Masque volé de Tervuren : les trop chers aveux de Lapière

66,5 millions d’euros ont été investis dans la rénovation du Musée royal de l’Afrique centrale. Mais selon son directeur Guido Gryseels, cet établissement scientifique fédéral n’a pas les moyens d’acheter un manuscrit qui témoigne de l’origine, il est vrai problématique, du masque « emblématique » du MRAC. On parle ici d’une somme de 4000 euros…

Selon son directeur, Guido Gryseels, le Musée royal de l'Afrique centrale ne dispose pas du budget qui lui permettrait d'acquérir le manuscrit original de Lapière. © Michel Bouffioux et Belga
Selon son directeur, Guido Gryseels, le Musée royal de l'Afrique centrale ne dispose pas du budget qui lui permettrait d'acquérir le manuscrit original de Lapière. Michel Bouffioux et Belga

Un masque luba, l'emblème officieux du Musée royal de l'Afrique centrale, a été pris lors du pillage d'un village congolais en 1896. Ces faits criminels ont été relatés dans le journal de l'officier Albert Lapière. Tervuren ne dispose que de photos de cette pièce à conviction. Le document original, peut-être plus complet que la copie, a été récemment acheté… par des chineurs bruxellois. Début octobre, en même temps qu'un album photo, le manuscrit sera vendu aux enchères dans la capitale belge.

Nous avons démontré dans un précédent article que le MRAC n'a pas déployé de grands efforts pour se procurer les aveux manuscrits de Lapière. Par l'intermédiaire de l'anthropologue Rik Ceyssens, la découverte de ces documents a été portée à la connaissance du musée en mai 2019. A l'époque, une cheffe de service du MRAC envoya un mail aux possesseurs du précieux manuscrit mais ceux-ci ne le reçurent jamais… L'adresse électronique utilisée par le musée était erronée. Sans notre récente évocation de l'histoire du masque volé, les choses en seraient restées là et c'est donc sans débat public préalable qu'allait se dérouler la vente des carnets de Lapière, le 4 octobre prochain dans la salle Ferraton, à Bruxelles. Suite à notre interpellation, le musée a finalement pu établir un contact véritable avec les chineurs en possession du journal de Lapière. Celui-ci fut infructueux.

Le jeudi 5 septembre, nous avions posé deux questions par courriel au directeur du MRAC, Guido Gryseels. Primo, « ne serait-il pas regrettable que de tels documents, qui évoquent les circonstances d'acquisition du masque-buffle, se retrouvent dans une collection privée, possiblement à l'étranger ? » Secundo : « Votre institution va-t-elle faire le nécessaire pour que ces documents historiques rejoignent vos archives, autrement dit un endroit où ils pourront être accessibles au public, facilitant ainsi le nécessaire débat relatif à l'origine d'une partie de vos collections ? »

« Une somme dont nous ne disposons pas dans le contexte budgétaire actuel »

La réponse du directeur du MRAC nous est arrivé ce dimanche 15 septembre : « Je m'excuse pour ma réaction tardive mais j'étais en mission à l'étranger avec accès irrégulier à internet. Nous allons prendre des mesures pour essayer d'obtenir ces documents. Cependant, depuis votre article, la valeur de ces archives a augmenté considérablement. Le prix de départ pour la vente de ces archives a été mis à 4000 euros, une somme dont nous ne disposons pas dans le contexte budgétaire actuel. » On précisera cependant que le prix demandé n'a pas évolué à la suite de la parution de notre article. Il s'agit, selon les chineurs, du montant minimum qu'ils comptaient déjà réclamer en mai 2019, en tenant de comptes démarches entreprises et des fonds qu'ils ont investis eux-mêmes (soit quelques 2.000 euros pour faire l'acquisition des documents sur un marché et dans une salle de vente). En outre, le prix de départ fixé par la salle de ventre bruxelloise est de 3.200 euros.

Des sources au sein du musée se disent « stupéfaites » par l'évolution de ce dossier. « On n'a pas 3000 ou 4.000 euros pour une source primaire de cette qualité ? C'est de la mauvaise volonté », affirme un scientifique. Une autre personne qui œuvre au cœur de l'institution ose poser cette question : « Le musée a-t-il vraiment envie de dépenser de l'argent pour acquérir des documents originaux prouvant l'origine douteuse de pièces qui se trouvent dans ses collections ? Cela nous grandirait pourtant d'affronter notre histoire. Si on exposait le carnet de Lapière à côté du masque, on remplirait mieux notre mission de service public. »

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