Vivre éco-responsable, est-ce vraiment possible ? Notre immersion dans un petit village danois !
À côté du petit village de Hjortshøj, dans la campagne danoise, un éco-village a pris place il y a trente ans. Karin, habitante depuis les débuts, a vu la communauté grandir et s’épanouir. Mais aussi subir les défis d’un idéal éco-responsable.
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- Publié le 03-06-2023 à 15h25
- Mis à jour le 04-06-2023 à 11h50
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Ce dimanche matin, Karin plonge sa main dans la terre sèche du champ de l’éco-village de Hjortshøj (nom danois imprononçable d’un village situé à une petite demi-heure de la deuxième plus grande ville du pays, Aarhus). Elle y insère des jeunes oignons qui, dans quelques mois, donneront naissance à toute une culture prolifique. L’idée utopique, c’est de pouvoir nourrir les 300 habitants de cette communauté durable. Mais les choses ne sont pas aussi simples.
Lorsque le printemps émerge dans la campagne d’Aarhus, la nature se réveille. Le vent rugit avec intensité, et berce les parterres de fleurs colorés. “J’aime venir ici, même si je ne fais pas partie de la communauté. Je viens profiter de la nature avec ma fille”, lance joyeusement une mère accroupie au milieu du champ. À côté d’elle, un bébé à peine stable sur ses deux jambes apporte des oignons à sa maman. Elle le félicite, il repart avec élan vers le camion pour réitérer son exploit.
Emmitouflée dans son écharpe, Karin travaille dans le champ cultivable de l’éco-village, accompagnée dans son geste par d’autres habitants des environs. Si cette activité fédératrice est ouverte à tous, les récoltes, elles, sont destinées aux habitants de l’éco-village. “On ne peut pas se nourrir uniquement avec ce qu’on récolte dans les cultures”, regrette Karin. “On doit acheter aussi en magasin, mais on essaye toujours de favoriser les produits issus d’agriculture biologique”. Le champ cultivable, une serre et quelques poules entassées sur un terrain barricadé en plein air ne suffisent pas à nourrir tous les habitants. La quantité et la diversité manquent.



Rattrapés par la société
Quand Karin enterre ses derniers oignons, elle se relève avec vitalité et salue ses complices du jour. Son vélo la ramène chez elle à travers les chemins sinueux du village. À quelques minutes seulement du champ, la septuagénaire nous accueille dans son jardin fleuri, envahi par le bourdonnement des abeilles.
La maison de Karin est dissimulée derrière un pommier majestueux. “Quand on a emménagé ici avec mon mari, on a planté cet arbre. Aujourd’hui, il a bien grandi”. Le pommier a élu domicile dans l’éco-village il y a trente ans. À l’époque, il n’y résidait que trente-cinq habitants. Karin et son mari Peter en faisaient partie. Ils ont bâti leur maison de leurs propres mains. “L’idée première était de vivre de manière durable. On voulait l’expérimenter, pour ne plus s’arrêter aux beaux discours”, explique Karin en contemplant sa maison.
Pourquoi l'état de la nature en Europe inquiète de plus en plus ?Construite dans les années 90, elle n’est faite que de matériaux durables : les murs sont en briques d’argile non cuites, l’isolation est faite d’anciens billets de banque et les panneaux solaires permettent le chauffage de l’eau depuis le premier jour. “Tout ce qu’on a mis en place au début était innovant. Mais aujourd’hui, la société nous a rattrapés”, déplore Karin.
Il y a 30 ans, la communauté était à l’avant-garde en ce qui concerne les matériaux de construction et la durabilité. Mais les technologies ont évolué depuis, et les normes d’isolation se sont améliorées. Face à ce constat, Karin reste pragmatique : “On ne veut pas reconstruire notre maison et recommencer. Tout ce qu’on peut faire pour rester éco-responsable, c’est agir de la sorte”.
Karin aime investir son énergie dans le travail des champs, ou dans la boulangerie locale pour laquelle elle cuisine du pain deux fois par semaine. C’est sa manière à elle de maintenir le lien avec ses idéaux d’antan.


Une vie éco-responsable
Les matériaux des bâtiments sont durables, mais dépassés. Les projets agricoles sont menés avec enthousiasme, mais ne suffisent pas à répondre aux besoins. Alors qu’est-ce qui permet à l’éco-village de Hjortshøj d’encore se targuer de vivre une vie éco-responsable ? La réponse est à chercher dans une facette méconnue des villages écologiques comme celui-ci : l’esprit communautaire.
Selon un rapport de l’Université d’Aalborg de 2022 de cartographie et d’analyse des cohabitations au Danemark, près de la moitié des habitants qui vivent dans des éco-communautés dans le pays sont des couples avec enfants. Les familles sont sensibles à ce genre de vie. Il suffit de se promener dans les espaces communs du village pour le constater.
La diversité est un des piliers de la communauté
Devant le bâtiment communautaire, des enfants en bas âge s’amusent à construire des châteaux dans un grand bac-à-sable. Plus loin, quelques adolescents passent du temps à caresser des lapins dans une cage rustique. Anne-Sophie, elle, est attablée avec ses deux bambins. Elle revient sur les raisons qui l’ont poussée à emménager ici, il y a cinq ans. “Je voulais vivre près de la nature, mais aussi en communauté. Vivre ici, ce n’est pas comme vivre dans un quartier rural dans un village normal. Nous sommes plus investis socialement, on connaît mieux nos voisins”.
Également attablé non loin de la cage à lapin, Axel Thompson, administrateur du lieu, affirme que l’éco-village “est un endroit où tout le monde a sa place, d’où qu’il vienne”. Il affirme que “la diversité est un des piliers de la communauté. Avec la démocratie, et l’écologie”.
Dans les rues, on croise le regard de familles, de personnes âgées, de personnes handicapées ou encore de couples sans enfants. Toute une diversité, qui concentre une série de priorités différentes. Anne-Sophie est tombée enceinte quelques mois après avoir déménagé dans l’éco-village. Ses enfants ont changé son sens des priorités. “Le défi de vivre en communauté, c’est de devoir débattre pour tout, explique la jeune maman. Nous avons des besoins différents des personnes plus âgées par exemple, et ce n’est pas simple de trouver des compromis”.


Chaque mois, les habitants du village se réunissent pour parler des projets communs. Le dernier en date, c’est la mise en place de bornes de chargement pour les voitures électriques. Comme tous les habitants n’en profitent pas forcément, faute de posséder ce type de véhicule, les réunions doivent déboucher sur un compromis. Le projet n’est pas encore concrétisé. Mais ce qui est certain, c’est que le processus de discussion prendra du temps.
“C’est énergivore de participer à toutes les réunions. Je n’y vais pas tout le temps, même si c’est important d’y aller pour avoir une voix dans les décisions qui sont prises”, confie Anne-Sophie. L’éco-village fonctionne comme une démocratie. Les habitants qui vont aux réunions prennent les décisions parfois par vote. Le reste du temps, il suffit de débattre pour trouver un terrain d’entente. Karin, elle, ne manque aucun rendez-vous.
Pour vivre éco-responsable sur le long terme, il faut se reposer sur la communauté
Depuis trente ans, elle nourrit ses ambitions écologiques par la réussite de sa vie communautaire. “L’aspect écologique est important, bien sûr, affirme-t-elle. Mais le plus important quand on a créé la communauté, c’était d’avoir un endroit où tous pourraient vivre”.
Axel Thompson a désiré exprimer également son sentiment sur la dimension éco-responsable du village : “Je pense que ce n’est pas efficace de vivre isolé en essayant un maximum d’être durable, explique l’administrateur. Pour vivre éco-responsable sur le long terme, il faut se reposer sur la communauté : se coordonner, créer des projets et vivre de manière inclusive. Finalement, on réussira le défi écologique de ce siècle si on parvient à partager le mode de vie de notre communauté à la société en général”. Malgré ses imperfections, l’éco-village de Hjortshøj tend à vivre une vie éco-responsable. Cela semble possible, pour autant que l’aspect social soit au centre des projets durables.