Féminicides : Quand l'Espagne dit stop !

En 1997, sous le choc d’une femme brûlée vive par son mari, le pays a inventé les lois pour protéger les victimes. Vingt ans après, système judiciaire, police et associations travaillent en réseau, avec des méthodes inédites pour des résultats spectaculaires. Voici comment fonctionne le meilleur modèle européen.

Une manifestation contre les violences de genre, en Espagne.
Une manifestation contre les violences de genre, en Espagne. ©AFP or licensors

En 1997, sous le choc d’une femme brûlée vive par son mari, le pays a inventé les lois pour protéger les victimes. Vingt ans après, système judiciaire, police et associations travaillent en réseau, avec des méthodes inédites pour des résultats spectaculaires. Voici comment fonctionne le meilleur modèle européen.

D’après un article Paris Match France deAudrey Levy

Elle est arrivée la mine défaite. Mais, à la barre, elle s'anime, brandit son portable. C'est l'unique preuve dont elle dispose pour témoigner de son cauchemar. Depuis février, son ex-conjoint n'a plus le droit de l'approcher. « Le 4août, il est monté dans le bus, arrachant mon sac et mon portable », dit-elle, encore secouée. Elle reprend son souffle : « Le 13septembre, il menaçait par texto de me couper les bras et les jambes. » Puis la voix tremblante : « Avant-hier, c'était cette vidéo, avec cette main qui agite un pistolet, qu'il envoyait depuis le portable de sa mère. »

Derrière son pupitre et sous le portrait du roi Felipe d'Espagne, monsieur le juge l'écoute, attentif. S'il l'a convoquée sans attendre, c'est parce qu'en Espagne on ne plaisante pas avec ce genre de menaces. À côté de lui, la procureure, tout aussi préoccupée : « Pourquoi ne l'avez-vous pas dénoncé avant ? » La jeune brune, exténuée : « J'avais peur ! Il m'avait promis : "Si tu ne dis rien, je ne te ferai rien." » Le visage de la fonctionnaire s'assombrit : « Avez-vous des enfants en commun ? » « Une fille mais il n'a pas le droit de garde », répond-elle. Pour le juge, Alejandro José Galan Rodriguez, c'est tout vu : il lui propose la mise en place sur-le-champ d'un dispositif électronique. Elle accepte, soulagée.

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Madrid, au tribunal des violences contre les femmes. La victime montre la vidéo menaçante de son ex qui comparaît. © Eric Hadj/Paris Match
Madrid, au tribunal des violences contre les femmes. La victime montre la vidéo menaçante de son ex qui comparaît. Eric Hadj/Paris Match

Une loi «intégrale» qui protège les femmes aux niveaux judiciaire, policier, médical

Ici, inutile d'attendre la fin du procès, la protection est immédiate et la procédure « express » : après le dépôt d'une plainte, le juge a entre quarante-huit et soixante-douze heures pour monter le dossier. Si les preuves sont satisfaisantes, il peut rendre son jugement dans la foulée. Ou dans un délai de quinze jours s'il estime que l'enquête n'est pas terminée. Nous sommes ici au tribunal des violences contre les femmes, une cour spéciale, comme il en existe 105 autres dans le pays. « Nous avons des compétences civiles et pénales, un peu comme vos juges d'instruction, mais nous ne traitons que les cas de violences perpétrées par les hommes sur les femmes », résume le juge Galan, cravaté de rouge. Cette justice inédite, l'Espagne la doit au gouvernement socialiste Zapatero, qui a fait voter en 2004 à l'unanimité la « loi de protection intégrale contre la violence de genre ». Intégrale, parce qu'elle protège les femmes à tous les niveaux : judiciaire, policier, médical.

En Espagne, les féminicides ont reculé, de 71 victimes tuées en 2003 à 47 en 2018

Pour cette défense, il y a, aux côtés du juge Galan, les forces de l’ordre, les médecins, les travailleurs sociaux qui ont reçu, comme lui, une formation spécialisée. Résultat : en Espagne, les féminicides ont reculé, de 71 victimes tuées en 2003 à 47 en 2018. Et les dépôts de plaintes ont augmenté : on en comptait 160 000 en 2017, contre 72 000 en 2005. Un modèle qui donne à réfléchir, à commencer par la France, où plus de 149 femmes* ont été tuées en 2019. En Belgique, le blog « Stopfeminicides » en a recensée 23, même si aucunchiffre officiel n’existe sur la question.

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C'est au tour de l'accusé : crâne rasé et menotté, il est péruvien et prend place, encadré de deux policiers. À peine le temps d'écouter les faits, il interrompt le juge : « Pourquoi ne m'a-t-elle pas dénoncé ? » Accuser la victime, c'est un classique. Mais señor Galan garde son calme : il est rodé à l'exercice. C'est l'un des premiers à s'être consacré à la cause. Dès 2005, il débarquait de Bilbao, où il officiait aux affaires familiales.

La couleur violette, symbole des luttes féministes. © XABIER LERTXUNDI / AFP
La couleur violette, symbole des luttes féministes. XABIER LERTXUNDI / AFP ©AFP or licensors

La difficulté dans ce genre d'affaires ? « Ne pas se laisser emporter par son affect pour la victime. Rester objectif, tout en assurant sa protection », confie-t-il. Sent-il qu'on se joue de lui ? Iltravaille l'accusé au corps, qui, ce matin, a réponse à tout : « Ce n'était pas le téléphone de ma mère ! C'est une copie de sa page WhatsApp, où une vidéo a été ajoutée. » Le juge Galan fronce les sourcils. C'est possible… Alors, avant de rendre sa décision, il entendra sa mère. Ici, les peines sont plus lourdes : pour des délits de menaces, on peut écoper d'une peine de prison. Mais, si l'accusé reconnaît les faits, un aménagement peut être envisagé. Affaire suivante : c'est un couple, en jogging, comme à la maison, qui s'assoit sur le banc des accusés. Ils ont tous les deux le visage bleuté et les lèvres tuméfiées, conséquence d'un dîner qui a mal tourné. Ivres, ils se sont battus, jusqu'à ce qu'un voisin les dénonce. La victime refuse de porter plainte ? Après une intervention policière, l'Etat peut ici s'en charger à sa place. Pour la procureure, c'est allé trop loin : « Il y a ces lésions qu'il faudra faire examiner par les médecins légistes. » Une enquête sera ouverte. Prochaine convocation dans dix jours.

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Si un homme veut tuer, il tue ! Mais souvent on arrive à sortir les femmes de la violence.

Ce matin, le juge Galan a aussi été confronté à ce cas épineux : celui d'une mineure, à peine 15ans, qui a reconnu, lors de l'audition, sa relation avec un jeune de 22ans. La mère a porté plainte, après avoir tout découvert dans son portable : « Elle craignait qu'elle tombe enceinte. » Ce que risque le garçon ? Jusqu'à 8ans de prison ! Car, en Espagne, toute relation avec une mineure de moins de 16ans, même consentie, est un délit. C'est dans le Code pénal ! Des affaires comme celles-ci, il en juge 1 300 dans l'année. « Dans 70 % des cas, elles finissent en condamnation. Les autres, faute de preuves, sont classées sans suite. » Mais il se réjouit de ces 20 000ordonnances de protection délivrées chaque année en Espagne, et de ces bracelets électroniques dont sont équipés 1 371 agresseurs. « Avec ce dispositif, aucun assassinat n'a été commis ! » Il le sait, « ces mesures, ce n'est pas comme un vaccin qui éviterait une épidémie : si un homme veut tuer, il tue ! déplore-t-il. Mais souvent on arrive à sortir les femmes de la violence ».

À 60 kilomètres de là, au poste de San Lorenzo de El Escorial, Maria le sait mieux que personne : elle a 41 ans, porte l'uniforme gris-vert de la Guardia civil, mais fait surtout partie de l'« équipe de violence de genre », une unité spécialisée. Dans son bureau, elle croule sous les dossiers : « D'un côté, il y a ceux classés avec des ordres de protection, de l'autre, ceux qui n'en ont pas, mais qu'on suit tout autant », assure-t-elle. Au total, 302 cas, et autant de femmes qu'elle tente de sortir des cercles de l'enfer. « Les plaintes proviennent de 12 postes différents mais tout est centralisé ici. » À San Lorenzo, comme ailleurs, on les gère en binôme. Pour l'épauler, elle compte sur Patricia, qui, comme elle, a cette mission chevillée au corps : « Protéger les femmes autant que prévenir la violence. » Comment ? En leur garantissant une protection immédiate et rapprochée, dès le dépôt de plainte. Leur arme de protection massive, c'est VioGen, une plateforme de suivi qui recense tous les cas de violence de genre. « Lancé en 2007 par le ministère de l'Intérieur, cet outil, mis à disposition des autres institutions, nous aide à évaluer les risques et à accompagner les femmes. »

Plus le risque est fort, plus la protection est resserrée

Rosa en a bénéficié. Son arrivée au poste, elle s'en souvient comme si c'était hier : le 7 décembre 2016, son ex venait de « défoncer » sa voiture après l'avoir menacée partexto, parce qu'elle prenait un verre avec ses copines. Les insultes, c'était à répétition pour cette mère de deux enfants, âgés de 9 et 16 ans. « Si tu ne le dénonces pas, la prochaine fois il te tuera ! » avaient prévenu ses amies. Cette fois, elle les a écoutées, parce que « les violences verbales font aussi mal que les souffrances physiques », confie-t-elle en pleurs. Au poste, ses « anges gardiens », comme elle les appelle, n'en ont pas douté. Pas comme les policiers de son village, à Robledo. « Tant que tu ne débarques pas rouée de coups, ils ne te prennent pas en charge ! Ici, on t'écoute 24 heures sur 24, sans te juger. » Ce jour-là, pour Rosa, ça a duré cinq heures : on a entendu ses témoins et on lui a fait passer un test pour jauger le danger. « On a transmis sa fiche sur VioGen et, à 8 heures, elle témoignait devant le tribunal », explique Maria. Sur son portable, l'agresseur continuait de plus belle : « Salope ! Où sors-tu à cette heure-ci, sans tes enfants ? » Elle lui a répondu : « Dans quelques heures, tu verras ! » Mais, à la barre, malgré l'avocat à ses côtés, elle aurait préféré disparaître : « J'avais peur. Je dénonçais le père de mes enfants et je me sentais coupable. » Elle obtient un ordre d'éloignement de 400 mètres. Et à la Guardia civil, pas question d'en rester là : « On a réalisé une nouvelle évaluation pour mettre en place un suivi policier », détaille Maria. La protection, ici, c'est du sur-mesure : plus le risque est fort, plus elle est resserrée. Il est extrême ? On entre en contact toutes les soixante-douze heures avec la victime. Il est élevé ? Tous les sept jours. Pour Rosa ? « Moyen », a décrété le logiciel, ce sera tous les mois.

Au programme, appels téléphoniques, visites et envoi de patrouilles à domicile. Sauf que ça n'a pas suffi. Six mois plus tard, à peine enfilait-elle sa plus belle robe de flamenco pour la feria de Robledo qu'il revenait. À sa table, sa voisine s'était écriée : « Ne te retourne pas, il va te briser le cou ! » Derrière elle, l'homme déboulait en furie, un bâton dans une main, une bouteille dans l'autre. Pire que dans un film d'horreur ! « J'ai eu une attaque de panique et j'ai perdu connaissance. » À son réveil, rebelote : il a fallu porter plainte, tout réexpliquer, retourner au tribunal. Nouvelle sanction : 9mois de prison. « Sauf qu'il y a échappé : il n'avait pas d'antécédents ! » s'insurge-t-elle. Alors, à la Guardia civil on a réévalué le risque, il est désormais « élevé ». Soulagée, avec cette garde rapprochée ? Elle n'ose plus prononcer le mot, elle a « trop peur ». Elle est traumatisée.

Toni a créé son réseau de «survivantes» à Madrid. © Eric Hadj/Paris Match
Toni a créé son réseau de «survivantes» à Madrid. Eric Hadj/Paris Match

Dans son petit appartement à Madrid, Toni semble sereine. La rayonnante rousse de 37 ans a un job dans l'événementiel, un nouveau-né de 4 mois. Et un mari « comme il faut », qui berce l'enfant dans ses bras. La vie rêvée ? Presque. Car il y a ce boîtier dont elle ne se sépare jamais et qui, relié au bracelet électronique de son ex-conjoint, la ramène à sa vie d'avant. Il s'approche à moins de 500 mètres ? L'alerte se déclenche : « J'appuie sur ce bouton et la police déboule, sirènes hurlantes. » Aujourd'hui, elle se sent « enfin, tranquille ». Si elle en est là, c'est grâce à ses « sauveuses », Araceli et Rosalia, deux « survivantes » qui font partie de la Fondation Ana Bella, un réseau d'entraide, fondé en 2001 par une ancienne victime. Au bout du fil, désespérée, elle leur a tout raconté : les remarques blessantes de son ex, son énervement dès qu'elle se maquillait. Au début, elle a laissé faire, il était « si attentionné », et elle avait tant besoin d'être « aimée », elle venait de perdre sa fille de 12 ans, emportée par un cancer. Un jour, elle a enfilé une jupe et il l'a traitée de « pute », l'humiliant jusque dans la rue, où il inscrivait sur des pancartes ses coordonnées et les imaginaires services qu'elle offrait. Puis il l'a frappée jusqu'au sang.

D'habitude si forte, elle était sous terre. Leur écoute bienveillante, « le jour comme la nuit », ça l'a aidée. « Elles m'ont dit de porter plainte et m'ont accompagnée au tribunal », où l'on a envoyé son agresseur en prison. « Sans elles, je ne serais pas là », répète-t-elle, émue. Au menu : randonnées, cafés, ateliers de maquillage. « Ça m'a redonné confiance, dit-elle. Mais toutes les femmes n'ont pas cette chance. » Pour les autres, elle a décidé de devenir, à son tour, une « survivante », de « les aider, comme elle a été aidée ». Au sein de la fondation, elle a formé sa propre chaîne solidaire, épaulant bénévolement des centaines d'adhérentes.

Ce matin, au café du coin, elle a réuni le « noyau dur » pour accueillir Julia et Isabel. Les deux jeunes femmes sont sous emprise. Et la blonde, avocate, en pleurs. Alors, interdiction de leur parler. « C'est trop tôt, elles ne sont pas en état de verbaliser », explique Toni, qui remplit avec elles un questionnaire. Quand elles y parviennent, c'est toujours la même histoire : un compagnon qui, à la naissance du premier enfant, devient jaloux, la violence sous l'emprise de l'alcool, les excuses. Et ce coup de trop, qu'on ne pardonne pas. « On est toutes passées par là, confie Araceli, 59ans. On leur parle de notre parcours et des recours qui existent. » Elle n'avait que 25ans quand tout a basculé, elle n'a pas oublié ce jour où, enceinte, il l'avait enfermée à double tour, lui ordonnant du bout de son fusil « de prier parce qu'il allait tirer ». « Je ne m'endormais pas sans un couteau sous l'oreiller. » Le déclic, elle l'a eu grâce à sa fille, alors âgée de 3ans. Ce jour-là, il l'a cognée, traînée à terre, la tirant par les cheveux. « En voyant le visage horrifié de ma fille, j'ai eu un choc. Je ne pensais plus à moi, mais à elle ! » Quand il a tenté de l'étrangler, elle s'est enfuie, sa fille sous le bras. C'était en 1998. « Une autre époque », soupire-t-elle. Peu de structures existaient. Pas d'empathie chez les femmes de son entourage. Ni du côté de ses parents, qui répétaient : « Les histoires, c'est chacun chez soi. » Elle observe : « La société était gangrenée par le machisme. »

Autour de Toni (au centre à g.), à la tête d’un réseau d’entraide, Julia et Isabel. Face à elles, des « survivantes » dont Teo et Araceli. © Eric Hadj/Paris Match
Autour de Toni (au centre à g.), à la tête d’un réseau d’entraide, Julia et Isabel. Face à elles, des « survivantes » dont Teo et Araceli. Eric Hadj/Paris Match

Leur « doyenne », Rosalia, 68 ans, sait de quoi elle parle, son mari, c'était « le roi de la maison ». Tout ça parce qu'il ramenait l'argent. Il revenait ivre ? Il fallait se taire. Il devenait violent ? Surtout ne pas le contredire. À la naissance prématurée du premier enfant, elle est restée trois mois à l'hôpital. À son retour, il avertissait, couteau à la main : « Je commencerai par vous, puis je finirai avec moi. » Chaque jour, c'était pire. « Quand il ne tentait pas de m'étouffer, il me maltraitait psychologiquement. » Partir ? Elle n'y a même pas songé. Sa seule envie, après quarante ans de vie commune, c'était mourir. « Il m'a tout enlevé, jusqu'à la fibre maternelle. » À deux reprises, elle a tenté de se suicider. Quand la loi a changé, elle a pris son courage à deux mains et l'a dénoncé. Il a eu 9mois de prison. Si tout a changé, c'est grâce à leur « idole » : Ana Orantes, la première à avoir eu le cran de témoigner sur un plateau télé. C'était en1997. Face caméra, la sexagénaire déballait tout : ses quarante années de coups reçus de son ex-mari, sa quinzaine de plaintes déposées, en vain… Quelques jours plus tard, il la brûlait vive, dans son jardin. « L'Espagne était sous le choc, se souvient Rosalia. Les consciences se sont éveillées et les politiques, mobilisés. » La loi intégrale c'est grâce à elle !

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En guerre contre le féminisme, ils vont jusqu'à dire que les hommes sont victimes de la loi !

Pour honorer sa mémoire, elles lutteront jusqu'au bout. « Rien n'est acquis, il reste beaucoup à faire. » Dans les tribunaux spéciaux, il y a encore des juges comme celui-ci, filmé à son insu, qui se réjouissent de « la tête de la victime, quand la garde sera confiée au père. » « Notre justice et notre police sont héritées du franquisme et nombreux sont ceux qui ont été formés sous la dictature », explique-t-elle. Avec la montée de Vox, le parti d'extrême droite, on craint un retour en arrière. « En guerre contre le féminisme, ils vont jusqu'à dire que les hommes sont victimes de la loi ! » s'insurge Araceli. Quand ils ne surnomment pas les femmes comme elle « féminazis ». Autre bémol : pour être prise en charge dans un tribunal spécialisé, il faut être mariée ou dans une relation de concubinage. « La loi devrait être élargie à toutes les femmes ! Et à tous les cas de harcèlement sexuel, de mutilations génitales et de viols », estime-t-elle. Comme celui perpétré en 2016, lors des fêtes de Pampelune, sur une fille de 18ans par « la meute », un groupe de cinq Sévillans, dont deux militaires. Jugés par un tribunal lambda, ils n'avaient écopé que de 9ans de prison, condamnés pour « abus sexuel », avant d'être remis en liberté provisoire. Ils en prendront 15, accusés de « viol collectif ».

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Partout, on envie l'Espagne, qui a débloqué 1 milliard d'euros pour accompagner les femmes sur cinq ans. C'est douze fois plus qu'en France mais, pour Teo, « c'est insuffisant ! » Ce petit bout de femme a échappé à son agresseur, la mâchoire brisée. Elle en a gardé des séquelles : sourde d'une oreille, elle porte un appareil auditif. Mais le problème, ça a été l'après. « Quand ils l'ont arrêté, j'ai vidé mon compte bancaire et j'ai vécu pendant un an sur mes économies. » Après, c'était des nuits dans un centre d'hébergement et des repas à la Croix-Rouge. À la Fondation Ana Bella, « ses sœurs » l'ont soutenue, l'aidant dans ses démarches. Sami, elle, se souvient : « Quand j'ai lancé mon salon de coiffure, elles étaient mes premières clientes. Alors, aujourd'hui, je leur fais de petits prix. » Comme 3 200autres victimes, Teo perçoit désormais une aide de l'Etat : 400 euros mensuels. « Pas assez, s'emporte Rosalia. Ce qu'on veut, c'est un travail ! » Pendant ses deux années de galère, elle s'est surtout sentie stigmatisée. « Aux femmes étiquetées "violences de genre", on ne propose que des jobs de femme de ménage. » Jadis, elle était assistante de direction. Alors elle ne s'est pas découragée, et a repris des cours de télémarketing en 2011. Un jour, elle a reçu cet appel : « Votre CV plaît énormément, lui a-t-on dit. Danone souhaiterait vous rencontrer. »

Au bout du fil, c'était Ana Bella en personne qui venait de nouer un partenariat avec le groupe laitier. « J'ai été embauchée à plein temps comme conseillère commerciale », se félicite-t-elle. Et ajoute, victorieuse : « Je montrais enfin mon visage au grand jour ! »

* Source : Collectif « Féminicides par compagnons ou ex ».

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