Roi Philippe, dix ans de règne. Sacrée mission
La balade bucolique du 13 mai dans l’enceinte de Laeken, durant laquelle Philippe et Mathilde sont allés à la rencontre de 600 citoyens belges choisis pour leur diversité, est à l’image des impératifs de la fonction. Privilégier, de façon sensible et mesurée, les échanges directs avec la population. Dix ans de règne marqués par une communication sobre. Une présence tout-terrain. Des contacts avec les citoyens. Des speeches pondérés. Historiques aussi.
Publié le 18-05-2023 à 12h25 - Mis à jour le 19-05-2023 à 10h37
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Des visites d’État, des prises de température permanente. Une volonté infaillible de faire briller le pays à l’international et d’en maintenir l’unité. Le roi Philippe s’est révélé au fil des ans plus assuré. Très à l’écoute, aussi, des grandes questions de société.
Le couple royal privilégie de longue date les échanges en comité restreint, par rapport aux bains de foule, s’entend, même s’ils pratiquent aussi ceux-ci. Ils reçoivent constamment des figures du monde social, économique, politique, académique, scientifique et artistique. Ils aiment appréhender ce que le citoyen ressent, le refléter ensuite dans des objectifs communs.
Ce service s’impose aux Souverains. Écouter. Suggérer. Stimuler. Avertir, parfois. Des lignes directrices générales qu’on retrouve dans la plupart des monarchies constitutionnelles d’Europe. Il s’agit de prendre le pouls de la société civile. De soutenir les plus défavorisés, la jeunesse.
Le 10 mai, par exemple, le Roi visitait l’association JES à Gand. Un organisme qui « soutient des jeunes d’Anvers, Bruxelles et de Gand dans les domaines des loisirs, de l’éducation, de la formation, du travail et du bien-être ». Avec eux, il s’est rendu dans l’Open Lab, un endroit qui stimule la créativité grâce à des machines telles qu’une imprimante 3D, une découpeuse laser ou une presse à chaud.
Dans ce type de travail de terrain, Philippe convainc. Il établit un lien à travers des gestes concrets, pose des questions précises. Sans coquetterie. Le Roi a acquis une forme d’aplomb dénué d’arrogance. Une confiance qui était peu perceptible lorsqu'il était prince. La fonction fait l’homme, dit-on. Sa fille Élisabeth tient de lui cette qualité très « Saxe-Cobourg »: un intérêt pour les sciences, les techniques. Lors de sa visite récente en Égypte avec la reine Mathilde, de jeunes chercheurs s’extasiaient notamment sur la pertinence des questions de la Princesse autour d'outils antiques.

La reine Mathilde trouve les mots justes. Appréhender, avec ses atouts de psychologue, les fragilités mal exprimées. Elle a une mémoire des visages rare. Le couple royal partage ces atouts indispensables : un regard droit, une attention soutenue, une authenticité dans les propos et, en amont de leur travail de représentation, d’échange et de mise en relation, une capacité de travail assez phénoménale. Il y a aussi ces réflexes qui s’entretiennent à grands coups de visites de terrain et d’étude de dossiers : associer certains projets à d’autres initiatives existantes, rapprocher des sphères, faire fructifier les échanges à travers de carnets d’adresses en or massif. Ils apppliquent bien sûr cette touche indispensable au métier : peser les mots, éviter tout glissement vers le politique. La mission n’est pas simple, on le sait.
Un tandem qui roule
Philippe et Mathilde. Plus de vingt ans d’union et dix ans de règne en ostensible osmose. Ce « winning team » qui se complète. L’équipe qui marche, qui roule. Sans carrosse ni faste excessif. On est en Europe continentale, dans une monarchie constitutionnelle qui se doit d’afficher une forme de sobriété. Le couple belge a parfaitement intégré cette notion. Parler de Philippe, c’est parler de Mathilde, et vice-versa. Ils font régulièrement référence à leur conjoint, aux enfants aussi. Qu’on le veuille ou non, l’essence d’une monarchie réside dans la dynastie. Cette continuité en ligne de mire. Et puis, le couple, la famille sont des notions souveraines. Des facteurs d’apaisement. Égalité des chances ou presque.
"En 23 ans la reine Mathilde n'a sucité aucune polémique"« La Reine et moi… » D’autres ont utilisé la formule avant Philippe, mais elle a pris tout son sens au XXIe siècle. Un couple bosseur. Prompt à aller à la rencontre des Belges. Un impératif absolu réalisé par le tandem royal.
Philippe a pu imprimer, dès les premières heures de son règne, un style sans esbroufe. Il était prêt depuis belle lurette à endosser les atours de ce job dont il a rêvé, le regard un peu anxieux parfois, en écoutant Baudouin lui narrer par le menu la charge de représentation, d'union, de continuité, de diplomatie qui lui incomberait un jour. Destin lourd comme la pierre. Galvanisant aussi. Le challenge est quotidien. Tenir le rôle, être à tout instant au-dessus de la mêlée. Garder crédible la monarchie. Communiquer comme le veut l’époque, de façon directe, avec une forme de modernité relative, sans excès. En multipliant les contacts, sans promiscuité. En conquérant les esprits, mais pas à la hussarde. En captant l’attention sans jouer les politiciens. En s'exprimant sans monopoliser le porte-voix. En allant à la rencontre de la population sans tenter de séduire à tout prix. Sacrée mission, donc.
"Philippe, le roi qui a bluffé la Flandre". Entretien avec Vincent DujardinLe discours manque encore de fluidité, mais l’authenticité y est. Philippe est arrivé sur le trône « plus vite que prévu », résumait hâtivement, en juillet 2013, un quotidien français. Depuis, l’homme s’est à la fois détendu et rigidifié.
Le pas est plus franc, le verbe toujours longuement évalué, mais le débit s’est légèrement accéléré. Bien sûr, on est loin sur ce front de l’aisance verbale de la famille royale britannique, par exemple. Quoique, cette dernière a montré ses limites avec l’interview « car crash » d’Andrew ou les coming-out désordonnés de Harry. Mais c’est une autre affaire.
Au fil des ans, si le style, la gestuelle, le ton se sont quelque peu affirmés, Philippe n’a guère changé. Le prince qu’il était s’est toujours intéressé aux problèmes socio-économiques, au monde comme il va, aux merveilles de la science, à la magie des inventions. Il a, de très longue date, appris qu’il valait mieux poser des questions que d’y répondre.
"La Belgique a tout d'une grande"
Il est peu confortable de se prononcer sur quelque sujet, même d’apparence anodin, quand on est le porte-drapeau d’une nation sans pouvoir exprimer le début d’une opinion. A fortiori dans un pays en proie à des tensions communautaires comme la Belgique, l’Espagne ou le Royaume-Uni… Pas simple de ménager les esprits. De rester dans la ligne. De maintenir la cohésion des communautés face aux forces centrifuges. Un rôle crucial, le souverain étant aussi – et ce n’est pas le moindre des défis auxquels il est confronté – le garant de l’unité du pays.
Les challenges auxquels fait face la Belgique ont été parfois mis en parallèle avec ceux de l’Espagne. Dans son discours d’octobre 2017, le roi Felipe sermonnait les indépendantistes et leurs dirigeants. Les crises ne sont pourtant pas comparables. Le roi des Belges va de préférence, comme l’indiquait notamment l’historien Vincent Dujardin, professeur à l’UCLouvain, « souligner davantage ce qui fonctionne bien plutôt que de dénoncer ce qui sépare ».

Dans l’avion gouvernemental qui emmenait unepartie de la délégation à Tokyo pour la visite d’État de 2016, nous avions fait une allusion maladroite à la taille de la Belgique. Ce jour-là, les souverains belges nous parlent de ce pays insulaire où le temps se prend, où l’on savoure seconde après seconde, dans la plus grande sérénité, certains rituels. Le Roi se montre un peu compassé, mais loquace. Soudain, il se raidit lorsque nous évoquons l’excellent accueil que réservent sans faillirles pays étrangers, le Japon en l’occurrence, à un « petit » pays comme la Belgique. Petit certes, mais riche en talents. Et puis, c’est une façon de parler, enchaînons-nous prudemment, en pariant ouvertement sur le fait que Philippe ne va pas aimer l’adjectif. Il se raidit, pique un fard d’agacement. Silence bref. Il nous dit en substance ceci, sur un ton didactique et appuyé: « Petit, ça se dit d’un pays qui n’a pas tous les atouts, qui n’a pas toutes les disciplines. La Belgique a tout, tout. Elle a tout d’un grand ! » La renommée et l’image du royaume à l’international sont évidemment largement déterminées par la présence dans le pays des sièges d’une bonne trentaine d’organisations internationales. Cela, sa position stratégique et d’autres traits lui valent un solide rayonnement, s’empressent d’ajouter deux conseillers. La Belgique est reçue comme un géant au Japon et c’est lié aussi aux liens entretenus par les deux familles. « Petit » fait ainsi partie d’un vocabulaire que maudit le Roi en ce quyi concerne le Plat Pays. « Nous, les Belges, avons trop tendance à nous sous-évaluer. » C’est un de ses leitmotivs depuis des années.
Philippe mène ses visites d’État comme il s’est investi dans les missions. Avec la gravité d’un philosophe et la conscience d’une temporalité particulière : il faut marquer dans la durée. Continuité. Saine obsession de la transmission.
Belgique, Europe, concert des nations
Son discours s’est affirmé, surtout en anglais. Lorsqu’il s’exprime dans cette langue, il semble quitter un temps le carcan de sa fonction. Il a d’ailleurs admis à plusieurs reprises qu’il se sentait plus à l’aise à l’étranger. Ce fut le cas notamment lors de la mission économique princière qu'il mena en Chine, en 2007. Chaque visite est soigneusement préparée en amont par les Souverains. Chaque ville, chaque région, chaque pays est envisagé sous l’angle sociétal, économique, scientifique, culturel, littéraire, poétique…
Ce prisme aux accents philosophiques à travers lequel il aborde même les sujets scientifiques, le roi Philippe nous en parlera à plusieurs reprises. Il y a fait allusion, entre autres, lors de la visite d’État au Luxembourg en octobre 2019. « J’ai toujours rêvé d’être astronaute », ajoutera-t-il. Julien de Wit, astrophysicien verviétois, professeur au MIT (Massachusetts Institute of Technology) et découvreur d’exoplanètes, confirmera de son côté avoir été conquis par les questions « pertinentes » et l’attention soutenue du roi des Belges.
Les discours du souverain à l’étranger se font parfois plus audacieux. Bien sûr, ses déclarations sont cautionnées par le gouvernement, mais la politique étrangère est davantage généraliste, et souvent englobée dans une vision européenne. En 2018 par exemple, lors de visites d’État, Philippe exprimera son inquiétude par rapport au Brexit, soutiendra le CETA (accord commercial entre l’Europe et le Canada) et rappellera l’importance du multilatéralisme, alors éreinté par Donald Trump.
RDC : Le discours d'un roi
Sur un front international toujours, plus largement sociétal cette fois, il y eut cet épisode fort au contenu historique, aux accents novateurs. Le 8 juin 2022, lors de sa visite en RDC pour le 60e anniversaire de l’indépendance, Philippe prononce à Kinshasa un discours très attendu. Il y exprime ses « profonds regrets » pour un « régime colonial » basé sur «l’exploitation» et « le racisme ». C’est la première visite d’État en RDC depuis celle d’Albert II en 2010. Le voyage s’inscrit dans un contexte de redéfinition des liens et de réconciliation entre la Belgique et son ancienne colonie. Deux ans plus tôt, le 30 juin 2020, Philippe avait déjà exprimé dans une lettre au président Félix Tshisekedi ses « plus profonds regrets » pour les « actes de violence et de cruauté » infligés, lors de la période coloniale, à l’ex-Congo belge. Ces mots avaient eu un impact massif et avaient été largement salués. Le Souverain avait rappelé alors « les blessures, les souffrances et les humiliations » causées par la Belgique lors de la première période de colonisation (1885-1908), quand le Congo était propriété personnelle du roi Léopold II, son arrière-grand-oncle. Il avait dit aussi regretter profondément « ces blessures dupassé dont la douleur est aujourd’hui ravivée par les discriminations encore présentes dans nos sociétés ».

Le 8 juin 2022 donc, ce sont des « regrets » qui sont à nouveau formulés par le roi des Belges, tandis que certains réclament des excuses pour ce passé colonial et son sinistre tribut. Les mots néanmoins ont leur poids et le terme formulé à deux reprises, ne laisse pas indifférent. Il reviendra ensuite au gouvernement d’aller au-delà, comme l’indiqueront plusieurs leaders politiques. « Très fort, très symbolique, le discours du roi Philippe a été très apprécié sur place », commentait Thomas Dermine, secrétaire d’État belge pour la Relance et les Investissements stratégiques. Adressées à l’ensemble du peuple congolais, les paroles de Philippe, sans être révolutionnaires, ont ouvert une brèche.
Princesse Esmeralda "Il y a trop d'années que notre monde est blanc (...)"« Son discours du 8 juin marque une étape très importante », nous disait quelques jours plus tard la princesse Esmeralda, tante du Roi, puissamment engagée dans la défense de l’environnement et des peuples autochtones. « C’est la première fois qu’un roi des Belges critique le régime colonial. (…) Il est par ailleurs important sur cette question de ne pas isoler la Belgique en la pointant du doigt. C’est en effet un problème que connaissent tous les pouvoirs coloniaux européens. Nous sommes au XXIe siècle, il est temps de changer de discours, de manière de voir les choses. (…) C’était en tout cas une première par rapport aux chefs d’État d’autres pays qui se montrent particulièrement timides sur ce sujet. Récemment les princes William et Kate ont été fustigés aux Caraïbes… » (Le 22 mars 2022 à Kingston, capitale de la Jamaïque, ils ont été accueillis par des manifestants réclamant que la monarchie britannique « s’excuse pour son rôle dans le commerce d’esclaves". Quelques jours plus tard aux Bahamas, le Comité national des réparations de la nation insulaire leur a adressé un courrier réclamant plusieurs millions de livres en réparation de “leur rôle dans l'esclavagisme ». NDLR).»
Ukraine, les forces de l'Union
L’invasion de l’Ukraine a rassemblé nombre de forces vives de l’Occident, permettant même aux monarques – Philippe, Charles d’Angleterre, d’autres encore – de prendre position sur le conflit fratricide. Pour son dernier discours de Noël, le 24 décembre 2022, le roi des Belges l’évoquait, le qualifiant, en une formule bien balancée, de « guerre cruelle et insensée qui prétend remplacer la force du droit par le droit de la force ». En octobre 2022, il avait condamné la «violence indescriptible» de l’armée russe en Ukraine. C’était dans un discours adressé aux troupes belges stationnées à l’est de la Lituanie, à la frontière orientale de l’Otan. « Je suis fier de voir les pays occidentaux s’unir contre cet acte barbare (…) Le soutien du monde occidental ne s’arrêtera pas après le dernier coup de feu. » « Nous ne nous laisserons pas diviser par le chantage que nous impose une puissance nucléaire pour rompre notre solidarité avec l’Ukraine », disait-il déjà lors de son speech de juillet 2022, pour la Fête nationale. Il y rappelait, comme souvent, sa foi en la démocratie, et mettait en garde contre les dérives des modèles autoritaires. « Autour de nous, nous entendons de plus en plus de discours agressifs. (…) Dans ce contexte de crise, c’est précisément la cohésion au sein de l’Union européenne qui nous a permis de formuler des réponses communes dans les domaines de la santé, de la défense, de l’énergie et de l’accueil des réfugiés. »
Lorsqu’il était prince, nous avions pu suivre Philippe lors d’une visite auprès des forces belges déployées à Beyrouth ou encore à Tuzla, en Bosnie-Herzégovine. Nous avions constaté de visu combien ce contexte – rigueur militaire, teintée de fraternité et empreinte de la valeur « service » – donnait déjà au futur roi des Belges une forme d’aisance. Dans la gestuelle, dans le verbal aussi. La Grande Muette pèse ses mots, à l’instar du roi. Il l’a appris à ses dépens durant ses premières missions économiques. Chaque phrase doit être mesurée, les mots soigneusement sélectionnés.
Comme d’autres monarques, Philippe apparaît, de fait, dans son élément lorsqu’il est en milieu militaire. Discipline, diversité encadrée, sens du devoir, accent sur le travail et l’accomplissement… À l’instar de Charles III d’Angleterre par exemple, dont il a été beaucoup question récemment, la timidité extrême de ses jeunes années a été en quelque sorte «matée» et canalisée lors de la phase d’immersion militaire.
Dialogue, espoir, solidarité
D’autres thèmes se retrouvent dans les discours royaux, par essence fédérateurs, universels. Il y a ces mots clés dont le roi a souvent usé : union, apaisement, coopération, échange, confiance, défis, avenir, entraide, solidarité, espoir, fierté, travail, soutien. La responsabilité aussi, ce sens de l’initiative privée qui peut compenser les éventuels manquements d’un système qu’il se doit par ailleurs de saluer. Un peu de « feel-good », une once de morale parfois, des paragraphes d’encouragement. Mais derrière les mots, une sincérité. Du premier degré toujours.
Parmi les causes que le roi des Belges a souvent abordées, le climat bien sûr, les catastrophes naturelles, les inondations qui ont meurtri le sud de la Belgique en 2021. La guerre aussi, on l’a dit. Et puis les crises économiques et sanitaires, le terrorisme, la santé mentale, la question de l’énergie, l’inflation. Des messages simples, directs. Royalement généralistes, mais efficaces aussi dans leur sobriété. Sans réduction outrancière, ni racolage intempestif.
« Les défis auxquels nous sommes confrontés ne connaissent pas de réponses simples. Mais nous trouverons des réponses, grâce à notre créativité et notre persévérance », disait Philippe en 2021. Sa parole, si elle se doit d’être unificatrice, ample et donc forcément floue par endroits, est aussi aux antipodes d’un discours populiste.
Liberté, égalité, fraternité
Il y a eu déjà, dans ses dix premières années de règne, plusieurs moments forts, de ceux qui resteront dans l’Histoire. Dont le discours en RDC déjà évoqué mais aussi, dans un registre à la fois familial et sociétal, une ouverture qui a eu et conserve des résonances internationales.

On songe à l’accueil que le Roi a réservé d’emblée à sa soeur, la princesse Delphine. On a tous en tête cette photo comme un tableau : Delphine reçue par Philippe au palais de Laeken, le 9 octobre 2020. Tous deux se sont découverts mutuellement autour de la peinture. Pas de mots inutiles. Un style direct. Pas de « small talk » vain. « No bla-bla », dirait Delphine. La rencontre informelle avait devancé les pronostics. Une première à la fois officielle et privée, une modernité mine de rien partagée. Tous deux s’y montrent sans esbroufe, égaux à eux-mêmes. Le moment sera salué. La rapidité avec laquelle le Roi avait reçu Delphine, quelques jours après la décision du tribunal (le 1er octobre de la même année), de même que le caractère convivial de l’échange, avaient été autant de points favorables dans l’opinion. Les médias internationaux s’emparèrent de l’image. « Welcome to the family », titre alors, jovial, un quotidien britannique en évoquant la rencontre entre le roi des Belges et sa demi-soeur, Delphine, « enfant de l’amour ».
Delphine, Philippe et la famille. Convivialité, égalité, fraternitéLe roi Philippe ne s’y est pas trompé. Son instinct d’ailleurs le poussait de longue date à prendre acte, lorsque le volet judiciaire serait bouclé, de la réalité des faits. Un de ses conseillers nous avait confirmé, lors d’une visite d’État en Chine en 2015, que Philippe souhaitait que « l’affaire Delphine » soit résolue sans tarder. Le défilé du 21 juillet 2021, auquel Delphine assistait pour la première fois, traduisait la fin d’une ère mais aussi les bases nouvelles d’une tranche de vie plus royalement ancrée dans son temps.

L’ouverture spontanée, préconisée et appliquée par Philippe est à ce titre exemplaire. Le modèle vient toujours d’en haut, dit-on. Aux États-Unis, c’est dans les sphères intellectuelles et de l’entertainment que certaines formes de progressisme sociétal peut s’afficher, marquer des points dans l’opinion publique. En Europe, les brèches s’ouvriraient-elles ainsi, parfois, dans les univers les plus figés ? Cette avancée pourrait être le reflet d’une nouvelle génération de monarques, plus promts à épouser les évolutions de société et de la sphère familiale en particulier.
Rigueur, transparence, clarté, ouverture sont aujourd’hui incontournables pour maintenir une institution fragile dans le grand bain contemporain.
Le Roi a souffert d’une éducation familiale lacunaire. Le récit est connu et n’est plus à refaire. On sait aussi qu’il est un père présent, attentif, proche de ses enfants. Il les suit dans les rendez-vous cruciaux de la vie, les libure aussi, les met en lumière aussi lorsqu’il le faut, progressivement. C’est le cas notamment avec Élisabeth, future reine des Belges. Dans cette optique, et lorsqu’on sait l’intérêt que porte Philippe aux matières philosophiques et psychologiques, l’accueil qu’il a réservé à Delphine n’a surpris que ceux qui le connaissaient mal.
Il fut longtemps connu pour sa raideur, cette réserve écrasante. Aujourd’hui, internautes et citoyens perçoivent davantage, derrière le geste une peu figé, le coeur battant d’un homme qui entend agir, comme on dit, en bon père de famille.
Article publié dans Paris Match Belgique, édition du 17/05/23.