Masque volé de Tervuren : Des parlementaires interpellent
Une archiviste du musée de Tervuren s’est rendue dans les locaux de la salle de vente bruxelloise Ferraton pour expertiser le manuscrit d’Albert Lapière qui sera bientôt mis aux enchères. Des parlementaires Ecolo et PTB interpellent la ministre fédérale de la Politique scientifique. En cas d’achat par un collectionneur privé, ce document original d’une importance cruciale pourrait disparaître du domaine public.
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- Publié le 28-09-2019 à 12h59
- Mis à jour le 28-09-2019 à 11h56
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La salle de ventes bruxelloise Ferraton a déjà reçu plusieurs marques d'intérêt pour le manuscrit d'Albert Lapière qui sera mis en vente aux enchères, le 4 octobre prochain. Pour rappel, ce document raconte le pillage durant lequel plusieurs pièces faisant partie des collections du Musée royal de l'Afrique centrale (MRAC) ont été volées. Ces faits criminels se sont passés dans le Haut-Lomami (République démocratique du Congo) en 1896. Dans le butin, résidu difficilement présentable d'une époque extrêmement violente de la conquête coloniale du Congo, se trouve un masque luba très célèbre qui, depuis de nombreuses années, fait figure d'emblème officieux du MRAC.
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Nous avons démontré dans de précédents articles que le MRAC n'a pas déployé de grands efforts pour se procurer les aveux manuscrits de Lapière. Toutefois, il semble désormais se mobiliser : après des contacts infructueux avec les possesseurs des papiers Lapière qui ne veulent plus renoncer à la vente publique prévue le 4 octobre, une archiviste du musée de Tervuren s'est déplacée jusqu'à la salle de ventes pour observer le document. Sera-t-elle également présente lors des enchères ? Pour rappel le directeur du MRAC, Guido Gryseels nous avait déclaré, il y a quelques jours : «Le prix de départ pour la vente de ces archives a été mis à 4 000 euros, une somme dont nous ne disposons pas dans le contexte budgétaire actuel».
Des sources au sein du musée se sont déclarées « stupéfaites » par ce dossier, écrivions-nous il y a quelques jours. Un membre du personnel scientifique du MRAC nous affirmait : « On n'a pas 3 000 ou 4 000 euros pour une source primaire de cette qualité ? C'est de la mauvaise volonté ». Nous apprenons maintenant que cette incompréhension est partagée dans les travées du parlement fédéral. Aussi le député Nabil Boukili (PTB) a rédigé une interpellation à l'endroit de la ministre de la Politique scientifique, Sophie Wilmès (MR) afin de lui demander des comptes. C'est en effet cette membre du gouvernement en affaires courantes qui exerce la tutelle sur le MRAC. Le parlementaire de la gauche radicale espère entendre le point du vue de la ministre sur ce dossier avant la vente aux enchères du 4 octobre prochain.
« Ne pas acquérir ce document, ce n’est pas un problème de budget, c’est une prise de position politique »
«Que le musée doive faire l'acquisition de ce manuscrit est une évidence», déclare M. Boukili. «Si le MRAC veut se rapprocher de l'institution rénovée qu'il prétend être dans sa communication, il doit joindre les actes à la parole. Il doit exposer le manuscrit à côté du masque pour témoigner des conditions de son acquisition et, par là même, donner de l'information complète et véritable à ses visiteurs. Il n'y a pas qu'un objet avec des qualités esthétiques ! Il y a son histoire dans l'Histoire, son vol et maintenant ce manuscrit original qui a ressurgi de nulle part et qui prouve le pillage opéré dans un village congolais, qui témoigne de certaines facettes de la violence coloniale. C'est un tout qu'il faut prendre en compte pour comprendre le sens exact de ce qui est montré. Quand le directeur du musée prétend qu'il n'a pas 4 000 euros pour cet achat, j'ai le sentiment qu'il se moque du monde. Ne pas acquérir ce document, ce n'est pas un problème de budget, c'est une prise de position politique».
Ce manuscrit original qui a ressurgi de nulle part et qui prouve le pillage opéré dans un village congolais, qui témoigne de certaines facettes de la violence coloniale.
«L'argument selon lequel le MRAC ne disposerait pas du budget pour acquérir un tel document est totalement irrecevable«, renchérit le député Ecolo Simon Moutquin. «On dépense de l'argent pour tellement d'autres choses à Tervuren. J'aimerais savoir combien on a investi dans le cadre de l'acquisition et de la gestion des archives Stanley et dans bien d'autres postes encore. Je voudrais comprendre comment on en arrive à considérer qu'on n'a pas les moyens d'acheter une source primaire essentielle comme le manuscrit de Lapière alors qu'il n'est tout de même pas question de centaines de milliers d'euros. J'interpellerai la ministre de la Politique scientifique en ce sens».
Le député vert craint que cette affaire du manuscrit Lapière donne un mauvais signal : «Le musée ne peut se contenter d'un discours sur une nouvelle vision de sa mission, sur une approche plus ouverte de ce que fut le temps de la colonie et ne pas profiter de l'occasion d'acquérir un tel manuscrit. Le MRAC n'a pas 4 000 euros pour acquérir un document majeur ? Ce n'est pas une bonne publicité pour notre pays. Comment va-t-on lire cette attitude à l'international alors que sera bientôt publié un rapport l'ONU qui incite la Belgique à aborder son passé colonial avec plus de sens critique. Il est extrêmement préoccupant de constater que ce dossier s'ajoute à celui de la fête « coloniale » qui fut organisée durant l'été à Tervuren. En outre, il ne faut pas perdre de vue que ce manuscrit est une pièce importante dans le débat sur la restitution des biens mal acquis au Congo».
Dans ce contexte, nous avons posé deux questions par courriel à la ministre fédérale chargée de la Politique scientifique, Sophie Wilmès. Primo, «ne serait-il pas regrettable que de tels documents (le manuscrit de Lapière) qui évoquent les circonstances d'acquisition du masque-buffle se retrouvent dans une collection privée, possiblement à l'étranger ?» Secundo : «Le MRAC dit ne pas disposer d'une somme de 4 000 euros pour faire l'acquisition d'un tel document : quel commentaire cela vous inspire ?» Nous ferons part des réponses de la ministre si elles surviennent.