Jean-Louis Murat : l'infatigable artisan de la chanson française s'en est allé et c'est une perte énorme...

C’est toujours un peu pareil : il faut attendre la disparition d’un artiste (majeur) pour s’apercevoir de tout ce qu’il a apporté à la chanson française. RIP Monsieur Bergheaud…

Jean-Louis Murat
Jean-Louis Murat ©BELGA/KRAKOWSKI

On ne va pas se mentir, on est fan depuis plus de 30 ans… La nouvelle de sa mort nous a donc rendus “ivre comme une tige que le monde étonne puis pris de vertige sous la grande étoile”. Quand un artiste est une sorte de compagnon de route musical depuis plusieurs décennies, avec des hauts et des bas, des absences et des fabuleuses retrouvailles, c’est une partie de votre vie qui s’en va aussi inévitablement. Le temps d’une 'notification push' et c’est fini…

La rencontre artistique avec Jean-Louis Murat s’est réellement effectuée en 1991 avec Le manteau de pluie. Bien entendu, les singles à succès des années 1980 étaient connus tels que “Regards”, “L’ange déchu', 'Si je devais manquer de toi'… Forcément, les thèmes abordés et la mélancolie généralisée de l’album (essayez de ne pas frissonner sur 'Le mendiant à Rio') avaient touché l’adolescent que j’étais alors. Et comme on dit : le virus était en moi pour de bon.

Il est vrai que l’Auvergnat n’est sans doute pas hyper connu du grand public, moins que Johnny Hallyday c’est certain. Et que ses débuts furent laborieux et l’abandon pas loin d’arriver même. Tout comme dans les années 2010, les ventes étaient clairement en berne et Murat devait sillonner les salles de France et Belgique pour compenser. Des salles qui se sont réduites au fil du temps… Mais nous sommes réellement face à un artiste unique en son genre et totalement inclassable qui aura pris un malin plaisir à brouiller les pistes et offrir un univers jamais égalé dans le paysage musical francophone.

Un artisan remettant sans cesse son travail sur l’ouvrage…

Malgré ces avis de tempête, il affiche à l’arrivée au compteur : 29 albums édités entre 1982 et 2021. Et c’est loin d’être son unique production car ses tiroirs débordent de titres méconnus ou inconnus voire jamais enregistrés. Il nous est arrivé de recevoir un mini-album sous le “manteau” grâce à une connaissance commune. Un ovni pressé à une trentaine d'exemplaires.... Et nous ne comptabilisons pas même ses collaborations avec d’autres artistes (Indochine, Françoise Hardy…) ni ses quelques lives et mini-albums. Ha oui, on en oubliait presque aussi ses musiques de films !

Bref, c’était un vrai malade de la composition, de l’écriture, de l’enregistrement. Mais cette bête de studio était aussi graveur, peintre, photographe…. Sans oublier un fantastique musicien sur scène en général accompagné par le strict minimum de compères. Quelqu'un qui a toujours refusé le compromis, le tiède, le déjà-fait, l'ennui.

Un poète et chanteur naturaliste ? Il est certain que les textes de Jean-Louis Murat sont la charpente solide de ses chansons. Il était aussi un artisan des mots, des jolies saillies poétiques. Durant sa longue carrière, il s’est emparé de monuments tels que Ferré, Baudelaire, Antoinette Deshoulières… On lui a aussi collé cette étiquette car il lui est arrivé de chanter les montagnes, la forêt, les ruisseaux, les bruyères; de parler de vipères, de chevaux et de bœufs… Son répertoire est trop large pour le cantonner à un style.

On retiendra aussi de lui un charisme indéniable, un regard d'un bleu perçant, de l'humoir noir dans ses propos et ses chansons ainsi qu'une voix chaude et profonde qu'il n'a jamais perdue.

Toujours prêt à bousculer sa fanbase !

Jean-Louis Murat en concert en 2018 à Bruxelles.
Jean-Louis Murat en concert en 2018 à Bruxelles. ©Laurent Depré

Jean-Louis Murat était tout sauf un artiste classique. Impossible pour lui de proposer en concert une version identique de l’album qu’il venait de sortir. Il réservait encore moins d’éventuels rappels aux titres plus commerciaux des années 1980. Il ne l’a jamais fait, préférant même offrir au public des nouveaux titres inconnus.

Évidemment, cela va à l’encontre de ce qui est proposé sur scène, en général, par la chanson française pour faire large. Ce qui eut le don de déstabiliser jusqu’à sa “fanbase”. Une habitude qu’il garda d’ailleurs jusqu’à aujourd’hui et son passage par la Belgique fin 2018 par exemple pour la tournée Il Francese. L’assistance au Botanique se souvient encore de son “Je me souviens” entonné a cappella, seul et assis sur une chaise… Autre tournée, autre exemple presque 20 ans auparavant : Muratgostang. Murat revisite ainsi chaque morceau de l'opus Mustango à coups de riffs rageurs de guitare, de samplers, d’effets vocaux et sonores, de distorsions, de 'break downs.

Pour vendre, il faut choquer !

Très bien expliqué dans la biographie non officielle de Jean-Louis Murat par Sébastien Bataille, il y a un changement d’attitude chez le 'frenchie' au carrefour des années 2000. Se plaignant de ne pas être assez soutenu dans la promotion de ses albums, son management lui rétorque qu’il est trop lisse, trop gentil, pas assez mordant sur les plateaux de télévision…

Ces paroles touchent leur cible… C’est le moins que l’on puisse écrire car il se transforme en flingueur de PAF, en sniper de la presse. Murat s’en donne à cœur joie et s’attaque aussi à ses pairs : Voulzy, Renaud, Hallyday, Angèle… Ils en prennent tous pour leur grade. Parfois, il devient sa propre caricature. Le mot d’ordre lancé par sa maison de disques à l’époque, le peu de place qui lui est réservé désormais en radio et le succès s’éloignant ont probablement durci ce campagnard dans l’âme. Mais il ne saurait être limité à cette partie finalement la moins intéressante de sa personnalité et de son travail. Une chose est certaine, il endossait avec joie le rôle de rebelle de la chanson française.

Une dernière décennie frénétique

Alors que son dernier album date de 2021 La vraie vie de Buck John, un best-of doit sortir demain vendredi 25 mai. Hasard des choses…

De 2011 à 2021, ce seront huit albums sortis dans une sorte de frénésie de créativité. Bien sûr, il y a des redites, des ressemblances et des répétitions sonores dans tous ces albums mais tous tiennent rigoureusement la route.

Le chanteur et guitariste étaient encore en concert vendredi dernier 19 mai à Tulle et d’autres dates étaient programmées. Les Belges ont eu l’occasion de l’applaudir une dernière fois début 2023. Il était un grand musicien à la production exceptionnelle et unique dans le paysage de la chanson francophone.

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