Histoire belge : le sanguinaire duc d'Albe au service de la Terreur espagnole
Tout l’été, nous revenons sur un morceau d’histoire de la Belgique. Cette semaine (1/7), nous vous racontons l’histoire d’un ange de la mort, l’envoyé spécial du roi d’Espagne Philippe II qui n’aura de cesse de passer par les armes hérétiques et d’exécuter toute rébellion au sein de la population belge…
- Publié le 06-07-2022 à 09h15
- Mis à jour le 06-07-2022 à 09h19
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Par Laurent Depré
La scène ressort d'un tableau de Pieter Bruegel l'ancien nommé «Le massacre des innocents»…La référence du thème de l'oeuvre est évangélique, celle selon Saint-Mathieu. Le roi Hérode,craignant l'avènement d'un roi des Juifs annoncé par ses propres mages, ordonne le meurtre de tous les enfants de moins de deux ans dans la région deBethléem. C'est le lieu de naissance du Christ.
Sans entrer dans les discussions qui entourent cette peinture de Bruegel l’ancien et de toutes les variations apportées plus tard par son fils, Bruegel le jeune, dans de nouvelles versions, à quelle scène le maître nous invite-t-il à participer ? Sous un beau ciel bleu et sous la neige hivernale, un paisible village flamand voit sa quiétude troublée par l’arrivée d’une armée en campagne. Alors que l’oeil perçoitglobalement une scène calme, les détails surgissent: terreur des paysans, exactions de soudards, sang, poursuites, vols, intrusions dans les maisons… Et au milieu de l’ensemble, des soldats regroupés autour d’un homme à la barbe bien reconnaissable…

Le peintre anversois est en réalité un contemporain de Fernando Alvarez de Toldedo y Pimentel, appelé plus simplementDuc d'Albe. Il n'est pas fou de penser que Pieter Bruegel l'ancien ou son fils se soient directement inspirés des histoires colportées à l'encontre de ce duc venu d'Espagne pour fermement remettre de l'ordre dans les Pays-Bas espagnols de l'époque. En voici le récit.
Le contexte : les adieux d’un Emprereur, les débuts de l’Infante
À la moitié du 16e siècle, la Belgique actuelle fait partie de ce que l’on nomme les «Pays-Bas espagnols». Cette appelation constitue en réalité la domination ibérique sur les Pays-Bas, la Belgique, le Luxembourg et une partie du Nord de la France actuels.
En octobre 1555, à Bruxelles, Charles Quint abdique au palais du Coudenberg après quarante années de règne. Il aspire à partir en Espagne, lui qui est pourtant né à Gand, pour y finir son existence. Lui succède Philippe II qui, au contraire de son père, ne maîtrise pas bien la langue française et n’a pas été élevé dans nos régions. Ce qui sera un élément déterminant dans le manque de confiance et de reconnaissance des populations des provinces en leur souverain. La soeur de Charles Quint, l’intendante Marie de Hongrie, se retire aussi du pouvoir.

Le début du règne de Philippe II est marqué par deux faits importants : la reprise de la guerre avec Henri II, roi de France, et la répression violente de ses troupes face aux nouvelles idées religieuses qui se développent en Europe à cette époque. Sans oublier une défiance qui existe entre lui et les Etats généraux formés par les représentants des différentes provinces des Pays-Bas espagnols. Peu à peu, élites et populations rejetent ce roi d’Espagne.
En 1559, Philippe II décide de quitter nos régions et de rentrer en Espagne. L’influence, la gestion et la domination resteront espagnols notamment via la couche ecclésiastique de la société. On lui demande cependant expréssement d’emmener avec lui ses garnisons de soldats qui n’ont pas du tout bonne réputation. Ce sont des soldats violents. D’autant que de guerre, il n’y en a plus à l’époque puisqu’un nouveau traité de paix a été signé avec Henri II… Mais Philippe II n’entend rien !
L’oppostion au régime, surtout fondée sur des questions de tolérance religueuse sur fond d’inquisition, grandit. Un groupe de confédérés, dont le Pince d’Orange, remet alors à Marguerite de Parme une requête en 1566 à l’intention de Philippe II. Malheureusement, des soulèvements et des mises à sac de lieux de culte catholiques dans les provinces viennent alors noircir des revendications jusque-là pacifiques.
La réponse de Madrid : un sombre guerrier de carrière, le Duc d’Albe…

En tout cas, du côté de Madrid, on prend les choses avec ombrage. Philippe II n’a qu’un objectif : anéantir ces hérésies et clouer au pilori les mouvements de rébellions. Son arme portera le nom funeste de Duc d’Albe dont il fait son lieutenant. Tous, Marguerite de Parme comprise, lui doivent obéissance aveugle. Mais il ne part pas seul, il est accompagné de 17 000 hommes. Le duc d’Albe a soixante ans et il a passé sa vie à faire la guerre, partout en Europe et même en Afrique.
Dès son arrivée à l’été 1567, il instaure la terreur et un tribunal des Troubles (les néerlandophones le surnomme «Bloedraad» ou conseil de sang), fait arrêter notables et nobles qu’il juge responsables et se nomme gouverneur général dans la foulée. Les exécutions sur la Grand-Place des comtes de Hornes et d’Egmont, pourtant chevalier de la Toison d’or, sont un vrai choc pour les Bruxellois. Au total, 119 exécutions capitales sont appliquées rien qu’à Bruxelles.
Plusieurs sources parlent de 8 000 victimes au total sur l’ensemble des territoires. Le Duc d’Albe met à feu et à sang toutes les poches de résistance. Il ne reculera pas. La réputation du duc d’Albe est terrible, il inspire la peur et fait s’exiler de nombreux protestants. Une célèbre gravure de l’époque le montre assis sur un trône s’apprêtant à manger… un jeune enfant. Potences, bûchers, décapitations furent le lot quotidien des Belges durant le «règne» du duc dans nos contrées.
Afin de rétribuer ses armées régulières et ses mercenaires, le duc d’Albe lève aussi de nouveaux impôts sur les biens mobiliers, immobiliers et sur le capital. Des grèves éclatent et un nouvel embrasement au sein de la population mène à la prise de villes tels que Mons, Tirlemont, Malines par les insurgés. La situation dérape, Philippe II rapelle alors le duc d’Albe en 1573 et le remplace par un notable espagnol réputé plus souple… Cinq années de terreurs s’achèvent. On regrettait amèrement le temps de Charles Quint, le roi de chez nous.
La conclusion vient de la bouche de Philippe II lui-même comme il est écrit dans le livre Légiférer, Gouverner et Juger : « la haine à son égard (ndlr: duc d'Albe) était à l'évidence si grande que l'on ne voulait pas accepter le salut de ses mains». Le duc d'Albe meurt à l'âge de 75 ans à Lisbonne emmenant avec lui les nombreux fantômes de son existence.