Céline Fremault : "Le handicap effraie. Il faut le visibiliser, l'intégrer. Il reste un sacré chemin à parcourir"

Celle qui fut ministre bruxelloise CDH, aujourd’hui Les Engagés, publie un recueil d'interviews de mères d'enfants fragilisés par le destin. Dans l'entretien long qu'elle nous a accordé, elle évoque le basculement d'une vie, ce qui l’a amenée à quitter la politique pour replonger dans le social et prendre le pouls de la société. Les chemins de Saint-Jacques de Compostelle l’ont conquise et ont conditionné ce virage qui relève davantage d'une forme de continuité. Elle parle des obstacles qui se posent aux personnes handicapées et à leurs proches, de ses nouveaux défis. De féminisme, de littérature aussi.

Avenue Louise à Bruxelles, Céline
Fremault avec
une partie de l’équipe du restaurant
gastronomique 65 Degrés, dont
six membres sont porteurs d’un
handicap mental. Le site
parismatch.be lui a consacré un
reportage sous le titre « 65 Degrés,
un restaurant où gastronomie rime
avec inclusion réussie ».
Avenue Louise à Bruxelles, Céline Fremault avec une partie de l’équipe du restaurant gastronomique 65 Degrés, dont six membres sont porteurs d’un handicap mental. Le site parismatch.be lui a consacré un reportage sous le titre « 65 Degrés, un restaurant où gastronomie rime avec inclusion réussie ». ©Ronald Dersin / Paris Match Belgique

Place de l’Albertine, à quelques mètres de la Grand-Place. Céline Fremault nous accueille dans son bureau. D'entrée elle évoque ce souvenir noir. Les attentats de mars 2016 à Bruxelles. Elle était alors dans son QG ministériel rue Capitaine Crespel à Ixelles. « On a bu des litres de thé en regardant les actualités. L’angoisse était terrible. Il y avait tant de collaborateurs qui prenaient ces lignes de métro. On avait tous peur d’avoir perdu un proche." Et puis cette crainte à la fois viscérale et rationnelle qui surgit : celle de la fracturation de la société bruxelloise. "J'ai grandi dans une ville multiculturelle que j'adore et j'avais la crainte d’un impact extrêmement négatif. » L’anxiété, le traumatisme anticipé, la compassion immédiate. Des moments gravés dans la chair, dans le cœur. « Aucun Belge, aucun Bruxellois, personne ne peut oublier cela. »

Vous avez décidé mettre un terme à la politique en 2024. Pourquoi ?

Céline Fremault. Ce choix de mettre un terme à mon engagement politique en mai 2024 est le fruit d’un long cheminement personnel après un parcours de près de trente ans au sein des institutions politiques. Ce n’était pas une carrière à mener mais un engagement profond. Je l’ai vécu avec passion. J’ai commencé extrêmement tôt, c'est une vocation. Ma vie politique a été entière. J’ai donné ce que j’ai pu avec de l’authenticité.

N’était-ce pas malgré tout un déchirement d’abandonner ces responsabilités ?

J’ai occupé une fonction ministérielle pendant six ans et demi. Occuper une fonction politique est toujours une occupation temporaire du pouvoir. Il faut rester conscient de cela. Après moi, d’autres allaient naturellement se succéder à ce poste comme à d’autres. Je n’ai donc nullement mal vécu le fait de quitter la sphère ministérielle en juin 2019. La vie politique c’est magnifique mais ce n’est pas une fin en soi. Personne n’y est indispensable. C’est la plus grosse erreur de l’imaginer. Je voulais passer le flambeau aux jeunes générations et ne pas faire le mandat de trop.

Patricia Kerres. 60 ans. Professeure à l’UCLouvain. Quatre enfants. Une de ses filles, Éléonor est atteinte d’un cancer de la rétine qui détruit sa vue. Cette mère déplacera des montagnes, se muera en coach pour cette jeune fille hyper-sportive qui aime… l’escalade et se lancera dans les compétitions de ski au JO paralympiques de l’hiver 2018, guidée sur les pistes par sa sœur. Dans son parcours à couper le souffle, elle ramènera à la Belgique une médaille de bronze.
Patricia Kerres. 60 ans. Professeure à l’UCLouvain. Quatre enfants. Une de ses filles, Éléonor est atteinte d’un cancer de la rétine qui détruit sa vue. Cette mère déplacera des montagnes, se muera en coach pour cette jeune fille hyper-sportive qui aime… l’escalade et se lancera dans les compétitions de ski au JO paralympiques de l’hiver 2018, guidée sur les pistes par sa sœur. Dans son parcours à couper le souffle, elle ramènera à la Belgique une médaille de bronze. ©Morgane Delfosse / Livre "Mères-veilleuses", Céline Fremault

Vous vous êtes découvert de nouveaux intérêts, une nouvelle passion en particulier, teintée d’une forme de spiritualité.

J’avais, depuis longtemps l’envie de partir sur les chemins de Saint-Jacques de Compostelle. J’avais la conviction qu’un jour je cheminerais sur ces routes. Je suis partie à l’automne 2019 pour réaliser le premier tronçon du chemin français. C’était après mon mandat ministériel et avant la crise sanitaire. J’ai passé neuf jours à parcourir seules les 200 kilomètres entre Le Puy-en-Velay (Haute-Loire - départ de la Via Podiensis, un des quatre chemins de Compostelle français. NDLR) et Conques en Occitanie, dans l’Aveyron. Je n’étais absolument pas rompue à la randonnée ni à la marche ! Je suis partie avec un sac à dos beaucoup trop lourd, plein de choses inutiles qui pouvaient me rassurer – tonnes de livres, médicaments, poudre à lessiver. C’était totalement superflu. J’ai rencontré des gens au milieu de nulle part, avec qui j’ai marché. J’ai marché seule aussi des jours entier au milieu des forêts. J’avais imaginé plein de choses mais jamais ce qui m’est arrivé. Les chemins de Compostelle peuvent se résumer en une phrase : c'est une lessiveuse humaine. Un émerveillement de chaque instant. On marche seul dans la nature des heures durant, on rencontre au détour d’un village des personnes inconnues qui vont cheminer avec vous. On se pose le soir, on discute avec des personnes ayant pour trait commun la recherche d’un sens à donner à leur vie.

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Ces chemins attirent, dit-on souvent, peut-être à tort, des profils plutôt « bobo ». Avez-vous rencontré des personnes d’origines et de milieux très divers ?

Absolument. De tout. Des retraités aux vies bien remplies, un toxicomane encouragé par son médecin à quitter la ville où il vivait pour s’éloigner de ses démons. Une jeune femme qui était éducatrice, vivait dans un habitat groupé et s’interrogeait sur son future professionnel… Tant d’autres. Des personnes aux vies très fracturées qui tentaient d’en déterminer ou redéfinir les contours. La dimension de la spiritualité n’est pas prédominante mais le fil conducteur est la quête de sens. J’y ai partagé des moments beaux et durs d’introspection. Lorsque je me préparais à entamer le deuxième tronçon des chemins de Saint-Jacques de Compostelle, le Covid est arrivé et a stoppé le projet. J’ai pu durant cette période me pencher sur un autre rêve que je nourrissais depuis des années : trouver une maison au cœur de la nature.

Mon père a changé de vie, a abandonné son métier d'avocat et a commencé à travailler dans le secteur associatif pour la lutte contre la pauvreté à Bruxelles. Il est parti de façon très brutale, trop jeune, mais il a pu accomplir en partie ce nouveau chemin. (...) La question de Saint-Jacques de Compostelle est assez mythique dans la fratrie.

Ce vœu de rapprochement avec la nature, vous l’aviez déjà évoqué. Vous nous aviez parlé en 2018 de votre admiration pour Pierre Rabhi, pionnier et figure influente de la pensée écologiste, aujourd’hui décédé.

Je nourrissais de longue date ce rêve de retour aux fondamentaux. J’ai eu le coup de foudre pour une bâtisse de vieilles pierres à restaurer, dans la Drôme. Quand la crise sanitaire l’a permis, j’ai sauté dans un train. J’ai foncé de façon un peu déraisonnée, en emportant avec moi juste mes rêves. J’ai redonné vie à cette maison qui avait une histoire. Je n’ai plus pris l’avion depuis 2019. Mon bonheur est en Drôme, je n'ai pas besoin de m'échapper à des milliers de kilomètres. Je savoure chaque seconde de cette vie au rythme des saisons, de la nature, du village.

Vous nous dites que votre père avait changé de trajectoire en cours de route.

Mon père est décédé brutalement en 2009. Il était parti sur les routes de Saint-Jacques en 2004 après que j’ai prêté serment comme jeune députée. Il était avocat. Lorsqu’il a entrepris cette marche, il était dans une configuration de vie difficile. Il s’est remis en question profondément, a opté volontairement pour une forme de dénuement. Quand il est revenu de ce périple, il approchait des 55 ans, il a changé de vie, a abandonné son métier initial et a commencé à travailler dans le secteur associatif pour la lutte contre la pauvreté à Bruxelles. Il est parti de façon très brutale, trop jeune, mais il a pu accomplir en partie ce nouveau chemin. Il occupait une place très importante dans ma vie et la question de Saint-Jacques de Compostelle est assez mythique dans la fratrie.

Anjali Winandy, 45 ans. Assistante sociale, Verviers. Remariée, quatre enfants dont le troisième, Julien, 15 ans, est autiste Asperger. « Quand on a un enfant handicapé, on doit réexpliquer tout son parcours de A à Z. C’est très éprouvant moralement parce qu’on a l’impression qu’on doit prouver que l’enfant est handicapé. Or, clairement, ça se voit. Il y a des faits et des paroles qui ne trompent pas. Quand on est devant le médecin qui nous reçoit, on doit tout le temps réexpliquer les mêmes choses et, parfois, c’est très désobligeant. » (…) « On devra encore réexpliquer à Julien plein d’étapes de la vie. Mais dans l’ensemble, il va bien, c’est un enfant heureux. Il suit des études en option cuisine. C’est la troisième année qu’il est dans l’enseignement spécialisé à Verviers. Son vœu le plus cher, c’est d’être pâtissier et, plus exactement, chocolatier. »
Anjali Winandy, 45 ans. Assistante sociale, Verviers. Remariée, quatre enfants dont le troisième, Julien, 15 ans, est autiste Asperger. « Quand on a un enfant handicapé, on doit réexpliquer tout son parcours de A à Z. C’est très éprouvant moralement parce qu’on a l’impression qu’on doit prouver que l’enfant est handicapé. Or, clairement, ça se voit. Il y a des faits et des paroles qui ne trompent pas. Quand on est devant le médecin qui nous reçoit, on doit tout le temps réexpliquer les mêmes choses et, parfois, c’est très désobligeant. » (…) « On devra encore réexpliquer à Julien plein d’étapes de la vie. Mais dans l’ensemble, il va bien, c’est un enfant heureux. Il suit des études en option cuisine. C’est la troisième année qu’il est dans l’enseignement spécialisé à Verviers. Son vœu le plus cher, c’est d’être pâtissier et, plus exactement, chocolatier. » ©Morgane Delfosse / "Mères-veilleuses"

Vous allez continuer, comme lui, à porter certains thèmes sociaux à travers l’associatif. C’est toujours de la politique…

Je sais que j’aurai une autre vie après 2024. Mes intérêts se maintiendront autour de la question de l’égalité des chances, de l’inclusion et de la différence. Parmi les thèmes qui me sont chers, il y a notamment la réinsertion des détenus à Bruxelles, le trafic des êtres humains, la prostitution, la lutte contre la pauvreté.... J’ai toujours été engagée depuis mon plus jeune âge, à travers les mouvements de jeunesse et l’associatif. J’avais dû mettre mon activité associative entre parenthèses durant mon mandat ministériel mais quand j’ai clôturé ce mandat, j’ai repris cet engagement bénévole. J’ai envie, plus que jamais, de prendre le pouls de la société civile.

J’ai toujours été partisane des quotas car cela reste un levier important. De même que les tirettes sur les listes électorales. Le sexisme ordinaire m’a rappelé mon obligation d'être très attentive aux générations de femmes qui arrivent.

Quel regard portez-vous sur les rapports de force entre hommes et femmes en politique, et sur le sexisme qui y règne ?

La politique reste un monde brutal avec des rapports de forces au quotidien. Il existe une solidarité entre les femmes politiques, toutes convictions confondues. Des combats ont été gagnés mais dans les faits les discriminations subsistent. Quand j’ai démarré en politique, j’avais une place sur la liste qui aurait pu permettre une élection au scrutin qui se présentait. J’ai posé la question à un cadre du parti pour savoir si j’avais une chance d’être élue. La réponse a été celle-ci: «Tu vas d’abord faire des enfants et puis tu reviendras nous faire chier dans quinze ans en politique !» C’était dit sur le ton de l’humour… A priori, il n’y avait rien de dramatique dans cette confrontation, mais c’était profondément patriarcal et sexiste. Je devrais au final le remercier car ça m’a stimulée, j’ai eu une vie politique en faisant quatre enfants.

Dans la représentation des femmes il y a encore aujourd'hui une série d’avancées à franchir. J’ai toujours été partisane des quotas car cela reste un levier important. De même que les tirettes sur les listes électorales. Le sexisme ordinaire m’a rappelé mon obligation d'être très attentive aux générations de femmes qui arrivent.

Bénédicte Linard sur l'explosion des violences conjugales

Comment percevez-vous ces générations ?

Les femmes parlementaires que je côtoie, au-delà des clivages politiques, sont profondément féministes, plutôt solidaires entre elles et attentives à se déployer pleinement dans tous leurs aspects de vie, personnelle et autre. Je continue à penser que les femmes ont un rapport très différent au pouvoir que les hommes. Peut-être ont-elles plus de distance, s’interrogent-elles davantage sur leur avenir, sur la conciliation entre vie professionnelle et privée.

Des études ont mis en lumière que la maternité engendre souvent un basculement vers du temps partiel pour les femmes. Ce n’est pas un choix. Cela a des répercussions sur l’autonomie, la carrière, la pensions. Il y a des vulnérabilités cumulées. Les femmes sont exposées à plus de précarité. Sans parler bien sûr des inégalités salariales. Les femmes gagnent en moyenne 5 % de moins par heure que le hommes. La Belgique dans ce domaine occupe la 5e place au niveau européen mais l'écart entre salaires des hommes et des femmes se creuse.

Je n’aime pas l’hyper-segmentation, des approches prétendument wokistes mises à toutes les sauces, mais je pense que cette segmentation est utile pour cibler les discriminations les plus fréquentes. Les approches segmentées sont des outils d’analyse intéressants.

Le combat féministe reste évidemment plus brûlant que jamais.

Cela me préoccupe encore et toujours au quotidien. Ces questions de l’emploi et de l’égalité salariale restent parmi les problèmes majeurs, avec les violences bien sûr. Dans mon ouvrage qui évoquait l’égalité hommes femmes en 2011 (Egaux?: pièges et réussites de l'égalité hommes-femme, éd. Luc Pire. NDLR), j’insistais sur le fait qu’au-delà des combats qui doivent être actés bien sûr en termes législatifs, les régressions pouvaient guetter de façon assez pernicieuses : violences à l’encontre des femmes, viols, harcèlement, harcèlement de rue, exploitation domestique, féminicide… Amnesty relevait en 2020 que 20 % des femmes ont été un jour victime d’un viol et qu’il y a en moyenne un féminicide tous les sept jours. Il faut d’ailleurs impérativement réserver des logements aux femmes victimes des violences familiales et conjugales.

Ex-sans abri, Cindy travaille aujourd'hui dans les coulisses du premier centre d'accueil de jour pour femmes. Initiative de l'ASBL L'ILot, il va ouvrir ses portes en juin au coeur de Bruxelles

Quel regard posez-vous sur Metoo?

La notion de consentement est vitale. Il faut poursuivre la lutte. Le phénomène de la libération de la parole, indispensable, a fait basculer la honte dans le camp de ceux qui ont eu des comportements inappropriés. Ce sont des combats incontournables.

Francoise Tulkens
"Françoise Tulkens reste une référence majeure sur la question des droits humains, tant en Belgique qu’au niveau européen." Céline Fremault.

Qualifieriez-vous votre féminisme d’« universaliste » et y voyez-vous une opposition avec des démarches plus radicales, taxées parfois, de façon assez floue, de « woke » ?

J'ai toujours eu une approche universaliste et j’ai une méfiance en général pour les mots valises qui ne veulent pas dire grand-chose. Il n’y a pas de courant de pensée derrière le mot « woke », on peut y fourrer tout. Il existe d'autre part plusieurs courants dans le féminisme. On a tendance à déconstruire certains axes - domination, homophobie inconsciente, paternalisme, sexisme etc - et c’est très bien. Cette conception de discriminations qui s’additionneraient n’est pas la mienne. Je n’aime pas l’hyper-segmentation, des approches prétendument wokistes mises à toutes les sauces, mais je pense que cette segmentation est utile pour cibler les discriminations les plus fréquentes. Les approches segmentées sont des outils d’analyse intéressants. En même temps, il faut éviter les fractures, tenter de rester soudés dans une démarche universaliste, pour tous, plus équitable. Je suis convaincue que c’est la seule manière d’arriver à la justice. C’est peut-être aussi une question générationnelle, j’approche de la cinquantaine et ai été éduquée dans une approche d’égalité des chances. Trois de mes quatre enfants sont des jeunes filles très sensibles à la question de l’égalité femmes-hommes et je peux vous dire que ça ne plaisante pas !

J'ai une admiration immense pour Annie Ernaux, féministe, éprise de liberté, menant des combats politiques et sociétaux. Je la trouve sincère, jusqu'au-boutiste. J’étais dans une joie immense lorsqu’elle a obtenu le Nobel de Littérature en 2022. (...) J’ai aussi une adoration inconditionnelle pour une jeune auteure, Constance Debré, qui a a une écriture incisive, au couteau. Ses premiers ouvrages racontent notamment son coming-out, le rapport difficile avec son fils après qu’elle a largué les amarres (...)

Quelles sont les femmes les plus « inspirantes » à vos yeux ?

Je me suis replongée dans les parcours des pionnières des combats féministe dans les années 70, les Simone Veil, Gisèle Halimi... J’ai toujours le cœur qui vibre pour leur conviction, la détermination dont elles ont dû faire preuve. En Belgique aussi, nous avons des femmes remarquables qui ont mené ces combats. Christine Mahy (secrétaire générale du Réseau wallon de lutte contre la pauvreté - RWLP), incarne avec justesse et beaucoup de respect la lutte contre la pauvreté en Wallonie, sa parole est toujours juste, nuancée. Elle explique les choses avec autant de douceur que de révolte et elle est admirable dans les combats qu’elle mène depuis années. Comme Françoise Tulkens qui reste une référence majeure sur la question des droits humains, tant en Belgique qu’au niveau européen. (Criminologue, avocate, chercheuse, professeur à l’UCLouvain, elle a été juge à la Cour européenne des droits de l’homme de 1998 à 2012. Elle a notamment cité Hannah Arendt, qui encourageait la désobéissance civile pour soutenir le débat démocratique. NDLR).

 Christine Mahy et le Réseau wallon de lutte contre la pauvreté plaident pour une aide financière directe au profit des ménages qui souffrent de la crise sanitaire.
Christine Mahy et le Réseau wallon de lutte contre la pauvreté plaident pour une aide financière directe au profit des ménages qui souffrent de la crise sanitaire. ©BELGA

J’essaie de transmettre le plus possible à mes filles le valeurs que portent ces femmes. J’essaie aussi de leur faire découvrir des écrivaines engagées dont les plumes sont très libres. A titre personnel, j’ai une admiration immense pour Annie Ernaux, féministe, éprise de liberté, menant des combats politiques et sociétaux. Je la trouve passionnante dans ses engagements, sincère, jusqu'au-boutiste. J’ai découvert alors que j'avais une vingtaine d'années ses premiers ouvrages. J’étais dans une joie immense lorsqu’elle a obtenu le Nobel de Littérature en 2022.

Je citerais bien sûr aussi Benoîte Groult. Je lis également des écrivaines des jeunes générations. Je suis une fan absolue de Karine Tuile (lauréate du Goncourt des lycéens 2019 avec Les choses humaines, le procès d’un viol. NDLR). J’ai aussi une adoration inconditionnelle pour une jeune auteure, Constance Debré, qui a a une écriture incisive, au couteau. Ses premiers ouvrages racontent la question notamment de son coming-out, le rapport difficile avec son fils après qu’elle a largué les amarres, quitté son job d’avocate à Paris. Elle retrace aussi les derniers jours de son père dans un style exceptionnel, percutant.

<p>Les livres de l'écrivaine Annie Ernaux, qui a reçu le prix Nobel de littérature 2022, présentés le 6 octobre 2022 à Stockholm</p>
<p>Les livres de l'écrivaine Annie Ernaux, qui a reçu le prix Nobel de littérature 2022, présentés le 6 octobre 2022 à Stockholm</p> ©AFP

Votre meilleur souvenir en politique ?

Incontestablement, la conclusion de l’accord climat intrabelge en décembre 2015 alors que la Cop 21 avait démarré à Paris. J’ai présidé la Conférence nationale pour le climat. Il y avait une pression extrêmement forte sur le fédéral et les trois entités fédérées, présidence de la commission nationale climat. Il y avait de grandes difficultés vu les attentes de la société civile et des experts, et beaucoup d’embûches dont des jeux politique que je qualifierais de sournois. Mais surtout un travail immense et une volonté d’aboutir. J’en profite pour rendre hommage à Paul Furlan, récemment disparu. Il était signataire de l’accord climat à mes côtés. Rencontrer un collège loyal, qui a le sens de la parole donnée, il n’y a rien de plus important en politique. Il avait un côté franc, sain, extrêmement soutenant à la présidence bruxelloise que j’exerçais, au-delà de nos divergences politiques. J'ai été très peinée d'apprendre son décès.

Reportage : Au coeur de la COP 24 avec Céline Fremault

Le moment le plus éprouvant ?

Les attentats de Bruxelles le 22 mars. Ces minutes qui s’écoulent entre l’annonce du premier attentat à Zaventem ensuite l’explosion à Malbeek qui nous fait basculer dans l’horreur à Bruxelles. Il fallait continuer à gérer les dossiers tout en étant fortement impliqué dans le suivi avec le gouvernement bruxellois. Il se réunissait très régulièrement pour partager les infos confidentielles qui parvenaient au fil des heures. Ce furent des moments extrêmement durs, avec cette crainte très marquée que la société Bruxelloise dans laquelle j’ai évolué, avec ces réalités multiculturelles auxquelles je suis très attachée, puisse se fracturer. L'événement m’a profondément marquée comme sans doute l’immense majorité des Belges. Rien n’a plus été comme avant.

Le taux de séparation d’un couple avec enfant porteur d’un handicap peut atteindre les 85 %. Les mères sont souvent seules. Leur rôle est fondamental. Il faut absolument les soutenir car le handicap a été renvoyé dans la sphère privée.

Le secteur du handicap est au centre du livre que vous publiez aujourd’hui. Ces affinités avec une cause douloureuse viennent-elles essentiellement de votre vécu ?

J’ai perdu un premier enfant. On m’a annoncé après une échographie qu’il y avait un problème lourd. J’ai demandé si le bébé était viable. Et j’ai dit très clairement que même s’il devait être handicapé je le gardais. J’ai perdu Maximilien à 22 semaines. C’était en mars 2000. C’est une blessure inqualifiable. Par la suite, mon petit dernier, Hubert a frôlé la question du handicap. Il a souffert d’une méningite lourde à l’âge de deux ans, il a été sauvé in extremis à Saint-Luc et n’en a gardé miraculeusement aucune séquelle. Cela m’a sensibilisée en effet à ces questions.

« Paroles de mères-veilleuses. Parcours face au handicap d’un enfant », de Céline Fremault. En collaboration avec Sophie Kester & Adel Lassouli. Ed. Renaissance du livre.
« Paroles de mères-veilleuses. Parcours face au handicap d’un enfant », de Céline Fremault. En collaboration avec Sophie Kester & Adel Lassouli. Ed. Renaissance du livre. ©Editions Renaissance du Livre

Vous avez choisi d’éclairer le parcours de ces femmes qui se donnent corps et âme à l’éducation d’enfants pénalisés par un handicap.

J’ai rencontré au fil des ans énormément de personnes en situation de handicap. Et leurs familles. Une famille sur quatre sera confrontée au handicap en cours de vie, que ce soit de naissance, à la suite d’un accident ou du développement d’une maladie - tétraplégie, diabète, spectre autistique, cécité, trisomie, surdité, trouble mental... Les études montrent que les familles qui comptent un enfant souffrant d’un handicap sont plus souvent monoparentales – neuf sur dix environ.

Les pères sont, expliquez-vous, encore trop souvent les grands absents dans ces combats.

La découverte d’un handicap peut engendrer une accélération de la destruction d’un couple. Souvent les pères quittent la sphère familiale. Le taux de séparation d’un couple avec enfant porteur d’un handicap peut atteindre les 85 %. Les mères sont souvent seules. Leur rôle est fondamental. Il faut absolument les soutenir car le handicap a été renvoyé dans la sphère privée.

Le politique a donc longtemps renvoyé la question du handicap dans le privé où les femmes sont en première ligne.

Ce, rappelez-vous, pour des raisons historiques.

Le handicap (mental) a d’abord longtemps été assimilé à une forme de criminalisation en ce qu’il mettait « en péril l’ordre social et moral ». Avec l’avènement de la psychiatrie au XIXe siècle, la question du handicap intègre la médicalisation. En même temps, la raison d’être et le prestige de la médecine résident dans sa capacité de guérison, elle renvoie la question du handicap au politique. Là, le handicap se heurte aux normes d’autonomie et de responsabilité qui apparaissent dès la seconde moitié du XXe siècle. Les politiques sociales sont, en effet, conceptualisées pour pousser les personnes vers une autonomisation. Dès l’école primaire, c’est sur cette base qu’on juge du bon développement scolaire des enfants. Les diplômes, les formations, l’acquisition des langues sont au centre de nos sociétés modernes. Or la marge de manœuvre est étroite pour les enfants en situation de handicap mental. Le politique a donc longtemps renvoyé la question du handicap dans le privé où les femmes sont en première ligne.

Conséquence de ces missions cumulées, ces femmes sacrifient leur temps et sortent souvent du marché de l’emploi.

Quand elles travaillent c’est souvent à temps partiel. Elles doivent aussi sacrifier d’autres pans de leur vie privée. Et même l’éducation d’autres enfants. Le risque de précarité explose quand la cellule familiale implose. Elles ont des triples ou quadruples journées. Leur charge mentale est démultipliée. S’occuper d’un enfant à déficience sévère par exemple revient pour ces femmes à s’occuper toute leur vie d’un enfant qui aurait 3 ans pour toujours. Tout cela a un impact majeur sur leur santé. Dans les témoignages que j’ai recueillis, elles le disent sans tabou : leurs parcours de vie sont faits de burn-out, de dépressions, de cancers qui vont s’inviter dans la foulée de l’annonce du handicap des enfant, de plongées dans le vide, sans filet. Le taux de dépression est par ailleurs plus élevé chez les mères que chez les pères.

Il a été reconnu en 2004 comme handicap côté francophone, c’était le cas depuis quelques années déjà en Flandre. Avant cela, il relevait de la sphère de la santé mentale. On est vraiment dans les prémices législatifs.

La persévérance et la créativité dont elles doivent faire preuve pour passer les obstacles administratifs sidèrent. Les soutenir, c’est bien mais ne peut-on imaginer qu’à terme cela ne revienne à encourager un système de protection lacunaire par rapport aux personnes touchées par un handicap ? Ne faudrait-il concentrer les combats sur le domaine public, mettre en absolue priorité les questions d’accès de tous à l’enseignement, à la mobilité, aux bâtiments publics etc ?

La question est en effet multiple et concerne toute notre organisation publique : elle touche à l’emploi, accessibilité, éducation, l’inclusion. Mais la priorité absolue qui est réclamée de toutes parts, c’est la question des places d’accueil pour les enfants en situation de handicap. Qu’il s’agisse de grandes dépendances ou d’espaces comme des centres de jour ou lieux de répit, la Belgique ne couvre pas l’ensemble des besoins. Notre pays a d’ailleurs été condamné en 2013 au niveau européen pour insuffisance d’offres de places liées aux personnes en situation de handicap et de grande dépendance. Mais il est trop facile et même malhonnête de dire que rien n’est fait. Certaines actions ont été lancées. J’avais notamment initié en 2016 avec les collègues wallons, un premier plan transversal sur la question de autismes, le renforcement du dépistage au Susa à Mons (Fondation dédiée aux personnes souffrant d’autisme qui propose notamment un diagnostic), la question de nouvelles places dans des écoles spécialisées…

- Fatima El’M’Rabet. 63 ans, mère au foyer, Forest.
PHOTOS H8, H9, H10, H11, H12
Mariée, cinq enfants dont le deuxième, Fayçal, 39 ans, est porteur de trisomie 21. Fatima, qui vient du Rif est une femme au tempérament bien trempé. Elle défie le regard des autres, et consacre son temps et son énergie à cet enfant. Elle s’engage un temps dans Femma, une association féminine néerlandophone. Yassine va à l’école néerlandophone. Pour pouvoir le suivre, elle prend des cours de flamand. Issue d’une lignée de femmes combatives, elle admet néanmoins redouter l’avenir : « J’ai peur pour lui, parce que Fayçal, c’est quelqu’un de très gentil et très émotif. Plusieurs fois, il s’est fait attaquer dans le bus. Et pour son avenir aussi, oui. Je vais vous dire la vérité, malgré la douleur, malgré tout, je préfère peut-être qu’il parte avant moi. »
- Fatima El’M’Rabet. 63 ans, mère au foyer, Forest. PHOTOS H8, H9, H10, H11, H12 Mariée, cinq enfants dont le deuxième, Fayçal, 39 ans, est porteur de trisomie 21. Fatima, qui vient du Rif est une femme au tempérament bien trempé. Elle défie le regard des autres, et consacre son temps et son énergie à cet enfant. Elle s’engage un temps dans Femma, une association féminine néerlandophone. Yassine va à l’école néerlandophone. Pour pouvoir le suivre, elle prend des cours de flamand. Issue d’une lignée de femmes combatives, elle admet néanmoins redouter l’avenir : « J’ai peur pour lui, parce que Fayçal, c’est quelqu’un de très gentil et très émotif. Plusieurs fois, il s’est fait attaquer dans le bus. Et pour son avenir aussi, oui. Je vais vous dire la vérité, malgré la douleur, malgré tout, je préfère peut-être qu’il parte avant moi. » ©Morgane Delfosse

L’autisme n’a été reconnu comme handicap que très récemment, soulignez-vous.

Il a été reconnu en 2004 comme handicap côté francophone, c’était le cas depuis quelques années déjà en Flandre. Avant cela, il relevait de la sphère de la santé mentale. On est vraiment dans les prémices législatifs.

il y a seulement deux ans qu’on a inscrit dans la Constitution belge les droits des personnes handicapées. (...) Il reste un sacré chemin à parcourir.

La Convention de l’Onu portant sur le handicap ne date elle-même que de 2006.

La Convention onusienne relative aux droits des personnes handicapées, la CDPH, aborde les questions d’autonomie de vie, éducation, travail et emploi, de participation à la vie culturelle et récréative, aux loisirs et aux sports, à la vie politique et publique : autant de droits qu’elle confère aux personnes handicapées présentant des incapacités physiques, mentales, intellectuelles ou sensorielles durables. Les questions de l’accessibilité, de la mobilité, de l’hébergement, de l’éducation sont fondamentales. Il faut que cette convention de l’ONU devienne une réalité.

La législation chez nous date de moins de dix ans. Les textes bruxellois ont été déployés en 2015-2016. Nous sommes donc dans une première étape visant à combler un manque législatif.

Et il y a seulement deux ans qu’on a inscrit dans la Constitution belge les droits des personnes handicapées. « Chaque personne en situation de handicap a le droit à une pleine inclusion dans la société, y compris le droit à des aménagements raisonnables ». Il reste un sacré chemin à parcourir.

La question de l’emploi, cruciale aussi, est évoquée dans plusieurs des témoignages que vous avez recueillis. Là aussi, chaque cellule familiale doit se démener individuellement ou presque, c’est le règne de la débrouille.

Vingt-trois pour cent des personnes handicapées seulement sont employées. Il faut absolument imposer des quotas dans le privé. En France, c’est déjà le cas. Ils ont imposé un quota de 6 % de personnes handicapées dans les secteurs tant privés que publics, pour toute entreprise d’au moins vingt salariés. Aux Pays-Bas, au Luxembourg ou en Allemagne, on parle de 5 %. Le taux d’activité des personnes handicapées chez nous est à moins de 30 % alors que la moyenne européenne se situe dans les 50 %. Or c’est essentiel en termes d’inclusion. Il nous être beaucoup plus contraignants dans ce domaine comme dans d’autres.

Fatima El’M’Rabet et son fils Fayçal, 39 ans.
Fatima El’M’Rabet et son fils Fayçal, 39 ans. ©Morgane Delfosse

Pourquoi ce retard belge ?

Les freins évoqués sont liés à l’impression que les équipes ne pourront pas s’adapter. Cela relève d’une double méconnaissance : celle du handicap de façon générale, et l’ignorance des accompagnements disponibles. Mais il existe des exemples fondateurs. L’ASBL Diversicom à Bruxelles, qui facilite l’emploi des personnes handicapées sur base de leurs compétences, conseille les demandeurs et les employeurs, crée des liens, est une véritable success-story. Créée par Marie-Laure Jonet, elle permet des partenariats privés et publics pour l’intégration des personnes à tous les niveaux. Elle œuvre entre autres avec Solvay. J’aimerais citer aussi, parmi tant d’autres, le travail de Cinzia, que j’interviewe dans mon livre. (Cinzia Agoni, 63 ans, mère d’un enfant autiste, fondatrice d’Inforautisme, porte-parole du Groupe d’Action qui dénonce le Manque de Places (GAMP) - un mouvement de pression citoyen qui revendique les droits des personnes en situation de grande dépendance.NDLR) Elle a fait les.premiers sit-in devant les cabinets ministériels, réclamant des places pour les enfants souffrant de handicap. Une revendication qui demeure. Elle est connue de tous et est, depuis vingt ans, le moteur de la mise à l’agenda de la question de l’autisme.

J’ai aussi une adoration inconditionnelle pour une jeune auteure, Constance Debré, qui a a une écriture incisive, au couteau. Ses premiers ouvrages racontent la question notamment de son coming-out, le rapport difficile avec son fils après qu’elle a largué les amarres
J’ai aussi une adoration inconditionnelle pour une jeune auteure, Constance Debré, qui a a une écriture incisive, au couteau. Ses premiers ouvrages racontent la question notamment de son coming-out, le rapport difficile avec son fils après qu’elle a largué les amarres ©Morgane Delfosse / Mères-veilleuses

Les Français, plus performants dont au niveau des quotas de personnes handicapées dans l’emploi, souffrent en revanche d’un manque de places dans les institutions spécialisées et doivent parfois trouver des solutions en Belgique.

De manière générale, notre système scolaire est plus avancé que le leur en matière d’inclusion. En Belgique, avec le pacte d’excellence et les pôles territoriaux mis en place, il y a de plus en plus de passerelles, davantage de fluidité entre enseignement ordinaire, où les enseignants seront davantage formés, sensibilisés au handicap, et enseignement spécialisé. Ce dernier doit bien sûr toujours exister.

On dénombre en Région wallonne 19500 personnes handicapées, adultes et enfants, placées dans 477 structures spécialisées, adultes et enfants. Parmi ces personnes, 9000 sont d’origine française, dont 7000 adultes environ. Elles se retrouvent majoritairement dans le Hainaut. Cela a pu engendrer des questionnements du type : Est-il juste qu’il y ait autant de Français qui occupent ces places en Belgique ? Mais la question n’est pas là en vérité. Il n’y a pas de subventions publiques pour les occupants français – ces places sont financées par les autorités françaises. Et le budget wallon ne permettrait de toute façon pas de subventionner ces places. Cette occupation des places permet aussi de créer des emplois en Wallonie donc en réalité, l’équation n’est pas si simple que ça. D’autre part, depuis février 2021, le gouvernement français a émis un moratoire qui restreint le nombre de citoyens français dans les établissements belges pour les rapatrier au-delà de la frontière. Il est question de 8 000 personnes qui pourraient repartir. Mais il faudra de toute façon que les gouvernements respectifs accordent davantage de subventions à ces institutions.

En termes d’inclusion scolaire, on songe souvent à des modèles d’inspiration nord-américaine. Plusieurs régions des États-Unis intègrent par exemple de longue date des personnes handicapées – aveugles, personnes à mobilité réduite etc – au sein de classes traditionnelles de high-schools.

Je citerais avant tout le Canada, qui est précurseur dans la prise en charge du handicap de l’autisme. Et dans le dépistage précoce. Chez nous, les choses s’améliorent mais les familles peuvent attendre des mois avant d’avoir un rendez-vous. Quant à l’inclusion scolaire, le Canada mène aussi des politiques très intéressantes. J’ai visité avec Cinzia une école très innovante à Montréal. Avec des classes inclusives. Les enfant autistes sont suivis plusieurs mois dans des micro-groupes jusqu’au moment où les éducateurs considèrent que leur avancement est suffisant pour intégrer une classe.

Les Rencontres du Papotin (France 2) sont en effet très intéressantes et très réussies. Soulignons aussi en Belgique le travail de Cap48.

Mais tout n’est pas rose au Canada, dites-vous.

Penser que le canada est l’exemple absolu sur la question du handicap n’est pas tout à fait exact... Il y a des points où nous sommes plus outillés, notamment dans le logement inclusif. L’intégration des adultes au Canada est plus lacunaire. Lors de cette visite, j’ai été en effet fortement étonnée de l’absence d’un suivi structuré quand un personne en situation de handicap bascule à l’age adulte. Par ailleurs leurs dispositifs basés sur des fondations privées qui relèvent d’un système anglo-saxon ne sont pas toujours accessibles à tous.

- Christine Schuiten. 78 ans. Pensionnée. Wezembeek-Oppem.
PHOTOS HD O20, 021, 022, 023
Cinq enfants dont la dernière, Marie, 35 ans , en situation de handicap, a été adoptée en Inde à l’âge de 2 ans.. Une trajectoire rare. Le handicap ici ne s’est pas imposé. Christine l’a choisi alors qu’elle avait une quarantaine d’années. (Au retour d’Inde), « Le trajet en avion, ça a été douze heures de pleurs. Le début a été très difficile. Elle hurlait souvent à la mort. Mais j’avais la certitude que c’était juste de la prendre, et savoir que c’est ce qu’il faut faire donne une force extraordinaire. »
- Christine Schuiten. 78 ans. Pensionnée. Wezembeek-Oppem. PHOTOS HD O20, 021, 022, 023 Cinq enfants dont la dernière, Marie, 35 ans , en situation de handicap, a été adoptée en Inde à l’âge de 2 ans.. Une trajectoire rare. Le handicap ici ne s’est pas imposé. Christine l’a choisi alors qu’elle avait une quarantaine d’années. (Au retour d’Inde), « Le trajet en avion, ça a été douze heures de pleurs. Le début a été très difficile. Elle hurlait souvent à la mort. Mais j’avais la certitude que c’était juste de la prendre, et savoir que c’est ce qu’il faut faire donne une force extraordinaire. » ©Morgane Delfosse

Dans les Rencontres du Papotin, sur France 2, des personnes souffrant d’un handicap se muent en journalistes d’un jour pour interviewer une célébrité. Emmanuel Macron y a notamment pris part. Ne faudrait-il en faire davantage pour permettre au plus grand nombre de visualiser le handicap, de s’y familiariser ?

Le handicap continue à faire peur car il nous confronte à la différence sous toutes ses formes. Or c’est une invitation à rentrer de plain pied dans l’altérité au sens le plus beau. Il faut, pour vaincre cette crainte de l’altérité, être familiarisé au handicap dans les écoles, les clubs sportifs, les cours de musique... Il faut côtoyer le handicap pour mieux le visualiser et l’intégrer. Les Rencontres du Papotin sont en effet très intéressantes et très réussies. Soulignons aussi en Belgique le travail de Cap48 qui met en lumière chaque année une série d’initiatives, tout en réunissant des fonds importants.

Le handicap est-il par ailleurs suffisamment valorisé ou simplement présent dans la culture, notamment populaire ? On songe à l’impact de films grand public comme Intouchables. Faudrait-il, pour le grand public, utiliser davantage l’humour, comme dans la série "Vestiaires", sur France 2 toujours ? Lancée en 2011 déjà, et d’inspiration anglo-saxonne, elle offre une immersion dans le monde du handisport avec un regard décalé.

Il y a aussi une chronique chez Jérôme Colin sur La Première, « La bulle de Josef Schovanec ». Cet homme brillant, surdoué, multi-diplômé exprime son regard sur l'autisme. C’est fort, émouvant, juste. Certaines campagnes de pub aussi font de l’inclusion. Mais il faut naturellement veiller dans le marketing à ne pas verser dans le « handi-washing ».

Mon prochain sujet de travail portera sur l’accès des personnes en handicap mental au monde culturel. Le handicap est une réalité et il faut qu’il ait sa place dans la société. C’est un univers fascinant qui nous apprend beaucoup sur nous-même et nous pousse à nous interroger. Il faut s’y éduquer.

Farrugia
Le réalisateur, acteur et producteur français Dominique Farrugia aborde régulièrement dans les médias les questions douloureuses de l'accessibilité des moyens de transports et lieux divers aux personnes handicapées dans l'Hexagone et dans d'autres pays européens. ©Reporters

Certaines figures populaires ont médiatisé leur combat. Il y eut par exemple Lino Ventura en son temps, mais de façon assez feutrée comme le voulait l’époque. Plus récemment, un Dominique Farrugia dénonce le retard de la France quant à l’accessibilité des personnes handicapées à l’école, aux bâtiments et transports publics. Il souligne que Londres est plus accessible que Paris par exemple.

Je citerais aussi Églantine Éméyé, animatrice de télévision-radio et comédienne française. Un de ses deux fils, Samy, décédé il y a peu, à l’âge de 17 ans, était polyhandicapé avec des traits autistiques. Elle fait partie de ces mères incroyables qui ont porté un combat humain imposant. Parmi toutes les femmes que je cite dans mon livre, ces femmes belges au tempérament incroyable, il y a entre autres Isabelle Bastin, dont le fils a eu un accident de voiture à l’âge de 24 ans. Ce fut une sinécure. Je citerais aussi Isabelle Hachez, professeur en droit humain et spécialisée en handicap, première rectrice femme à l’Université de Saint-Louis à Bruxelles. Elle s’intéresse de près au handicap, l’a mis au programme de l’université. Elle signe la préface de mon livre. « N’attendons pas, dit-elle, qu’à l’image de la « Klimaatzaak », une « Handicapzaak » vienne épingler la responsabilité de l’État fédéral et des entités fédérées pour défaut de mise en œuvre des droits garantis par la Convention et réaffirmés par la Constitution. » Ses mots doivent nous faire réagir.

« Paroles de mères-veilleuses. Parcours face au handicap d’un enfant », de Céline Fremault. En collaboration avec Sophie Kester & Adel Lassouli. Ed. Renaissance du livre.

CNCPH – Conseil supérieur national des personnes handicapées – Bruxelles - 02 509 82 79 - info@ph.belgium.be

Sujet publié dans Paris Match Belgique, édition du 04/05/23
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