L'interview rétrofuturiste de Feu! Chatterton : "La fête est une harmonie, un moment d'humanité"
Il y a de ça 15 ans, en mars 2021, Feu! Chatterton sortait son meilleur album et marquait toute une époque. Politique, enlevé, jouissif et surtout prédicateur, Palais d’argile résonne toujours et se montre plus actuel que jamais. Rencontre avec ceux qui n’ont plus vu la lumière du jour depuis longtemps.
Publié le 29-04-2021 à 20h06 - Mis à jour le 02-05-2021 à 11h33
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30 avril 2036. Alors que le Covid-zy-12 divise l’humanité, les spectacles vivants et autres rassemblements sont toujours interdits par des gouvernements plus répressifs que jamais. Mais certains artistes se mobilisent depuis des années pour faire vibrer une population toujours plus oppressée par l’angoisse sanitaire. Une rébellion musicale, cinématographique et poétique se met en place dans nos souterrains, où la liberté de l’être reprend peu à peu ses droits. Des foules entières se retrouvent clandestinement pour célébrer les arts et créer la résistance face au dogme des technologies toutes puissantes. Chantres de ce réveil populaire et recherchés activement par les polices du monde entier, reclus dans les méandres des labyrinthes créés sous nos villes, les membres de Feu! Chatterton nous accordent une interview exclusive, eux qui n’ont eu de cesse de nous alerter sur les dangers d’un Big Brother devenu maître tout puissant…
Paris Match Belgique. Bonjour Feu! Chatterton, merci de nous accorder cet entretien vidéo sécurisé par vos hackers.Cela fait maintenant 10 ans que vous êtes exilés dans une base souterraine, bien cachés à l'abri de la répression que subissent les artistes. C'est un peu votre Palais d'argile là-bas ?
Sébastien Wolf. Elle est faite de tout sauf d'argile notre base, ici c'est un bunker ! On doit à tout prix éviter que nos télécommunications soient piratées par le Big Brother. On est hyper organisés depuis 10 ans pour vivre dans cet isolement. Nos copains hackers, qui vivent avec nous, ont bâti un espace de création inaccessible en sous-terrain, où on organise aussi des concerts pirates.
Arthur Teboul. On a dû se résoudre à emprunter les armes de l'ennemi. En 2021, on ne s'attendait pas encore à ça. On espérait naïvement retrouver la liberté d'antan, la communion entre l'homme et la nature, les arbres, la Terre, la boue ! Mais non, le destin nous a conduit à une résistance technologique et à chasser la naïveté. On reconstruit, avec nos enfants et dans cet espace de création, une simplicité des rapports.
Sébastien Wolf. On aurait jamais pensé à l'époque qu'Internet devienne tant cet élément de contrôle. En 2021, quand le premier virus est arrivé – c'était le Covid-19 je crois…, les nouvelles technologies ont de suite été récupérées pour censurer à tout-va et nous contrôler. Malgré cette emprise, on a encore envie d'être utopiste et de croire en un monde différent. Et on est loin d'être les seuls.
Arthur Teboul. On aimerait aussi manger quelques légumes dans notre bunker. Là on essaie de construire une serre mais c'est pas évident…
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Vous n'êtes pas tout seul sous la surface. Il y a qui d'autres comme artistes avec vous dans cette base ?
Sébastien Wolf. On est très nombreux ici et il y en a pour tous les goûts. Tu peux croiser Damso ou encore Clara Luciani dans les couloirs. C'est un peu dur à imaginer mais c'est gigantesque ici, il y a une grande salle de concert en plein centre de la structure, qui fait aussi office de lieu de répétition. Et surtout, on écrit tous des chansons ensemble.
Raphaël de Pressigny. Et il n'y a pas que des musiciens et chanteurs, tous les domaines sont représentés. Il y a James Thierrée qui fait souvent des spectacles dans la salle…
Sébastien Wolf. EtBallaké Sissoko aussi, avec qui Arthur et Raph ont bossé en 2021 d'ailleurs, sur son album Djourou.
Arthur Teboul. On est venu avec les copains de Catastrophe aussi.
Sébastien Wolf. Il y a Caetano Veloso également qui a pris le dernier train pour nous rejoindre.
Arthur Teboul. Et U2 ! Comme on avait une relation épistolaire avec eux en 2025, on leur a dit 'les gars, ça sent le roussi, on a un plan dans les souterrains'… Mais attention, il n'y a pas que des artistes, il y a des boulangers, des cordonniers, des philosophes. On essaie de recréer un petit monde.
C'est une véritable ville qui s'est bâtie en sous-sol…
Arthur Teboul. Tu vois Paris ? Et bien c'est la même chose mais en-dessous.
Sébastien Wolf. Ça s'est construit progressivement, au fil des années, en mettant chacun à contribution.
Dans Palais d'argile, vous vous inquiétiez des lumières bleues et autres millions de pixels qui nous entourent, tout en restant confiant en l'avenir. Aujourd'hui, vous rêvez toujours d'un «Monde Nouveau» ?
Arthur Teboul. Attends parce que là on a eu un bug dans la transmission, on a pas entendu ta question et un de nos informaticiens pense qu'il y a une tentative d'intrusion d'un État ennemi dans notre système.
Raphaël de Pressigny. Il me dit que c'est bon, tu peux répéter ta question ?
(bis)
Arthur Teboul. Je crois que c'est quand il a dit le mot 'rêve' qu'il y a eu intrusion, c'est un des mots interdits maintenant. Mais pour répondre à ta question, oui évidemment on continue de rêver. On nous fait passer le rêve comme quelque chose d'inutile, de naïf et de vain. Alors qu'il n'est que les prémices d'une transformation du monde.
Sébastien Wolf. À l'époque déjà il y avait toute une génération qui rêvait, qui se questionnait. Les mouvements antiracistes, la réflexion sur le genre, la mobilisation sur l'environnement… Beaucoup de jeunes se sont battus, sont restés à la surface pour se battre et on veut bien sûr leur rendre hommage.
Avant 2020, il y avait de grands festivals où les gens se réunissaient par milliers et qui faisaient office de grande catharsis collective absolument géniale.
Vous parliez de la grande salle où se jouent les spectacles…C'est quoi qui vous motive de continuer à faire vivre le spectacle vivant coûte que coûte ?
Arthur Teboul. C'est la fraternité. Ces instants de partage aussi intenses sur la scène et entre nous, et avec le public. Ce qui a toujours été beau dans la célébration collective, dans la fête, c'est que des gens de tous bords, de tous horizons, peuvent être en harmonie et vivre un moment d'humanité unique.
Raphaël de Pressigny. Ce qui est très important, c'est que dans spectacle vivant il y a le mot 'vivant' qui est devenu primordial. À la surface maintenant vous avez ces lunettes spéciales qui ont remplacé les téléphones et n'avez plus aucun contact avec ce qui vit, avec la réalité. Nous ici, on veut se confronter à l'aléatoire, à l'invisible, à la matière.
Arthur Teboul. À l'imprévu, à l'accident aussi. Grandir avec ces lunettes spéciales, c'est renoncer à la fragilité, aux imperfections. Il faut combattre cela. Sur le chemin de la vérité et de la vraie nature de l'humain, il faut se débarrasser de toutes ces facilités.
Sébastien Wolf. Déjà à l'époque, les gens se sont habitués à ne plus se retrouver pour faire la fête. En 2020 a commencé une ère où on restait chez soi, où on ne se retrouvait plus autour de choses inutiles tous ensemble. Et je pense que l'essentiel de la vie humaine ce sont ces moments-là. Donc ici, on fait tout pour entretenir cette forme de gratuité, ce vivre-ensemble. Faire n'importe quoi tous ensemble, c'est l'essence même de nos vies d'artistes. Avant 2020, il y avait de grands festivals où les gens se réunissaient par milliers et qui faisaient office de grande catharsis collective absolument géniale.
La poésie, elle est où dans tout ça ?
Arthur Teboul. La poésie c'est l'oxygène. Moins on a d'espace physique, plus on a besoin de cette fenêtre que représente la poésie. Nous, ça fait longtemps qu'on n'a plus vu de vraie fenêtre, et on a constamment besoin depuis notre bunker de raviver les harmonies, de les cultiver en nous avec la joie de l'enfant, de l'inattendu, de la surprise.
Raphaël de Pressigny. Tous les gens qui sont avec nous ici sont des poètes. L'ébéniste et le boulanger font de la poésie avec leurs mains, ils ont une prise sur la matière, sans lunettes spéciales, et savent regarder le monde tel qu'il est. Ils n'ont pas besoin d'un appareil pour se connecter aux autres.
Sébastien Wolf. Même avant les angoisses sanitaires et technologiques, il y avait de nombreux signes avant-coureurs sur l'effacement de la poésie. La sensibilité par exemple, elle s'était déjà perdue avant. Depuis le bunker, on fait des ateliers pour retrouver une sensibilité à la nature, au vivant, à plein de petites choses qui disparaissaient déjà dans les années 2010.
Cultiver sa lumière intérieure
Face au monde d'au-dessus qui est désocialisé, vous avez donc entrepris un travail de resocialisation ?
Arthur Teboul. C'est tout à fait ça ! Mais je tiens à préciser qu'on n'est pas les chefs de file du mouvement. On essaie d'avoir une organisation horizontale, de faire partie d'un écosystème, d'un superorganisme. Nous en tant que musiciens et poètes, on apporte notre pierre à l'édifice mais c'est avant tout une construction collective.
Et ça fonctionne comment ? Vous avez une assemblée où vous votez pour prendre des décisions ?
Arthur Teboul. Oui bien sûr. Mais ça prend énormément de temps. Ce qui pousse certains à s'emparer du pouvoir, c'est la flegme, l'obligation de décider vite. Le dialogue, la conversation, c'est très laborieux et ça va à l'encontre de l'homme individuel. Mais c'est ce qui nous guide.
Raphaël de Pressigny. Et surtout on fait des assemblées mais pas que pour prendre des décisions. Un peu à la manière des Indignados en Espagne et de Nuit Debout dans les années 2010, on se retrouve pour discuter d'un sujet pour le comprendre mais pas pour décider dans l'urgence.
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Vous imaginez retourner un jour là-haut ? Elle ne vous manque pas la lumière ?
Arthur Teboul. Elle nous manque terriblement cette lumière qui fait pousser les plantes, qui donne la vie. Mais on a aussi cette lumière intérieure, qui fait qu'on continue de se battre et qui nourrit chaque homme. On la cultive pour garder l'espoir d'un jour remonter.
Raphaël de Pressigny. Ils sont tellement en train de s'entretuer en-haut qu'on attend la faille. Le système s'écroulera de lui-même.