Les tombeuses de Weinstein

C'est grâce à leur courageux combat que le plus grand producteur de Hollywood croupit en prison. Depuis le début de l'affaire Weinstein en 2017, elles sont une centaine à avoir brisé le silence.

Mimi Haleyi en octobre 2017.
Mimi Haleyi en octobre 2017. ©usage worldwide

C’est grâce à leur courageux combat que le plus grand producteur de Hollywood croupit en prison. Depuis le début de l’affaire Weinstein en 2017, elles sont une centaine à avoir brisé le silence.

D'après un article du correspondant de Paris Match Franceà New York,Olivier O'Mahony

«En entrant dans le prétoire, j'ai cru m'évanouir. » Le 27 janvier dernier, Mimi Haleyi est la première plaignante à témoigner au procès de Harvey Weinstein. Elle fuit les regards braqués sur elle. « Revoir Weinstein en chair et en os, pour la première fois depuis des années, m'a donné des cauchemars », confiera-t-elle à Paris Match pour sa première interview depuis la fin du procès. Son témoignage, qui dure toute la journée, est un calvaire. Elle doit répondre aux assauts des avocats du producteur, qui veulent la faire passer pour une opportuniste cherchant à profiter de l'ex-roi de Hollywood. Une accusation qui la fait sortir de ses gonds : « Le plus difficile, pour moi, était de répondre aux questions sans m'énerver. »

Mimi a pourtant réussi à convaincre les douze jurés –cinq femmes, septhommes– chargés de décider du sort de Weinstein. Quand elle le rencontre à Londres, en 2004, le soir de l'avant-première du film Aviator, avec Leonardo DiCaprio, il est déjà l'idole de Hollywood. Il vient de divorcer de sa première femme, Eve Chilton, avec qui il a eu trois enfants. Mimi le retrouve en 2006 au Festival de Cannes. « Hello, Harvey ! Tu te souviens ? On s'est rencontrés il y a deux ans. » Il n'a pas oublié. Il est charmant. Mimi a 28 ans et vient de perdre son job. « Si tu as du travail pour moi, n'hésite pas », glisse-t-elle. Weinstein lui propose de passer à son « bureau », en réalité une suite à l'hôtel Majestic, sur la Croisette.

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Ce sera le théâtre de la première agression. Weinstein lui propose un massage. Elle refuse et s'enfuit, « humiliée et en pleurs ». Mais accepte le petit job d'assistante de production qu'il lui propose, puis une invitation à prendre un verre avec lui. Ce soir-là, il la couvre de compliments. Touchée par sa gentillesse, elle croit qu'il s'est calmé. Erreur. Le 10 juillet 2006, quand elle entre dans le loft où il l'a conviée à prendre un verre, elle comprend qu'elle est tombée dans un piège. Weinstein se précipite sur elle, l'écrase de tout son poids sur le lit. Elle hurle, se débat, le prévient qu'elle a ses règles. Il lui demande : « Ah bon, il est où ? » en parlant du tampon, qu'il retire avant de lui imposer un cunnilingus. Quand elle raconte tout à sa colocataire, Elizabeth, celle-ci lui conseille d'aller porter plainte. Mimi vient d'arriver à NewYork, où elle ne connaît personne. Pas question de se mettre à dos quelqu'un comme Weinstein, même si rien ne va plus dans sa vie.

Elle devient taciturne, se referme sur elle-même. Deux semaines plus tard, quand Weinstein l'invite de nouveau à prendre un verre, dans un hôtel cette fois, elle s'y rend. Et le même scénario se reproduit. En pire, car le magnat lui impose un rapport sexuel. Elle se laisse faire : « Je me sentais comme une idiote. J'avais cru, à tort, pouvoir reprendre le contrôle de la situation. Après coup, j'ai énormément culpabilisé », avouera-t-elle à la barre du tribunal de New York.

Puis l'ogre la laisse tranquille, et elle finit par l'oublier. Lui, mais pas ses actes. Le 5 octobre 2017, le New York Times rapporte les premiers témoignages de viols… Le mouvement #MeToo est lancé. Weinstein est acculé. Georgina Chapman, sa seconde épouse, le quitte. À la tête d'une fortune estimée à 300 millions de dollars, il vend ses propriétés pour financer la bataille judiciaire. « Ma première réaction a été de continuer à me taire, explique Mimi. Mais à mesure que l'histoire prenait de l'ampleur, j'ai voulu soutenir les femmes qui prenaient le risque de le dénoncer. » Son amie Charlotte Lewis, l'actrice britannique qui accusa, en 2010, Roman Polanski de l'avoir agressée sexuellement quand elle avait 16 ans, ce que le réalisateur a toujours contesté, lui recommande son avocate, Gloria Allred.

Cette star du barreau de Los Angeles est une icône féministe. Elle aussi a été violée par le passé, ce qui lui a valu un avortement, à l'époque illégal, dans des conditions atroces. « Le pire jour de ma vie, c'est quand l'infirmière m'a dit : "'Ça vous servira de leçon !' » raconte Gloria dans un documentaire, Seeing Allred, que Netflix lui consacre en 2018. Depuis, elle n'a cessé de traîner en justice les agresseurs sexuels. Dans son bureau de Wilshire Boulevard, à Los Angeles, devant un portrait de Hillary Clinton, dont elle est fan, Gloria a un jour confié que même Donald Trump avait reconnu, devant elle et une de ses clientes, qu'elle était une « très bonne avocate »…

Pour Gloria, faire tomber Weinstein, c'est l'accomplissement d'une vie. Alors quand Mimi la contacte, elle accepte. Le 24 octobre 2017, Mimi se présente devant la presse. Le plus dur commence. La vidéo de sa déclaration, où elle fond en larmes, devient virale. Elle travaille comme productrice audiovisuelle pour des campagnes publicitaires dans le domaine du luxe. Free-lance, sans aucune sécurité d'emploi, elle décide de changer de nom, ajoute un « i » à la fin de son patronyme (Haleyi au lieu de Haley) pour continuer à avoir du boulot. Sa vie personnelle est bouleversée. « J'évitais d'avoir des petits amis, de peur de devoir me justifier », raconte-t-elle. Un jour, un détective mandaté par les avocats de Weinstein fait irruption chez une de ses amies à Venice Beach, en Californie. Elle panique.

Ce que Mimi ignore, c'est que Weinstein commet de grosses erreurs. Parce qu'il se croit invincible, il se brouille avec son avocat, Benjamin Brafman, l'homme qui a aidé Dominique Strauss-Kahn à s'en sortir face au même procureur, Cyrus Vance Jr, et à sa redoutable substitut, Joan Illuzzi-Orbon. Weinstein choisit de confier sa défense à la diva du barreau de Chicago, Donna Rotunno. Sans doute calcule-t-il qu'une femme sera plus à même de déstabiliser ses accusatrices. En effet, Donna n'y va pas de main morte : son interrogatoire de Jessica Mann, autre accusatrice, dure deux jours et demi ! Donna exige la révocation d'une jurée, au motif qu'elle a lu Le consentement, le best-seller de Vanessa Springora, victime de Gabriel Matzneff… Cette requête extravagante, qui aurait obligé à enclencher une nouvelle procédure, sera refusée par le juge. Juchée sur ses talons aiguilles, sanglée dans ses jupes cigarette, Donna a l'allure d'une présentatrice de Fox News, la chaîne préférée de Donald Trump. Mais ce style passe mal au tribunal de Manhattan. Elle se déclare aussi contre le mouvement #MeToo. Devant une journaliste du New York Times médusée, elle conseille par exemple aux hommes de faire signer un « contrat de consentement » à leurs partenaires avant de passer à l'acte… « Elle a braqué tout le monde contre elle », résume l'avocat Douglas Wigdor, qui défend trois des accusatrices contre le producteur.

Au début de sa détention, Weinstein a été testé positif au Covid

Le seul qui applaudisse, c'est Weinstein. Pour une raison simple : il veut en découdre. Et elle dit à la barre exactement ce qu'il a envie d'entendre. À l'issue d'une plaidoirie fleuve, Weinstein la congratule en faisant allusion à l'un de ses films, oscarisé : « J'ai produit 'Le discours d'un roi', elle a fait 'le discours de la reine'. » Mais ce scénario-là, il n'y a rien compris. Weinstein agace le juge. D'abord, il pianote sur ses deux portables, ce qui est interdit dans le prétoire ; puis, après avoir organisé une fête pour le Super Bowl, il s'assoupit pendant l'audience. Le dernier jour du procès, il prend la parole. C'est la première fois, et il a bien l'intention de dire « sa » vérité. Il reconnaît avoir des « remords » vis-à-vis des victimes, mais il se vante surtout de ses exploits philanthropiques en faveur, notamment, des victimes du sida… Quelques minutes après, le juge assène la sentence : vingt-trois ans de prison, dont vingt au titre du viol de Mimi, et trois pour celui de Jessica. Mimi était à quelques mètres de lui quand le verdict est tombé. « Harvey était complètement dans le déni et à côté de la plaque », analyse-t-elle. Il a immédiatement fait appel.

Aujourd'hui, Weinstein continue de crier son innocence. Juda Engelmayer, son porte-parole, jure qu'il a été victime d'un procès politique de l'ère #MeToo : « La collusion contre lui entre le parquet de New York et les procureurs était évidente. Si vous ne comprenez pas ça, vous ne comprenez rien. » Son procès en appel n'aura sans doute pas lieu « avant février ou mars 2021 en raison du retard causé par le coronavirus », estime Engelmayer. En attendant, il croupit dans la prison de Wende, dans l'ouest de l'État de New York, où est incarcéré Mark David Chapman, l'assassin de John Lennon. Les deux hommes ne se sont pas rencontrés. Au début de sa détention, Weinstein a été testé positif au Covid, mais s'est vite remis. Depuis, il partage sa cellule avec trois ou quatre détenus. « Ça se passe correctement », précise son porte-parole, qui lui parle au moins une fois par semaine pour discuter stratégie judiciaire. Un second procès l'attend, à Los Angeles, où trois victimes l'accusent. Parmi elles, Lauren Young, ex-actrice de 30 ans qui a déjà témoigné à New York. Elle affirme avoir été agressée sexuellement en 2013 dans un hôtel de Beverly Hills.

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D'autres victimes sortent du bois, comme celle qui a lancé, le 7 août, contre lui une nouvelle plainte pour viol… « Ce n'est ni la première victime ni la dernière, il y en a tant ! C'est sans fin », commente Gloria Allred, l'avocate de Mimi Haleyi, qui est allée se reposer après le procès sur une plage au Mexique. « Jusqu'au dernier moment, nous explique Mimi, j'ai eu peur qu'il s'en sorte, faute d'accord entre les membres du jury. Je ne tire aucune satisfaction d'envoyer les gens en prison, mais, s'il n'avait pas été condamné, il aurait recommencé. La sentence m'a surprise par sa sévérité, mais la décision du juge a été pour moi une libération. Mon moment de vérité. »

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