Wild Wild Country et le paradoxe de la vie en rose
Wild Wild Country et le paradoxe de la vie en rose
- Publié le 20-03-2018 à 16h15
- Mis à jour le 18-10-2018 à 10h40
:focal(663.5x362.5:673.5x352.5)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/IGUDRWVUKFG3BC4ZXGLQ64RF2Y.jpg)
Après s’être essayé avec succès au cinéma d’auteur, le géant Netflix prouve qu’aucun genre ne lui résiste grâce à Wild Wild Country, un docu-série aussi percutant qu’esthétique qui a su séduire tant les masses que la critique.
De prime abord, le scénario est pourtant vu et revu : un culte aux croyances alternatives, un leader aussi énigmatique qu'étrange, des fidèles gentiment allumés; mélangez-le tout et enfournez dans une localité reculée pour garantir tant une illusion d'isolement que le courroux des voisins peu habitués à ce genre d'énergumènes. Wild Wild Country ne pourrait être que le récit d'un endoctrinement parmi tant d'autres si l'histoire deBhagwan Rajneesh et de ses disciples ne se lisait pas comme le scénario haletant d'un thriller bourré de rebondissements. Empoisonnements, trahison, fraudes à l'immigration… La trame est sombre et contraste de manière éclatante avec les images en technicolor de ces rêveurs tout de rouges vêtus.
Lire aussi > Avec Dark, Netflix plonge au coeur des ténèbres et met la création européenne en lumière
Car au-delà des nombreux rebondissements de ce docu-série dont l'intrigue n'a rien à envier à celle d'une fiction, Wild Wild Country est avant tout un plaisir esthétique, ravissant ballet de nuances Pantone en 6 actes de 70 minutes. Il y a l'ocre délavé des tenues des disciples venus découvrir l'ashram deBhagwan Rajneesh à Pune, le carmin tapageur des robes de prêtresse de Ma Anand Sheela, le magenta des tenues bariolées des Rajneeshees qui arpentent le petit village d'Antelope… Et puis le rose vif d'une joue qu'on vient de gifler, car c'est bien de cela qu'il s'agit ici : Wild Wild Country est une claque etMark et Jay Duplass, les showrunners, enchaînent les coups avec l'agilité d'un boxeur. Emmenée par une bande-son envoûtante, la série ne laisse aucun répit, et on n'a pas plus tôt fait de faire preuve de compréhension ou du moins d'empathie envers les protagonistes que les masques tombent, révélant des personnages complexes et un culte bien moins innocent qu'il n'y paraît.

Des protagonistes hauts en couleur
Tout n’est en effet pas que code couleur tapageur et sessions de mysticisme sur fond de disco àRajneeshpuram, loin de là. Avec ses 80 000 hectares,son centre commercial, son centre de méditation gigantesque et son propre aéroport, cette ville utopique en plein coeur d’un coin rural de l’Oregon où les habitants se comptaient autrefois par dizaine dérange.

D’autant qu’il faut également composer avec la figure mystérieuse deBhagwan Rajneesh, le gourou reclus aux 93 Rolls Royce et au goût assumé pour les plaisirs de la vie, mais aussi et surtout son tempétueux bras droit, Ma Anand Sheela, coutumière des débordements en public et des menaces en tous genres. Le scénario catastrophe est perceptible dès l’installation de la secte dans l’Oregon, et on est pourtant bien loin de se douter de son ampleur, entre tentatives de meurtre, empoisonnement de masse et déplacement de milliers de SDF pour tenter d’influencer l’issue d’une élection.
Rythme haletant
Outre ces rebondissements en série, qui ne sont finalement qu'un reflet d'événements ayant eu lieu dans la vraie vie, la force des réalisateurs Chapman et Maclain Wayainsi que de Wild Wild Country réside dans un minutieux assemblage d'images d'archives, qui rendent le documentaire bien plus percutant qu'il n'aurait pu l'être s'il n'avait été qu'une série de témoignages entrecoupés de quelques extraits de journaux d'époque. Grâce à l'immense intérêt médiatique pour la secte dans les 80s et au goût des Rajneeshees pour la mise en scène, Wild Wild Country est un trésor d'images d'archive, mises en parallèle avec les témoignages des Rajneeshees 30 ans plus tard; contraste frappant entre leurs apparitions colorées dans les années 80 et leurs témoignages sombres aujourd'hui.

Les protagonistes interrogés ont beau avoir gardé leur verve intacte, ils ont en effet tout de même perdu un peu de leur superbe, et semblent parfois tout aussi hébétés que le spectateur en se remémorant certaines de leurs actions de l'époque. Le rebondissement le plus choquant de tous étant qu'en découvrant leur histoire, on en vient si pas à cautionner, du moins à comprendre l'escalade dans les deux camps, jusqu'au dangereux bouquet final. Car si la thématique de Wild Wild Country semble de prime abord relativement éloignée, elle est finalement plus d'actualité que jamais, et c'est ça qui la rend tellement haletante.