Sport Addict : ces passionnés de sport qui se dopent à l'endorphine
Course, natation, vélo, triathlon... Une addiction. Véritable deuxième vie, essentielle, cette «défonce» physique s'ajoute à leur quotidien d'employé, de chef d'entreprise, d'artiste, de graphiste ou de cadre. Nous avons rencontré Nicolas, 29 ans, Valérie, 56 ans, Jérôme, 45 ans, Nadège, 24 ans, et Thierry, 55 ans. Ils nous racontent, sourire aux lèvres, cette souffrance sportive qu'ils aiment endurer. Ils se disent touchés par la grâce, parlent de «sublimation». Un mysticisme par l'endorphine.
Publié le 08-02-2017 à 09h54 - Mis à jour le 08-03-2017 à 16h38
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Leur drogue à eux ? C’est l’effort,le point de côté, la transpiration, les poumons qui brûlent. De la natation au triathlonen passant par la course à pied, ces accros au sport fontde la souffrance sportive leurseconde vie. Cinq forçats de l’exercice racontent leur passion-addiction.
D'après un article PARIS MATCH FRANCE de Sophie de Villenoisy
Nicolas Leconte 29 ans, runner et chef de projet pour le Salon international de la lingerie
Lui préfère parler de passion plutôt que d’addiction. Même si sa passion de la course à pied l’oblige à avoir une organisation quasi militaire. Car, en plus de courir dix, quinze ou vingt heures par semaine (par exemple en période d’entraînement pour un triathlon ou un trail), Nicolas gère aussi la lourde organisation des 4200 participants du club Adidas Runners Bir-Hakeim (des équipes de coureurs se défient par quartiers dans Paris). Sans oublier une vie de couple et un job prenant dans l’événementiel.
J'avais mal, c'était l'enfer, j'avais des hallucinations, mais il n'était pas question que j'abandonne
En juin 2014, il s’inscrit à un trail en montagne, une course de 80 kilomètres non-stop dans le Mont-Blanc. Parti à 4 heures du matin, Nicolas va courir vingt-trois heures sans s’arrêter. «Pendant la course je me maudissais, je m’insultais de m’être mis dans une telle galère, j’avais mal, c’était l’enfer, sur la fin j’avais des hallucinations, mais il n’était pas question que j’abandonne. Je suis arrivé dans la nuit, seul dans la montagne, j’étais dans mon cocon mental, j’ai passé la ligne d’arrivée sur les genoux, le corps désarticulé. Je savais qu’un quart des concurrents avaient abandonné, j’étais fier d’avoir fini. Je suis allé au bout de moi-même, un très bon souvenir!» dit-il sans aucune ironie. Nicolas aime mettre son corps à rude épreuve. Mais en juin dernier il a lâché, terrassé par un staphylocoque doré (aux deux jambes) vraisemblablement contracté dans l’eau lors d’un triathlon. Résultat : deux mois d’hospitalisation avec les jambes qui ne répondent plus. Les premiers pas, après cette immobilisation forcée, étaient une victoire. Grâce à sa jeunesse et à son excellente condition physique, il a assez vite récupéré. Six mois après, il prépare un semi-marathon (avec un objectif de vitesse) et un trail multisports (vélo, course, kayak) de 55 kilomètres de nuit en forêt. Bref, la routine!
Valérie Bertoni 56 ans, runneuse et artiste peintre
Elle arrive dans cette brasserie chic de Montparnasse en boitant, mais le sourire aux lèvres : « J’ai failli venir à vélo !» lance-t-elle un brin provoc. Pourquoi pas, en effet, Bourg-la-Reine n’est qu’à une dizaine de kilomètres de Paris, ce n’est pas comme si elle était à trois jours de se faire opérer de la hanche ! Cette grande et belle brune, fine et élancée est, de son propre aveu, une hyperactive. Alors, qu’est-ce que 10 kilomètres à vélo, même avec une hanche en vrac ? Elle annonce fièrement qu’elle a couru la veille, la douleur était à peine perceptible et elle s’est sentie bien. Une vraie gamine.
Quand je cours il y a juste moi, mon souffle et le chant des oiseaux
Valérie Bertoni, peintre animalière à la ville, a toujours fait du sport : «Du tennis, du vélo, de l’équitation, de la natation, mais j’ai toujours eu la course en horreur ! Pourtant, il y a neuf ans, j’ai commencé à courir sur une plage normande. Avec pour paysage le soleil, la mer, les mouettes, j’ai trouvé ça très agréable, au point de continuer en rentrant à Bourg-la-Reine. Trois semaines plus tard je courais une heure par jour, j’étais devenue accro! La course à pied m’a tout de suite donné de grandes sensations. Je cours seule à mon rythme, sans musique, je profite du paysage, il y a juste moi, mon souffle et le chant des oiseaux. C’est un vrai moment de plénitude et de bien-être.» Dans son atelier, Valérie est seule face à sa toile ; quand elle court, elle est face à elle-même.
Des moments de solitude et d’introspection dont elle ne peut plus se passer. Courir la libère, mais pas seulement : «La course a réveillé mon esprit de compétition. En courant le marathon je me lance des défis, tout est mental. Physiquement je ne me prépare pas outre mesure, je ne fais pas comme certains qui se couchent à 20 heures et suppriment l’alcool six mois avant une compétition. Je continue de vivre ! J’ai une excellente condition physique, un très bon souffle et surtout je me prépare psychologiquement à finir ma course. La ligne d’arrivée d’un marathon est pour moi un grand moment. J’ai alors le souffle coupé, je suis submergée par l’émotion, c’est très fort ! Comme une explosion de bonheur. » C’est vite oublier la douleur physique. Lorsque sa hanche puis son genou ont commencé à la faire souffrir, Valérie a consulté des kinés, des ostéos. Et quand on lui parlait de « calmer le rythme », elle devenait comme sourde. La douleur était, selon elle, gérable. Pourtant elle l’a bien sentie en 2015 lors d’un semi-marathon, et ce dès le début de la course. Mais pour elle pas question de s’arrêter ! Elle s’était «programmée» pour finir, quitte à se tordre. Car Valérie gère sans doute mieux la douleur physique que la douleur psychique de l’abandon.
« J’avoue que je n’aime pas vieillir. Quand je cours je me sens forte, au mieux de ma forme.» Elle admet aussi être fière quand ses amis s’extasient sur ses exploits sportifs. Et en repensant aux marathons et semi-marathons qu’elle a courus, elle s’épate elle-même. «Grâce au sport, je me suis découvert une endurance et une force de caractère, et voir l’étincelle de fierté dans les yeux de mon mari me réjouit.» Dans trois jours Valérie se fera poser une nouvelle hanche. Le médecin lui a promis qu’elle pourrait courir dans quatre mois. D’ici là elle se mettra à la marche, sportive bien sûr !
Jérôme Baller 45 ans, cycliste et restaurateur à Paris
Ce grand jovial est le patron du restaurant Chez Pierrot, en plein coeur de Paris ; son métier, aussi prenant que stressant, lui demande une grande énergie, morale comme physique. A la suite d’une blessure (une épine calcanéenne) il y a neuf ans, il a dû passer de la course à pied au vélo, un sport de fou furieux qui lui va bien. Trois fois par semaine, entre deux services, il fonce à Vincennes pour rouler deux heures, et tous les dimanches matin il se réveille à 7 heures. Même s’il a fini de travailler à 2 heures, il part retrouver sa «meute» de copains (entre 50 et 70 cyclistes), «la Goutte», «Nounours» et les autres, pour s’évader pendant quatre heures à la campagne. Ensemble ils vont avaler 160 kilomètres à une cadence d’enfer.
On souffre mais c'est bon!
« Au début ça jacte, mais assez vite tout le monde se tait, c’est à peine si on peut respirer, tant le rythme est soutenu. Le cardio en prend un coup, on souffre mais c’est bon ! » Jérôme est un épicurien, il ne se refuse rien, et surtout pas l’alcool, même la veille d’une virée qui n’a rien de champêtre. Il «bouffe » la vie et se vide la tête. Sa façon à lui pour repartir de zéro chaque semaine. Ces heures à vélo lui sont aussi indispensables que l’oxygène qu’il respire, et tant pis pour la fatigue ! Jérôme n’est pas tellement du genre à s’écouter. Comme cette fois où, à 2 heures du matin après la fermeture, il décide de prendre le train de 5 heures direction le Sud, où il a une résidence secondaire, pour faire Montpellier-Aveyron (163 kilomètres avec des cols de 17 kilomètres à 5%). Il a un service dans les jambes, n’a dormi que deux heures et n’est pas assez couvert. Au bout de 120 kilomètres d’enfer, il tombe, tétanisé par quatre crampes aux cuisses et aux mollets, et s’explose l’épaule dans sa chute. Dépité et furieux, il appelle sa femme à la rescousse. «Un très mauvais souvenir, ça m’a déprimé, même si avec le recul je sais que c’était n’importe quoi.» Heureusement, il s’est rattrapé avec l’ascension du Mont-Blanc, dix heures de montée en raquettes à 4000 mètres d’altitude, les cuisses en feu et le coeur qui explose.
Un souvenir et un paysage inoubliables et cette sensation de se sentir si vivant. Comme tout passionné, Jérôme est un assidu du Tour de France et du Giro. «Quand ça s’arrête, on déprime!» plaisante-t-il. Aujourd’hui, il lorgne sur le Cape Town Cycle Tour, une course de 109 kilomètres qui réunit 35000 participants autour de la ville du Cap, en Afrique du Sud, avec des paysages époustouflants. Jérôme se voit continuer longtemps, comme certains de ses copains de vélo qui ont plus de 70 ans.
Nadège Fervault 24 ans, triathlète et graphiste
Elle est la benjamine de ce «quinté», mais pas la moins endurante. Depuis un an, elle s’entraîne dur tous les jours pour le triathlon et s’offre même les services d’un coach avec un abonnement en club (500 euros pour l’année). Quand elle se lève à 5h45 pour aller nager le lundi avant le travail, son coach l’accueille au bord du bassin. Pareil quand elle pratique le soir, parfois jusqu’à 22h30. Nadège a toujours aimé l’eau, enfant elle s’entraînait deux heures par semaine, jusqu’au jour où des problèmes aux genoux, dus à la croissance, l’obligent à se faire opérer. A 17 ans, un genou après l’autre, elle va endurer les séquelles d’une intervention et trois mois de rééducation à chaque fois. Pendant deux ans, elle ne peut plus faire de sport et prend 10 kilos. Une immobilité douloureuse pour cette «grande nerveuse ». Aujourd’hui, Nadège rattrape le temps perdu et consacre une bonne dizaine d’heures par semaine au sport. Elle aime se dépasser, même s’il lui arrive de se demander pourquoi elle s’inflige tout ça! Mais il lui suffit de repenser à ses deux années d’horreur pour retrouver la motivation. A chaque épreuve, Nadège oublie la douleur et ne retient que le bonheur de passer la ligne d’arrivée. Comme si elle renaissait à chaque fois.
Dans le bassin, à 6 heures du matin, je me sens bien, rien ne peut m'arriver
Toute sa vie tourne autour du sport: «Le lundi matin, je nage de 6 à 8 heures. Dans l’eau je me sens bien, zen, comme si rien ne pouvait m’arriver. Le mardi soir je cours entre une heure et une heure et demie, le mercredi en principe c’est repos, mais je retrouve mes copains du Adidas Runners Bir- Hakeim, pour 7 kilomètres de course. Le jeudi, on travaille la vitesse, les accélérations et on finit par une séance d’abdos. Le vendredi c’est natation (le matin ou le soir de 21 heures à 22h30). Le samedi, si je ne travaille pas, c’est vélo et course à pied et le dimanche c’est longue sortie à vélo: entre 60 et 80 kilomètres dans la vallée de Chevreuse.» Et la vie, dans tout ça?
«C’est vrai que ça laisse peu de place à une vie personnelle, mais je m’organise! Et puis, après les entraînements, faut pas croire, on boit un verre, enfin, un jus de tomate. Là, mon petit ami vient de me quitter, alors, quand je suis mal, je sors mes baskets et je cours. Il n’y a pas mieux pour se vider la tête!» Elle a rendez-vous avec son orthopédiste, ils feront un point sur ses genoux et cette douleur qui persiste… D’autant qu’elle a déjà prévu de courir au moins cinq triathlons en 2017!
Thierry Adeline 55 ans, ultra runner et chef d’entreprise
Ce quinquagénaire affiche une forme olympique, et a plus d’abdos que de rides! A son palmarès, presque 80 marathons: Paris, Berlin, New York, Amsterdam, Rotterdam, il les a tous faits. Son meilleur temps est de 2 heures 53, les connaisseurs apprécieront! Il parle de lui-même comme d’une «mécanique », rodée à la course. «Le corps humain est une machine fantastique, il suffit de l’apprivoiser et d’en prendre soin pour l’emmener là où on a envie d’aller.» Un dressage à la schlague, plutôt. Toujours plus loin. Thierry est passé à l’ultra-marathon (longue distance sur route et désert) et à l’ultra-trail (longue distance en forêt et montagne). Et là, ça ne rigole plus : des courses de 180, 200, 280 kilomètres sans s’arrêter ni dormir. Ni dormir? «Par manque de temps, tout simplement. Quand on doit boucler un parcours comme l’Ultra Ardèche, 208 kilomètres en moins de 36 heures, on ne peut pas s’arrêter 2 heures pour dormir. La première nuit, ça va, on est dopé aux endorphines, mais la seconde est difficile, il faut lutter contre les somnolences. C’est 36 heures d’efforts intenses, d’euphorie, de baisse de régime, de moral, et des douleurs. C’est aussi physique que mental. Il faut également savoir gérer les nausées, les vomissements. Mais une fois passé la ligne d’arrivée, on ouvre les vannes, ce sont les larmes et les émotions.» Comme si l’homme reprenait le dessus sur la machine à courir. «J’ai fait une dizaine d’ultratrails, dont la Diagonale des fous à La Réunion (163 kilomètres). Tout est question de préparation. Mais pour ça il faut respecter son corps, c’est la base!» dit celui qui est à l’arrêt pour deux mois, à cause d’une déchirure musculaire. «Je suis parti avec une blessure pour l’Ultratour du Léman, 175 kilomètres, je n’aurais pas dû. J’ai abandonné à 30 kilomètres de l’arrivée, un beau gâchis.»
C'est une façon de s'éprouver et de se découvrir dans ses plus petits retranchements
Mais outre les paysages magnifiques, qu’est-ce qui motive Thierry à pousser la «machine» aussi loin, comme il dit? «La connaissance de soi. Dans ce genre de performance on ne se bat pas contre les autres mais contre soi. C’est une façon de s’éprouver et de se découvrir dans ses plus petits retranchements. En ultra-trail, on ne triche pas. L’ambiance est fantastique, ce genre d’épreuves concerne peu de participants, une soixantaine, et quand il fait 50 °C dans le désert, un concurrent devient vite ton meilleur ami. Physiquement on est sur le fil, l’entraide et la solidarité sont vitales.» Tous les matins, Thierry se lève à 6 heures pour courir deux heures. «Je ne suis pas accro, je cours beaucoup, c’est vrai, mais pour moi c’est un équilibre de vie.» Ou une vie en équilibre sur le fil.
Lire aussi : La folie de l'ultra-trail
« Pris dans une spirale de performance »
Dr Aziz Essadek, Psychologue, spécialisé en psychopathologie et psychanalyse, ancien sportif (en équipe de France junior de judo), il a consacré sa thèse à son sujet de prédilection: le sport, la construction de la sublimation.
« Faire du sport, c’est jouir avec son corps. C’est aussi une façon de canaliser des angoisses, plus ou moins mortifères. Une forme d’addiction aux sensations de perte de contrôle sur le corps. Quand le corps échappe, on ne sait pas de quel côté la vie va basculer. Comme un drogué en plein shoot qui ne sait pas s’il va revenir. Bien sûr le rapport au sport est propre à chacun, mais l’addiction sportive est liée à sa relation à la vie et par conséquent à la mort. A la différence que, contrairement à l’alcoolisme, le ‘sportoolisme’ bénéficie d’une bonne image. Avec son corps de ‘surhomme’, le sportif fait rêver, porté par une image sociale valorisante. En exaltant le corps, même à travers la douleur, le sportif se sent vivant. Mais ce n’est pas sans danger. Comme l’alcoolique qui dit ‘je contrôle, je ne suis pas bourré’, le sport addict s’abîme, prisonnier aussi de son image. J’ai connu un ado qui avait préféré se faire casser le coude par son partenaire lors d’une prise de judo, plutôt que de sortir perdant de cette rencontre. La blessure était la seule issue face à la pression. Dans le cas d’une addiction, l’esprit et le corps échappent. Au-delà de la douleur, seule une blessure réellement handicapante peut arrêter le sportif. Ce dernier est pris dans une spirale de performance, qu’il a lui-même initiée, mais qui est relayée par son environnement: le regard social, l’entourage. L’image narcissique. Pour être sain, le sport doit rester ludique. »
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