Junk Food : La bande dessinée qui nous fait réfléchir sur notre addiction au sucre

Aussi puissant que la cocaïne ou l’alcool, le sucre peut aussi nous rendre totalement accros. Émilie Gleason illustre avec talent les témoignages de plusieurs victimes, sans misérabilisme et avec humour. C’est LA bande dessinée à lire en ce début d’année.

Junk Food : La bande dessinée qui nous fait réfléchir sur notre addiction au sucre
"Il y a beaucoup plus de sucre dans les Cocas mexicains que ceux d'Europe", explique Émilie Gleason. ©Casterman

« Junk Food: Nom commun, anglicisme. Nourriture de faible valeur nutritive et de forte teneur en graisses ou en sucres. » Omniprésent dans notre quotidien, cet anglicisme est même rentré dans le langage courant. Si pour certains, la malbouffe se limite à un burger ou une pizza par mois, pour certains c’est une véritable addiction. Au même titre que la drogue ou l’alcool, les addicts peuvent se retrouver dans des groupes de paroles pour surmonter leur dépendance.

Junk Food: Les dessous d'une addiction est une bande dessinée didactique racontant les parcours de plusieurs malades, des food addicts qui ont perdu tout contrôle sur leur alimentation. Des milliers de personnes dans le monde sont totalement dépendants aux aliments industriels, surchargés en sucre et en matière grasse. S'ils détruisent leur santé, ils détruisent aussi leur vie et les accablent de culpabilité.

Émilie Gleason (dessin) et Arthur Croque (scénario) signent avec brio une bande dessinée d’utilité publique. Un travail de trois ans qui se ressent à la lecture de la BD. Au-delà des témoignages, on retrouve énormément d’informations détaillées sur la dépendance au sucre. La première étape étant de reconnaître son addiction, il est essentiel pour tout un chacun de lire cette œuvre et prendre conscience du pouvoir addictif du sucre. Nous avons rencontré Émilie Gleason pour discuter de ce problème sanitaire mondial.

ParisMatch.be. L'idée de cette bande dessinée vient d'une anecdote personnelle. Vous expliquez que vos cousins du Mexique sont venus vous rendre visite en France, et ils ont rajouté deux cuillères de sucre dans leur verre de Coca. Le sucre est devenu tellement habituel qu'on ne se rend même plus compte de notre consommation ?

Émilie Gleason. C'est là, en effet, où je me suis dit que c'était bizarre. J'y voyais un symptôme d'addiction totale. Ça me semblait tellement insensé de rajouter du sucre sur du sucre, sachant que le Coca est quand même décrié depuis si longtemps… Et en étudiant la question, je me suis rendu compte que Coca-Cola utilisait des sucres différents en fonction du continent. En Europe, c'est du sirop de canne ou de betteraves, alors qu'en Amérique du Nord, c'est du dextrose de maïs, qui est identique au glucose. Et je me rend compte également qu'il y a beaucoup plus de sucre dans les Cocas mexicains que ceux d'Europe. Ce qui est dingue, c'est que depuis 2020 au Mexique, la vente de sucreries et de soda est interdite aux mineurs dans certains États. On en n'a pas tant parlé que ça en Europe, alors que c'est une prise de conscience politique forte.

Vous pensez que c'est une solution d'interdire le sucre aux moins de 18 ans ?

Avant de l'interdire, je pense qu'il faudrait faire le tri dans les supermarchés, parce qu'il y a 80% des produits qui contiennent du sucre actuellement. Donc arrêter le sucre, c'est quasi impossible. Et il faudra arrêter de faire du marketing auprès d'enfants avant de pouvoir l'interdire, pour que ce soit compris. C'est comme quand on a essayé d'interdire les cigarettes et que les fumeurs n'étaient pas contents. Ça va être compliqué, mais on va y arriver dans tous les cas.

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Vous dites qu'il y a différents sucres utilisés dans le Coca-cola. Est-ce que celui utilisé en Europe est « mieux » ?

Oui, un peu, il y a moins de fructose que de glucose dedans. Le fructose est transformé en gras par le foie, et l'étouffe à petit feu. Alors que le glucose nourrit toutes nos cellules, même si en grandes quantités ça monte directement au cerveau, ce qui va activer le circuit de la récompense… exactement comme une autre drogue.

Est-ce que les versions light ou sans sucre des sodas sont des solutions ?

Psychologiquement et métaboliquement c'est terrible parce que l'aspartame va faire croire aux papilles que tu ingères du sucre, vu que c'est le même goût. Le corps sera donc prêt à réceptionner du sucre, sauf qu'il n'y aura rien. Du coup, la fois d'après, il va stocker deux fois plus de sucre. Et ça contribue fortement aux pathologies qui en découlent. Donc non, l'idéal est de se déshabituer du sucre et de l'arrêter, mais de ne pas essayer de le remplacer (même si c'est toujours plus facile à dire…).

guillement

La malbouffe est aussi utile qu'un verre d'alcool.

Dans les années 60, le lobby du sucre était très influent et avait fait croire que le seul ennemi était le gras. Est-ce que maintenant on commence à ouvrir les yeux ?

Oui, on en parle souvent. Ça fait des années que j'entends que le sucre est mauvais et qu'il faut arrêter, mais sans jamais se l'avouer vraiment car l'addiction qui en découle est importante. Le marketing et ces lobbys sont encore très féroces et s'accrochent. Mais c'est un problème d'ordre sanitaire mondial, ça touche absolument tout le monde.

Dans Junk Food, on découvre les expériences de plusieurs personnes qui étaient addicts de manière extrême. Comment on peut s'en rendre compte avant d'en arriver à ce point-là ? Est-ce qu'il y a des signes ?

Page 137, il y a un auto-test de Ashley Gearhardt de manière à ce que le lecteur puisse le faire s'il en a envie. Ce livre s'adresse aux gens qui ne comprennent pas la relation problématique qu'ils ont avec certains types de nourriture et de leur montrer que, éventuellement, il se peut qu'ils soient addicts et quelles sont les possibilités pour s'en sortir et déculpabiliser. Pour moi, c'est le principal problème avec la nourriture. Contrairement à l'alcool ou le tabac, tu as besoin de manger pour vivre et on fait cet amalgame entre nourriture et malbouffe. La malbouffe est aussi utile qu'un verre d'alcool, il n'y a aucun apport nutritionnel, mais elle n'est pas chère et on en trouve de partout.

Est-ce qu’on peut être addict sans être dans cette situation excessive ?

Oui on peut, c’est comme ça que la plupart des addicts s’en sortent. Avec cette BD, j’ai réalisé que je ne l’étais pas justement, alors que je pensais l’être. J’avais des pulsions absurdes pour les pâtes crues (notamment la pâte à crêpes). Mais très vite, j’ai réalisé que je n’appartenais pas aux 11 critères d’addiction, qui vont être pour la plupart une perte de contrôle. Il y a plusieurs degrés d’addiction, de léger à sévère, et le plus tôt tu en prends conscience, le plus tôt tu peux en sortir et le mieux ce sera.

Est-ce que tout le monde peut devenir addict ?

Non. Enfin, il y a trois traits généraux concernant l'addiction. Le premier c'est génétique. Le deuxième, ça peut être suite à un traumatisme, à un deuil, à des violences physiques ou morales. Les personnes vont donc rechercher du réconfort dans un produit ou une attitude. Et le troisième, qui est le plus fréquent, c'est évidemment les fréquentations (qui arrivent souvent quand tu es en secondaire).

© Casterman
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Vous parlez du rôle des lobbys dans la BD, mais est-ce que les autorités publiques n'ont pas aussi leur part de responsabilité ?

C'est très compliqué. Je détestais les lobbys et j'ai lu Sucre. Enquête sur l'autre poudrede Bernard Pellegrin. Ce livre m'a vraiment ouvert les yeux et j'ai arrêté le sucre pendant deux ans. J'ai aussi compris qu'un lobbyiste, c'était juste une personne qui faisait son travail.

On est allés à l'Assemblée nationale avec Arthur (Croque, journaliste et scénariste de la bande dessinée, ndlr) pour comprendre comment était votée une loi de malbouffe, comment fonctionnent les relations… Et ce n'est pas du tout la vision cartoonesque que j'avais, avec des petits hommes qui ensorcellent les gens. Pas du tout. Ce sont des relations humaines qui peuvent prendre jusqu'à 20 ans avec des chercheurs, et ils ne se rendent même pas compte qu'ils sont dans ce rouage. C'est dur pour les politiques de prendre position parce qu'ils sont déjà englués dans des relations fortes.

Après, l'argument des lobbys c'est de dire que chacun est libre de manger ce qu'il veut. Sauf que derrière chaque produit, il y a des dizaines de scientifiques qui sont chargés de les rendre addictifs. Pour générer du profit, ils sont prêts à rendre toute une population totalement malade et ça me rend malade.

Vous parlez de l'injonction à la maigreur qui peut déboucher sur des complexes et des troubles alimentaires. Est-ce que ces deux problèmes sont liés ?

Je pense que c'est clairement lié. Dans ces Food Addicts in Recovery Anonymous (FA), on compte 9 femmes pour 1 homme, et c'est pour perdre du poids dans la plupart des cas. Les femmes vont être atteintes de grossophobie au quotidien, bien plus fortement que les hommes. Pour reprendre l'exemple de Winnie, qui est le témoignage qu'on a le plus développé, elle commence les opiacés à 15 ans pour ne pas grossir car elle se fait des «binges» de 48h tous les week-ends (période où une personne ingère une grande quantité de nourriture dans un court laps de temps, ndlr).

guillement

Les pédiatres en ont marre de voir des enfants de 15 ans avec le même foie qu'un alcoolique de 50 ans.

Vous dites que « la malbouffe détruit des vies autant que la drogue »…

Si ce n'est plus, oui ! En 2019, 1 Mexicain.e buvait 163 litres de Coca par an. Ils ont 7 fois plus de chances de mourir du diabète du type 2 que d'un cartel. Aux États-Unis, une étude montre qu'il y a plus d'amputés de jambes à cause du diabète du type 2 que lors de la guerre en Afghanistan. C'est quotidien en fait.

Et puis il y a la NASH (maladie du foie, ndlr) qui me fait vraiment peur. Les pédiatres en ont marre de voir des enfants de 15 ans avec le même foie qu'un alcoolique de 50 ans. C'est une bombe à retardement. La maladie du foie gras était avant réservée aux alcooliques. Mais maintenant, on réalise que le fructose contenu dans les sodas ou les jus va directement dans le foie et l'étouffe aussi. Et ça c'est irréversible, et ça vient de plus en plus tôt.

C'est une graisse viscérale qui ne se voit pas. Donc un sportif de haut niveau qui boit du Gatorade tous les jours peut être atteint de fibrose ou de cirrhose. Un enfant qui boit un litre de Coca tous les jours aussi. Et comme l'addiction, ça va toucher tout le monde.

On parle souvent du lien entre « Junk food » et la nourriture de réconfort. Ça accentue la dépendance de manger du chocolat quand on est triste, par exemple ?

Après une rupture, j'allais acheter un pot de glace parce que je l'avais vu dans une comédie romantique. Il y a une habitude sociale accentuée par les médias et les films. C'est comme boire de l'alcool quand ça va mal. Pour la junk food, on parle de consommation hédoniste, donc uniquement lié au plaisir, non plus au besoin vital. C'est pour ça qu'il faudrait casser cette idée de gourmandise, des excuses «c'est pour se faire plaisir», «c'est mon anniversaire», «c'est Noël», «c'est Halloween», «c'est Pâques» …

Les matières grasses VS le sucre : Qui est vraiment le plus mauvais ?

Quand vous étiez enfant, vous mangiez la farine à la cuillère. C'est étonnant car on ne considère pas spécialement la farine comme de la « malbouffe ». C'est quoi qui rend la farine addictive ?

Il y a du glucose, et la farine actuelle est tellement fine que l'amidon est déjà transformé en glucose, et il monte directement au cerveau. C'est pour ça que la pizza fait partie des 5 éléments les plus addictifs: c'est à cause de la farine (et à cause du sucre qu'on rajoute dans la sauce tomate). C'est pour ça que les addicts au FA arrêtent le sucre et la farine, et c'est d'autant plus compliqué d'arrêter d'en manger car il y en a de partout.

Vous avez arrêté le sucre depuis 2018. Est-ce que c'était difficile au début ? Vous aviez un sentiment de manque ?

J'ai arrêté le sucre pendant 2 ans et j'ai repris mais je me contrôle. J'étais tellement énervée que je n'ai pas ressenti le manque. J'ai perdu 9 kg en 2 mois et j'ai perdu une acné que j'avais depuis mon adolescence. En arrêtant le sucre, plus rien ! Ça m'a tellement énervée de ne pas l'avoir su plus tôt…

Maintenant je cuisine tout, même mes cubes bouillons, mon granola, mes biscuits… J'adore les cookies, donc je les fais moi-même et je remplace le sucre par de la poudre d'amande. C'est de l'invention totale ! J'ai même réussi à recréer le goût du coca avec du gingembre, du thym, de la cannelle et de l'eau pétillante ! Une fois que tu arrêtes le sucre, ton palais s'y habitue et tu redécouvres les saveurs.

Mais contrairement à la cocaïne ou l'héroïne, c'est très compliqué d'être sobre parce que même prendre des petits pois en conserve, il y a du sucre. C'est pour ça que les gens n'ont pas forcément le syndrome de manque, parce qu'ils ont beau essayé d'arrêter, il y en aura toujours.

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