Le tsundoku, un art ancestral à la page
D’aucuns les accumulent sur leur table de nuit, d’autres préfèrent les assembler en pile décorative dans le salon. Ces livres qui s’amoncellent plus vite qu’il n’est possible de les lire ? C’est la pratique du tsundoku, un art ancestral développé à la cour de l’Empereur Muji.
- Publié le 06-05-2017 à 12h17
- Mis à jour le 06-05-2017 à 12h27
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«Même quand la lecture est impossible, la simple présence de livres procure un tel plaisir qu'acheter plus de livres qu'on ne peut en lire revient tout simplement à élever son âme vers l'infini… Même sans les lire, les livres doivent être chéris tant leur présence procure aise et bonheur». Heureux propriétaire de plus de 10 000 livres, le collectionneur américain A. Edward Newton avait su trouver les mots pour justifier sa passion dévorante. Auteur du livre Aspects pratiques de la collection de livres, Newton n'avait pourtant rien inventé : les délices de l'accumulation de livres étaient déjà connus à la cour de l'Empereur Muji, où cette pratique appelée tsundoku était le comble du chic.
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Culture nipponne
Jolie affectation de la bourgeoise nipponne du 19e siècle, soucieuse de présenter une apparence cultivée, le tsundoku, du japonais «tsumu» (accumulation) et «doku» (lecture) consiste littéralement à accumuler les livres sans les lire. Hérésie ? Pas s'il faut en croire Umberto Eco. L'auteur duNom de la rose est en effet l'heureux propriétaire d'une «antibibliothèque». Sa conviction: «les livres lus ont bien moins de valeur que les livres qui restent à lire. Une bibliothèque devrait contenir autant de livres inconnus que vos moyens financiers vous le permettent». Soit, dans le cas d'Umberto Eco, plus de 30 000 ouvrages.
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Paradis pour papyvores
Si aujourd'hui le nom Muji évoque plus le minimalisme épuré que l'accumulation compulsive de livres, la tendance à l'accumulation de livres, elle, est plus répandue que jamais. Pour s'en convaincre, il suffit de parcourir les photos de piles d'ouvrages colorés postées par centaines sur Pinterest. De quoi susciter l'envie et stimuler la créativité, à l'image de l'artiste autrichien Julius Deutschbauer et de sa Bibliothèque des livres non lus. Si le psychologue Nicolas Guéguen voit dans ce rêve de papyvore une incarnation du syndrome d'achat compulsif, «comme cette personne qui a 4 000 paires de chaussures à la maison mais qui porte toujours les mêmes vieilles», il est tentant pour les amateurs de tsundoku de croire que la vérité est ailleurs. Par exemple, dans les mots du philosophe français Gaston Bachelard : «le paradis, à n'en pas douter, n'est qu'une immense bibliothèque».