray.
Salope, mot uppercut, apparait au XVIIe siècle pour désigner une femme sale, une souillon, la malpropre de la chanson… Méchamment célèbre, elle est la star, l'insulte phare de cette exposition. En lettres dorées sur la couronne mortuaire de Pougeau, fleurissant au Jardin des Salopes de Christophe H. et dans les textes de Rosier (fleur parmi les fleurs), la salope nous interroge sur la vie et la mort (et la mère), l'art et les discours, le cul et l'amour.
Mais Salope n'est pas tout.
Les portraits de femmes (libres) de Lara Herbina montrent qu'un mot commun – banal comme bourgeoise, fort comme féministe… – peut, épinglé sur un front, se muer en affront. Tout dépend de la bouche qui le dit, et sur quel ton.

Cochonne! Guenon! Dinde!
De fil en aiguille, l’expo nous emmène au zoo (ou à la ferme)… Grosse vache pleine d’encre, écrit Flaubert à propos de Georges Sand (insultant à la fois l’écrivaine, la vache et le poulpe).
Cochonne! Truie! Morue! Insulte animalière aux accents familiers… Bestiaire étrange et cruel qu’illustre Tamina Beausoleil avec ses dessins (non moins étranges) de femmes-femelles-animales.

Un peu plus loin, Christiane Taubira est traitée de guenon. Et à l'insulte animalière, s'ajoute l'insulte raciale – glaciale – «Nègre! Retourne dans ta hutte»! Taubira, femme noire, insultée pour son identité africaine alors qu'elle vient de Guyane… Un comble. Imaginaire colonial (et franchement con), illustré et déjoué par les cocos-fesses de Martine Seguy: des noix de coco recouvertes de mots, poétiques et philosophiques, imprimés de journaux.
Après la vache et la guenon, s’avance la dinde écervelée, la décérébrée; Nabilla… La bimbo. Qu’on traite indifféremment – et très élégamment – de mongolienne et de garages à bites. La brune qu’on dirait blonde. Maltraitée parce qu’on considère qu’elle est bête en même temps qu’elle est bonne… Personnage médiatique mais méconnu qui trouve un écho dans les corps complexes de Cécilia Jauniau.

Avorteuse!
On passe enfin devant le portrait de Simone Veil (qui vient, elle, de trépasser)… Difficile d’imaginer que cette femme de tête et d’état puisse être insultée, et pourtant. Même après sa mort, elle est traitée d’avorteuse et génocidaire … Accusations d’une violence inouïe à l’encontre d’une femme qui, comme tant d’autres, aura combattu pour ses semblables.
Avant de quitter l’expo, sa commissaire et ses artistes, on frôle le lit en porcelaine conçu par Sara Júdice De Menezes. Un lit défait et immaculé, prêt à accueillir et réchauffer toutes les salopes, cochonnes et autres Marie-couche-toi-là…
Expo visible à Paris du 29 septembre au 18 octobre, à la Fondation Maison des sciences de l’Homme.