Jane Birkin : "Je suis drôle et violente à la fois, triste et joyeuse"
30 ans que Gainsbourg nous a quittés. Et elle n’a eu de cesse de porter son œuvre, de servir et magnifier les perles d’une magnifique parure poétique et musicale. Il était temps pour Jane de penser à elle et de nous livrer son portrait, entre drame, mélancolie et espoir. Et si ses filles sont d’exquises esquisses, Jane en est le modèle absolu. Rencontre sous le signe de la sincérité.
- Publié le 03-05-2021 à 09h14
- Mis à jour le 03-05-2021 à 10h50
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Elle n'a aucune tendresse pour elle-même mais le public lui en témoigne tant. Un album n'est pas un journal intime, il va au-delà des faits, les transforme tout en restant au plus près de la vérité. Jane Birkin s'est livrée totalement avec la publication de ses journaux intimes. Quand la vie de sa fille Kate s'est arrêtée en décembre 2013, les journaux s'étaient refermés. C'est Étienne Daho, en bon ange gardien de la famille, qui l'a convaincue de prendre la plume. Oh Pardon tu dormais… , co-écrit et composé par Daho et Jean-Louis Piérot, est une véritable claque, un témoignage sans faux-semblant porté par des mélodies imparables.
Paris Match. N'y avait-il qu'Étienne Daho pour vous décider à écrire ces chansons ?
Jane Birkin. J'ai eu tellement de chance de tomber sur quelqu'un qui croyait tellement en mes textes. Il a voulu me mettre en valeur tout en taillant dans les textes originaux de ma pièce Oh Pardon tu dormais… Toutes les chansons étaient nostalgiques et sans doute tristes. Du coup, j'ai bénéficié de son incroyable énergie, de sa jeunesse d'esprit, de sa sensualité. Il a tout de même insisté pendant 25 ans pour que je le fasse ! Il s'est aussi inspiré de passages de mes journaux intimes récemment publiés, notamment en ce qui concerne des thèmes comme la jalousie. Daho est un accoucheur de talent, même si les musiques sont de lui et de Jean-Louis Piérot. Il m'a poussé à la débauche et nous nous sommes répondus pour parler de mélancolie, des coups de foudre qui ne durent pas…
Mais vos deux premiers textes font référence au drame immense de la mort de votre fille Kate.
Je suis arrivée d'emblée avec « Cigarettes » et « Ces murs épais », il comprenait cette terreur des cimetières. « Cigarettes » est un texte très délicat, il fallait oser proposer une musique à la Kurt Weill genre « Opéra de Quat'sous » pour accompagner des mots aussi violents. Il m'a aidé à accoucher de ces deux titres avant de pouvoir passer à autre chose. Chez moi, en Bretagne, j'ai pu, à partir de leurs mélodies, écrire notamment une chanson comme « Ghosts » qui dégage quelque chose de très gothique et anglais, dans l'esprit des dessins de Gustav Doré avec ses cavernes sans fin et ses anges déchus. Je tenais à ce que ma sensibilité anglaise se retrouve aussi dans cet album.
Aviez-vous le désir de vous livrer totalement, de tout dire ?
Pas consciemment. Après 4 ans de concerts symphoniques, de Hong Kong à New York, en traversant le monde portée par les merveilleuses orchestrations de Nobuyuki Nakajima, j'avais le sentiment d'avoir livré ce qu'il y avait de plus beau avec les chansons de Serge. Mission accomplie. J'ai fait ça durant 30 ans et la tournée symphonique était un aboutissement de toute beauté. Je me permettais alors de penser à moi, ça y est, j'avais le droit. Mais il a fallu que je livre mes deux chansons sur Kate. Comment pouvais-je commencer autre chose sans parler d'elle, de ce drame qui a secoué toute ma vie ? Depuis 7 ans, je n'en disais pas un mot et j'avais trouvé très belle la chanson que Charlotte lui a consacrée. J'ai arrêté net d'écrire mes journaux intimes à sa mort. J'avais tout donné mais il me restait à parler d'elle et de cette tragédie.

Rejeter la tiédeur
Vous avez des mots assez durs sur vous. Il ne serait pas venu le temps de la tendresse de Jane pour Jane ?
Non car je n'en ai jamais eu. Je ne m'aime pas quand je relis mes journaux, je trouve que j'étais une personne bien trop lâche, peureuse, influencée par les autres, voulant plaire à tout prix. Et c'est tout ce que je n'aime pas. En fait, il m'a fallu du courage pour abattre toutes mes cartes devant le public. J'avais peur de décevoir en me montrant telle que j'étais vraiment plus jeune. C'est très difficile de dévoiler ses journaux intimes, alors que des textes ou des chansons ne sont qu'une interprétation de votre vécu à travers la poésie. Après Serge, il m'est impossible de qualifier de poésie ce que j'écris. Mais Etienne Daho m'a aidé à maîtriser mon écriture. Surtout, il m'a poussée à ne pas être tiède car je ne le suis pas. Je suis drôle et violente à la fois, triste et joyeuse. Cet album est teinté de mélancolie et d'amertume mais sans tiédeur et sans être larmoyant. J'ai horreur de m'apitoyer sur moi-même et surtout que les gens s'apitoient sur moi. Je suis en train de lire un essai de Cynthia Fleury « Ci-gît l'amer : guérir du ressentiment » pour comprendre comment guérir d'un choc tel que je l'ai vécu. Il faut accepter que ça existe et le changer en autre chose. Un artiste a la chance de le changer en tableau, en sculpture ou en chanson. Serge l'a fait en écrivant « Fuir le bonheur… » ou « Les dessous chics » à propos de notre séparation. Pas de sordide, pas de mesquinerie, juste le minimum de mots pour le maximum de sentiments.
Que ressentez-vous devant le côté universel de ces nouvelles chansons ?
C'est magnifique quand les gens peuvent se reconnaître ou partager un même sentiment à travers une chanson. Avec « Ta sentinelle », je désire que les gens avouent, comme moi, qu'ils envient les amants s'embrassant dans les parcs. Moi aussi j'ai connu cette fièvre mais ça n'a pas tenu la route. Etienne m'a donné 2 ans de sa vie pour mettre de la lumière sur mes mots et donner envie aux gens de dire « Ah, moi aussi ».
« Pas de sordide, pas de mesquinerie, juste le minimum de mots pour le maximum de sentiments. »
Croire en l'autre. C'est ce que vous avez toujours fait avec vos filles ?
Quand j'ai entendu Lou jouer « I.C.U. » à la guitare, j'ai su tout de suite que ce serait sublime. Et j'aurais adoré être producteur pour la produire moi-même. J'ai cherché qui pouvait me la mettre sur du velours, révéler ce qu'elle a de plus beau. Sa nudité était exemplaire mais comment l'habiller, la parer du plus beau des costumes ? Et j'ai pensé à Etienne.
Vos filles ont-elles été parmi les premières à écouter les chansons de cet album ?
Oui mais elles n'ont pas été les plus tendres ! Rien n'est plus difficile que de se dévoiler devant ses enfants. L'inverse est également vrai. Surtout quand il s'agit de sentiments aussi intimes. Lou m'a trouvé punk ! Et Charlotte m'a confié que j'avais bien fait d'écrire « Cigarettes ». Par contre, elles n'ont pas aimé les photos, elles trouvent, comme nombre de mes amis, que ça ne me ressemble pas car je ne suis pas souriante. Moi je les aime, c'est ce qu'il fallait. C'est difficile de juger des photos professionnelles. Je trouve toujours que mes filles sont plus belles que sur les couvertures de leurs albums.
Comment recevez-vous tout cet amour du public ?
J'ai toujours peur de décevoir. Il faut donc donner le maximum sur scène mais pas seulement. Il faut aussi surprendre, livrer l'inattendu. L'amour du public, je n'y pense pas. Vous savez, c'est toujours plus facile d'offrir des cadeaux, ce que j'adore faire, que d'en recevoir. Moi, j'aime faire, mon excitation, mon plaisir viennent de l'action. Je ne regarde jamais mes films ni n'écoute mes disques.
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Où en est le film que Charlotte tourne sur vous ?
Il est terminé à mon sens. Et je sais quelle chance j'ai d'avoir pu passer tous ces moments avec elle. Durant 7 ans elle a vécu à New York. Et là, je l'ai eue juste pour moi, à différents moments puisque le tournage s'est déroulé sur 3 ans. Ce fut une période exquise et rarissime. Il y a autant de questions que de réponses dans ce film. Charlotte reste pour moi un mélange d'attraction et de mystère.
Qu'avez-vous transmis à vos filles ?
En tout cas, elles me transmettent tant de choses. D'autant plus récemment, Charlotte avec son film et Lou avec ses mots si touchants lors des dernières Victoires de la Musique. Je pense que je leur ai transmis mon enthousiasme. Dès le départ, je les ai accompagnées dans leur chemin. Je ressentais une telle excitation en regardant Kate dessiner ses premières robes ou réaliser ses premières collections mais aussi quand elle est devenue photographe. J'ai ressenti cette même excitation pour les premiers films de Lou et ensuite pour sa carrière musicale vécue comme une renaissance. Je suis tellement fière de l'avoir entendue et encouragée. Et Charlotte, je l'ai proposée pour le film « Paroles et musique ». Je sentais qu'elle devait devenir actrice, que ce serait bien pour une enfant de 12 ans de parents séparés de vivre un tournage auprès de Catherine Deneuve. Pour toutes les trois, j'y ai cru. Si j'avais pu courir partout avec un drapeau pour crier leur talent, je l'aurais fait. Et c'est un peu ce que j'ai fait. Mais leur sens de l'humour, elles le tiennent de mes parents. C'est ce qui fait d'elles les personnes les plus plaisantes à aimer.