La jeune génération des rappeuses qui percent

Dans le rap francophone, les femmes ont du mal à se faire entendre.

Lizzo est la nouvelle star du rap.
Lizzo est la nouvelle star du rap. ©AFP or licensors

Le rap est partout en France, les rappeurs surtout. Si les femmes restent encore largement absentes du devant de la scène, une jeune génération commence à percer, portée par les réseaux sociaux. Aux États-Unis, vivier du hip-hop mondial, des femmes comme Cardi B ou Lizzo alignent les tubes. Ailleurs, de nouvelles têtes rencontrent le succès comme l’Australienne Sampa the Great ou l’Ukrainienne Alyona Alyona. Mais quand on parle de rappeuse dans le monde francophone, c’est souvent le nom de Diam’s qui revient alors qu’elle a pris sa retraite en 2012.

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Pourtant des femmes rappent depuis longtemps, avec talent mais sous les radars du grand public. Elles s'appellent Casey, Keny Arkana, Billie Brelok, La Gale ou la Belge Shay. «J'en ai marre qu'on me dise qu'il n'y a pas de femmes dans le rap», proteste Eloïse Bouton, fondatrice de Madame Rap, média en ligne dédié aux femmes et LGBT+ dans le hip-hop. Le retard français est «assez mystérieux, dit-elle à l'AFP, car les talents ne manquent pas. Et dans les concerts, il y a des femmes !».

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Mais quand on parle de rappeuse dans le monde francophone, c'est souvent le nom de Diam's qui revient alors qu'elle a pris sa retraite en 2012.

«En toile de fond, il y a tous les stigmates dont souffre le rap : c'est misogyne, ça vient de la banlieue… Ça pénalise les femmes par rebond», souligne Eloïse Bouton. Le style de rap dur qui domine les classements (Booba, PNL…) aligne en effet les clichés sexistes. Mais l'hyper-sexualisation peut aussi être féminine, comme l'ont prouvé Cardi B et Nicki Minaj aux États-Unis. Pour le rappeur Gradur, «c'est une question de mentalités»… et de temps : «On dit toujours que les Américains ont dix ans d'avance», souligne-t-il.

Une nouvelle génération frappe à la porte. «Tu cherchais des meufs dans le rap, je suis là», lance Le Juiice dans l'un de ses morceaux, parrainée par le rappeur star Fianso. Vicky R, Pearly, Illustre, Nayra, Tracy De Sá, Lala &ce sont aussi lancées. «Il y a un boulevard mais si peu de femmes ont réussi à s'imposer», déplore Chilla, rappeuse de 25 ans parvenue à se faire une place avec un second album en 2019. «Il y a un monde entre le moment où Diam's faisait du rap, que c'était très mal jugé par la société, et maintenant. J'arrive dans un monde où le rap, c'est la pop», souligne-t-elle.

Sur les réseaux sociaux, ces rappeuses trouvent un premier public bienveillant dans des concours de freestyles ou improvisations, comme Rap2filles, Rappeuz ou celui de la page Tuveuxdusale. «Elles sont souvent hyper complètes», souligne Eloïse Bouton. «On les a boudées alors elles ont tout appris toutes seules. Très jeunes, elles ont une identité super forte».

Alyona Alyona casse les codes

Alyona Alyona, ancienne prof de maternelle, rappe en ukrainien et assume sa taille XXL, sur scène et dans ses textes. Incarnation d'un rap féminin en plein essor. Le phénomène, âgé de 28 ans, a débarqué en France au coeur de la nuit – concert vers 4h du matin – au festival Trans Musicales de Rennes (ouest) début décembre. Puis, nouveau show emballant à Eurosonic, autre festival défricheur, début 2020, à Groningue aux Pays-Bas.Chaîne couleur or autour du cou, peignoir façon boxeuse aux motifs léopard, elle impressionne par son débit aux côtés d'Elina Panika, sa comparse au micro. Adhésion rapide du public. «Elle envoie ! Alyona Alyona, c'est le partage, le sourire, l'envie», commente pour l'AFP Jean-Louis Brossard, patron des Trans, croisé à Eurosonic.«Elle est hyper-bien, technique, rien à dire», se réjouit Eloise Bouton. «Et puis elle a une histoire», poursuit le boss des Trans.

Alyona Alyona est la nouvelle sensation. ©AFP
Alyona Alyona est la nouvelle sensation. AFP ©AFP or licensors

Sa vie bascule quand elle poste en octobre 2018 sur Youtube son morceau «Poisson». Elle y figure notamment en maillot de bain, sur un jet-ski, et impose ses formes en dansant entre deux filles à la taille mannequin dans une autre séquence. La vidéo cumule plus de 2,2 millions de vues. «J'étais enseignante dans une maternelle pendant 5 ans, dans un petit village près de Kiev», raconte-t-elle à l'AFP avant son show à Eurosonic. «Il y a eu tellement de vues sur cette vidéo, tellement de journalistes sont venus… Au début ça me faisait peur, mais maintenant ça va». Elle a laissé tomber l'éducation et s'habitue depuis 2019 à sa nouvelle vie entre concerts et caméras.«Dans «Poisson», il y a un message, ça parle des femmes qui ont des piercings, des tatouages, une couleur de cheveux étrange, un corps différent (de la norme) : nous, ces femmes, sommes comme des poissons et derrière la paroi de verre de l'aquarium, on n'entend pas les sales mots qui nous sont adressés».

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Au fil des chansons on repère des punchlines comme «On a un regard frais sur tout, mais on ne nous invite pas à la maison (…) t'as à vivre comme tout le monde ou mourir».La place des femmes dans le hip-hop ? Alyona Alyona en a entendu de belles. «On me disait que les femmes sont faites pour cuisiner, s'occuper des enfants, se faire les ongles, se maquiller… mais j'essaie de montrer que les femmes ont leur place dans les 'battles' (défis) de rap», raconte-elle.Elle a trouvé son créneau en laissant tomber les textes-clichés sur «la drogue et les gangs, car ce n'est pas ma vie réelle. Je vais chez mes parents en vacances». Dans un de ses clips on voit d'ailleurs ses géniteurs dans leur appartement.

«J'essaye de donner une inspiration, pas seulement pour dire aux femmes qu'elles peuvent rapper, mais pour croire en soi-même», complète-elle.Pourquoi cette fan d'Eminem – «il représente tout ce qu'il faut faire et ne pas faire», sourit-elle – ne rappe-t-elle pas en anglais? «J'enseignais en Ukraine et je voulais dire des choses en ukrainien». Mais elle nie tout geste politique par rapport à la Russie voisine. «Je n'aime pas les trucs politiques, ma génération est fatiguée de la politique qui est partout, dans les journaux, les réseaux sociaux… Nous, on veut créer des choses nouvelles, on a des 'performers', des peintres, tant de gens talentueux».

Le New York Times l'a déjà classée dans les 15 artistes à suivre sur le Vieux Continent.

Avec Belga

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