Badi : "On a tendance à limiter les choses au noir et au blanc, et moi j’aime les zones grises"
Le Bruxellois revient avec "Moyi", nouvel album gorgé de beaux rayons lumineux qui pose aussi des questions qui dérangent. Il sera sur la scène de l'Ancienne Belgique ce samedi 29 avril. Entretien.
Publié le 27-04-2023 à 08h30 - Mis à jour le 27-04-2023 à 16h54
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Il y a comme un parfum de vacances dans l'air à l'écoute de Moyi, récit d'une journée durant laquelle rien ne se passe comme prévu, quelque part en Afrique. Badi nous emmène, à travers des ryhtmes afro-pop bien décochés, à y croiser des personnages qu'il connaît bien, qui ont tous des histoires improbables. L'artiste bruxellois s'y pose des questions, pointe les absurdités de la vie, réfléchit, trouve le soleil, le perd, le retrouve. Biberonné au rap de la west coast alors adolescent, Badibanga Ndeka rappait lui-même au sein de jeunes collectifs bruxellois avant de faire évoluer sa musique. Jusqu'à son superbe Trouble-Fête en 2020, qui lui a valu pas mal de louanges et deux Colors Show d'anthologie. Il revient trois ans plus tard avec un opus toujours plus tourné vers des sonorités d'été. Une bonne occasion de se réchauffer en sa compagnie.
Paris Match Belgique. Tu n’arrêtes pas de chercher le soleil dans cet album. Du coup, c’est pas trop dur de vivre en Belgique ?
Badi. (rires) Mais moi je vis en Belgique parce que c’est de Bruxelles que je viens, j’ai grandi ici, mes enfants vivent ici. Par contre j’ai du mal à rester pendant longtemps dans ma ville, j’ai besoin de bouger, genre tous les trois mois je dirais. L’album, il s'intitule Moyi, qui en lingala veut dire soleil ou lumière du jour. Il a vraiment été fait à domicile, à Bruxelles, pendant la période particulière qu’a été le confinement. Et mon objectif, oui, c’était de trouver le soleil, celui qui sommeille en nous, celui qui donne de l’espoir.
PJ Harvey annonce un nouvel album et nous offre un délicieux premier singleTu es né à Bruxelles de parents congolais en 1981. Ton père a galéré pour pouvoir rester en Belgique pendant de longues années. Et tu dis toi-même que cette expérience, alors enfant, t’a permis d’avoir un regard acéré sur les contradictions de notre pays… Tu peux me raconter ?
Mon père a d’abord fait ses études ici avant de bosser à l’ambassade du Kenya. Il a ensuite fait un AVC, qui lui a fait perdre son boulot mais aussi son statut diplomatique. D’un coup, il a alors reçu l’ordre de quitter le territoire alors que moi, son fils, j’étais né ici et j’avais donc des papiers pour rester en Belgique. Cette expérience a été très confrontante, non pas face au pays mais par rapport à l’Etat belge et ses fonctionnements. Cette situation absurde a duré plusieurs années, où moi j’étais bien Belge mais pas mes parents. C’était violent comme vécu, et je pense que ça m’a forgé alors enfant pour ensuite se ressentir dans ma musique.
Tu continues avec Moyi, comme sur tes précédents projets, à traiter de sujets de société. Avec “Gabriel”, tu évoques l’homophobie et ses tabous, notamment dans les communautés pieuses et dans le milieu du rap. Comment est né ce titre ?
Tout a commencé avec un texte de Lisette Lombé qui s’appelait “Mon fils est gay”, qui a influencé directement l’écriture de “Gabriel”. Au moment de faire l’album, ça me semblait naturel d’évoquer ce type d’histoire dont on ne parle pas assez. Et la solitude d’une personne que j’ai vraiment connue, qui a souffert d’une situation d’exclusion. Dans cet album, je voulais simplement parler des gens et poser des questions, provoquer sans tomber quelque chose de moralisateur non plus. “Gabriel” résume bien cette idée.
Tu le trouves comment l’équilibre entre le léger et l’engagé ? Faire danser et réfléchir en même temps ?
Je n'aime pas quand la musique est plombante. Quelqu’un m’a dit récemment : “Les plus beaux livres, ce ne sont pas ceux qui nous donnent des réponses, mais bien ceux qui nous font nous poser des questions”. L’album résume bien ça. On a tendance à limiter les choses au noir et au blanc, et moi j’aime les zones grises. Puis, musicalement, moi j’aime bien quand il y a du groove, que ça bouge. Il faut aussi noter que je suis un héritier de la rumba congolaise, qui est une musique joyeuse qui traite de sujets graves comme l’esclavage ou la séparation.
J'aime bien les beaux costumes sur-mesures, donc si ça fait trop H&M ça n'arrivera pas
Tu donnes la réplique au Montréalais d’origine congolaise Pierre Kwenders sur "Gabriel". La rencontre de vos univers, qui ont beaucoup de similarités, c’était comme une évidence ?
Avec Pierre, on se connaît depuis dix ans à peu près. Via Instagram ou Facebook, je sais plus, on a fait connaissance. J'ai passé un peu de temps avec lui au Canada, puis il est venu aussi à Bruxelles pour les soirées Moonshine. Pour "Gabriel", je ne voyais que lui. On fait partie de cette petite scène congolaise alternative avec Petite noire ou Baloji, et les connexions se font naturellement.
Tu t’attaches également les services du producteur Jillionaire, ancien de Major Lazer. Il a apporté quoi de nouveau au projet Badi ?
Il a apporté ce côté "îles" ! Il a produit plusieurs morceaux à distance, depuis Trinité-et-Tobago, et son influence afro-pop a été primordiale. Il m'a envoyé plein de liens sur le web, des recommandations de lecture sur la musique noire, sur les îles, sur l'Afrique. Et humainement on a super bien accroché. Ce qui se ressent sur un morceau comme "Kata Maboko" par exemple, qui me fait un peu penser à du Bob Marley. Il a ce côté très groovy et en même temps profond, ce qui me plaît beaucoup.
Depuis tes débuts, tu navigues entre les genres. Rap, r’n’b, afropop,... D'où ca vient ce besoin ?
Au final, j'essaie de mon côté de juste faire du Badi, d'avancer, d'être dans le mouvement. Donc je m'en fous un peu d'être étiqueté. Parfois, oui, j'ai encore un peu peur. Avec Jillionaire, je flippais que ce soit trop commercial et au final ça colle, on arrive à faire quelque chose qui me ressemble.
Tu as souvent peur de faire des choses trop commerciales ?
Oui, ça m'arrive. Mais j'ai surtout peur des évidences, de la facilité, de faire un truc qui ne me ressemble pas. J'aime bien les beaux costumes sur-mesures, donc si ça fait trop H&M ça n'arrivera pas (rires).
Dans le pitch de l’album, tu dis qu’en Afrique "rien n’est jamais comme ça devait l’être au départ, rien n’est jamais prévisible là-bas". Tu peux élaborer ?
Moyi, l'album, c'est une journée typique à Dakar. C'est une journée où on est censé partir à la plage, puis il y a un orage terrible qui vient s'abattre sur la ville. C'est cette journée-là que j'essaie de raconter, ce périple où tu te laisses emporter au gré de ce qui se passe, où rien n'est préétabli, à la recherche du soleil. Elle s'oppose à la journée de la vie réelle, où tu as des impératifs.
Quelles ont été tes dernières claques musicales ?
Aujpurd'hui, j'ai écouté le dernier Lana del Rey qui est incroyable. Il y a le rappeur TIF que j'ai bien kiffé aussi récemment. J'ai beaucoup écouté du DJ Premier ces derniers temps également, ses remix, en mode un peu "back to basics". Sinon, en live, j'ai vraiment aimé les dernier spectacle de Youssou N'Dour. Aussi le dernier show de Kendrick Lamar, son côté très assumé, minimaliste, engagé.
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On va essayer d'emmener un grand soleil avec nous, au sens propre comme au figuré !