Sale flic : “Pour regagner de la confiance, il faut 'aérer' les commissariats”

C’est le titre sans concession d’un livre choc paru récemment aux éditions Kennes : Sale Flic. Il s'agit d'une enquête sur les coulisses de la police belge et bruxelloise mettant en scène des policiers compétents déboussolés, abandonnés par leur hiérarchie et l’État. Mais aussi de fameuses pommes pourries qui échappent trop souvent à toute condamnation…

Security | Sécurité 29/08/2022
Security | Sécurité 29/08/2022 ©FLEMAL

Depuis quelques années, parfois même avant la période de la Covid-19, les rapports entre les policiers et la population, certainement une partie de sa jeunesse, ne sont pas bons. Ils sont faits de méfiance, de haine et de violence. Sale flic est le fruit d’une enquête de plus de cinq ans menée par les journalistes Philippe Engels et Thomas Haulotte. Et ce qu’ils y dévoilent est pour le moins inquiétant et demande des actions… Maintenant !

À coups d’éléments factuels, de récits et de témoignages de victimes de violences policières mais aussi de paroles de flics, ils abordent toute une série de thèmes absolument passionnants : l’effondrement du management de la police fédérale, des procès pour violences policières qui n’aboutissent pas, la tentation technologique sécuritaire….

Il est essentiel de mentionner, malgré la présence de faits assez durs dans le bouquin, que Sale Flic ne se veut pas uniquement à charge et ne reflète pas une volonté d’en finir avec la corporation. D’ailleurs le chapitre “Parole de flic !” donne la parole à ceux et celles qui font ce métier du mieux qu’il ou elle le peut et qui ont des valeurs loin du racisme ambiant de certains commissariats. Rencontre avec l’un des auteurs, Thomas Haulotte.

Parismatch.be. Votre livre Sale Flic sorti il y a quelques semaines à une résonance particulière en ce moment avec une nouvelle pièce versée au dossier d'une affaire en cours qui évoque l’attitude raciste du principal policier mis en cause dans une course-poursuite à Bruxelles en 2020 qui a mené au décès du jeune Adil à 19 ans.

Thomas Haulotte. Il faut savoir que la famille d’Adil a déposé plainte contre la police pour homicide involontaire et racisme. Or, le parquet à toujours privilégié le scénario du non-lieu. Ici, avec ces nouvelles accusations graves qui viennent de l’intérieur même de la police, cela devient un peu plus compliqué à maintenir. (NdlR : L’inspecteur principal a tenu des propos racistes par rapport au jeune Adil. Ce dernier se vantait d’en avoir “sorti un de la rue” par rapport à la mort du jeune.)

Avec ici le dépassement d’une certaine omerta qui règne dans la corporation puisque c’est une collègue du policier en question qui a dénoncé ces faits… Vous en parlez aussi dans votre livre.

C’est extrêmement courageux de la part de la lanceuse d’alerte… Et cela doit être souligné. Mais très vite la réaction même du chef de la police à de quoi étonner. Il parle de “propos déclassés, plus du tout en phase avec leur temps” mais “en aucun cas racistes”… Selon nos infos, ce policier n’a pas été sanctionné et aurait même bénéficié d’une promotion qui était déjà acquise avant la lettre dénonçant ses propos. Cela dénote quand même une certaine déconnexion de la police avec la réalité. Nous-mêmes, journalistes, depuis cette divulgation nous nous faisons violemment attaquer sur les réseaux et traités de “honte du journalisme” ou d'horribles 'islamo-gauchiste”… Et cela vient en partie d’un syndicat de police. Cette protection afficchée, que je peux comprendre, me semble néanmoins contre-productive pour la police.

Pourquoi vous semblait-il important de rédiger le livre Sale Flic ? Qui n’est pas qu’à charge il faut le préciser...

C’est très important de le souligner. Notre titre est volontairement accrocheur mais le but n’est pas de faire disparaître la police de notre société, pas du tout ! Mon métier m’a amené à couvrir pas mal de manifestations et des quartiers chauds de la capitale à Anderlecht, Molenbeek et Saint-Gilles depuis quelques années. Le point de départ, c’est le constat que beaucoup de jeunes de ma génération, j’ai 27 ans, craignent réellement la police ou éprouvent carrément de la haine. Comment est-ce possible ? Qu’est-ce qui a amené à cette situation ? Ensuite, nous avons amené tout une série de faits, de dates et de lieux afin de dépeindre un tableau global. Et nous mettons aussi en avant, avec mon co-auteur Philippe Engels, le sentiment d’abandon que ressent la majorité de la corporation composée de bons policiers. Ils se sentent très seuls face à ces pommes pourries qui font la loi en interne.

Quel est le 'next step' selon vous au niveau de l’évolution de notre police ?

À mon avis, le 'next step' ce sont les élections qui se dérouleront dans exactement un an en Belgique avec la police comme thématique de campagne. On voit que l’extrême-droite se rapproche du pouvoir au nord du pays et elle a une conception très personnelle de la sécurité. Ce qui rejoint aussi notre volonté d’écrire ce livre, c’est l’absolue nécessité côté francophone de se poser la question suivante : “quelle police veut-on à l’avenir en tant que société ?” Il y a aussi des rumeurs sur la régionalisation de la police. La faillite de la police fédérale amènera tôt ou tard à une série de réformes…

Il y a aussi dans votre livre un large volet consacré à la répression de la fraude fiscale et sociale, ce que l’on appelle la criminalité en col blanc. C’est assez effarant de se dire que la Belgique préfère finalement un arrangement financier plutôt qu’un procès allant au fond des choses dans de grandes affaires de ce genre…

C’est parce que la Belgique n’a pas le choix en la matière… Il s’agit d’une pure et simple faillite de l’État. C’est un manque total de moyens que la police financière subit et qui entraîne dans ses rangs un sentiment d’abandon, de la démotivation et de la démobilisation. On parle d’enquêtes qui nécessitent parfois des années d’investigations. Et vous avez des policiers financiers qui quittent le navire épuisé et dégoûté. Malheureusement, ce constat concerne aussi la police antiterroriste…

Que faut-il faire pour retisser du lien entre la population, du moins une partie de celle-ci, et la police ? Comment regagner de la confiance ?

La réponse se trouve sans doute dans le besoin d'aérer les commissariats, de rendre moins opaque ce qui s’y passe. Il y a quand même un élément qui joue en défaveur de la police et qui favorise cette méfiance : c’est la volonté de tout faire, même mentir, pour protéger son propre corps. C’est le cas dans les affaires récentes concernant Sourour Abouda, Ibrahima Barrie ou la petite Mawda. Dans ce dernier cas, le parquet a communiqué dans un premier temps que le policier n’avait pas tiré... C’est ce manque de transparence et ces zones d’ombre qui engendrent de la méfiance. Les délais de la justice sont trop longs aussi : six ans après les décès de Ouassim et Sabrina (Ndlr : lors d'une course-poursuite aussi) et trois ans après le décès d’Adil aucun procès n’est en vue. Cela maintient ce mauvais ressentiment. Le message n’est-il pas finalement pas ressenti comme “continuez vos bavures ou vos violences policères, vous ne risquez rien..." ?

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