Jacques Monsieur. Profession : trafiquant d'armes
Fin de cavale pour le trafiquant d’armes Jacques Monsieur alias «Le Maréchal» ou «The Fox» (le Renard). L’un des plus grands trafiquants d’armes des dernières décennies rattrapé par son business et sa passion pour les chevaux.
- Publié le 24-08-2019 à 11h55
- Mis à jour le 24-08-2019 à 11h59
:focal(545x373:555x363)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/6TWA6VGYMVBDXJY52RHWYJ2C7Y.png)
Jacques Monsieur a été alpagué la semaine dernière dans la région d’Evora, au Portugal, où il se cachait dans une discrète maison de campagne voisine d’écuries. Sa passion immodérée pour les chevaux a mis sur sa piste les hommes du «Fast» (Fugitive active search team), l’unité de la police fédérale spécialisée dans la traque des fuyards. En effet, une facture de transport impayée à un éleveur français, pour le déplacement vers la Lusitanie de neuf de ses bêtes depuis le mas qu’il posséde à Tarascon, dans les Bouches-du-Rhône, a remis les enquêteurs belges sur sa trace.
Lire aussi >La Nouvelle-Zélande interdit officiellement les armes de style militaire
Les clichés ont la peau dure. On peine à voir en Jacques Monsieur, fils de notaire et juriste de formation originaire de Hal, l’un des principaux trafiquants d’armes au monde. Difficile en effet de se représenter ce petit homme d’allure distinguée, adepte du complet gris impeccable et des lunettes à fine monture, en négociant multicartes du commerce illégal de matériel militaire à destination des champs de batailles parmi les plus meurtriers de ces quarante dernières années. On imagine mal son implication dans une impressionnante série de transactions illicites d’armements, depuis l’«Irangate» jusqu’aux guérillas africaines, en passant par les conflits en ex-Yougoslavie. Souvent d’ailleurs au mépris des embargos ainsi qu’à la demande, en collaboration ou sous le couvert plus ou moins admis de services de renseignement civils et militaires parmi les plus fameux de la sphère OTAN. Et toujours sur fond de corruption, d’affairisme, de réseaux d’influence et de diplomatie parallèle.
Pourtant, si ce n'était l'un de ses concurrents d'alors (le Russe Viktor Bout), Jacques Monsieur aurait très bien pu inspirer le célèbre film «Lord of war». Au début des années 2000, Johan Peleman, l'un des spécialistes belges et internationaux du trafic d'armes, le dépeignait dans le quotidien français Libération comme «un grand professionnel, le cas typique d'un intermédiaire de la guerre froide, un joueur de l'ancien monde». Retour sur ses principaux «faits d'armes»…
La tanière du «Renard»
En 1996, lorsqu’ils pénètrent dans le haras de Jacques Monsieur, à Lignières, près de Bourges dans le centre de la France, les enquêteurs belges n’en croient pas leurs yeux. Dans ce vaste «domaine des Amourettes» d’une centaine d’hectares où le propriétaire s’adonne à l’élevage de chevaux, ils y découvrent une véritable montagne de documents. Des milliers d’archives, fax, bordereaux de commandes, revues et catalogues spécialisés s’amoncellent. De quoi y voir clair dans un maquis d’obscures transactions opérées dans le monde entier depuis une vingtaine d’années et portant sur des contrats d’armement.
A ce moment, «Le Renard» l'ignore encore, mais cette première perquisition au coeur de sa tanière annonce le déclin de sa «brillante» carrière internationale. Cette même année, il a commis un faux pas en tentant de livrer des missiles antiaériens Stinger à l'Iran, avant de devoir y renoncer face à l'opposition du monde occidental. A partir de là, les Américains le lâchent et accentuent la pression pour qu'il soit mis hors circuit. L'ancien auxilliaire est devenu trop encombrant dans le contexte de l'après guerre froide.
Jusqu'alors, Monsieur a toujours échappé à la justice de son pays. A Bruxelles, plusieurs juges d'instruction s'y sont cassés les dents. Pour plus de sûreté, l'intéressé préfère néanmoins s'exiler à Lignières en 1993 où il joue les exploitants agricoles. Jusqu'à ce qu'un énième magistrat, Dominique De Haan, trouve la faille. Le bon angle d'attaque est celui du droit des sociétés. Et celle de droit belge créée par Jacques Monsieur pour servir de paravent à ses activités sur le «marché gris» du commerce des armes – Matimco pour «Matériel, armements, technologies industrielles et militaires» – ne tarde pas à revéler ses vices cachés: faux, escroqueries, blanchiment.
Jusqu’en 1976, Jacques Monsieur officie dans l’armée belge, employé au service des achats avant de servir dans la réserve des troupes blindées où il décroche ses galons de capitaine. De son passage par la Défense, il conserve des liens durables au sein de la structure, singulièrement au service de renseignement militaire, l’ex-SDRA devenu SGRS. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si, quelques années plus tard, il installe les bureaux de la Matimco à Evere, à proximité du siège de l’Otan et du QG de l’armée.
Ses premiers trafics connus remontent à 1985. L’officier de réserve est l’un des acteurs de premier plan de l’«Irangate», du nom de l’opération clandestine initiée par l’administration Reagan visant à armer l’Iran des ayatollahs en guerre contre l’Irak de Saddam. Avec le concours du Mossad, les services secrets israéliens qui lui fournissent des certificats bidons de destinataire final d’armes («end users»), le Belge livre à Téhéran des milliers de missiles TOW américains pour une valeur de 83 millions de dollars, ainsi que des pièces d’artillerie de la firme allemande Rheinmetall. A la même époque, selon certaines sources, c’est également Monsieur qui alimente en armes les Phalangistes, artisans du massacre de Sabra et Chatila en pleine guerre civile libanaise. C’est aussi vers cette période que les policiers belges commencent à s’intéresser à lui. En 1987, son rôle dans le scandale de l’«Irangate» est même exposé par le ministre de la Justice de l’époque, Jean Gol, devant une commission d’enquête parlementaire sur les trafics d’armes.
Au début de 1991, on retrouve le trafiquant en service commandé à Varsovie. En plein démarchage de la société d’armement polonaise Cemrex en vue de passer commande de 50 chars T-55, 100 véhicules blindés transporteurs de troupe BMP-1, des hélicoptères d’attaque MI-24 et 10 000 fusils mitrailleurs AKMS. Cette commande colossale est destinée à mettre à niveau l’armée régulière angolaise, qui se trouve à la peine face à l’Unita, la guérilla de Jonas Savimbi. Le plus invraisemblable, c’est que «Le Maréchal» négocie le marché en utilisant la garantie financière accordée par Elf, la société pétrolière française. Ainsi, deux ans avant la France et la saga de l’affaire Falcone-Mitterrand associant le nom de Elf à des transferts d’armes, la Belgique hérite de son propre «Angolagate». Il semble cependant que la transaction n’ait pas été concrétisée.
Les Balkans, l’Afrique, d’un embargo à l’autre
Alors qu’il met en place une filière de livraison d’armes de la FN vers le Qatar, arrivent les conflits dans les Balkans. Une manne financière très juteuse pour Jacques Monsieur qui alimente simultanément le gouvernement de Croatie et la faction musulmane de Bosnie entre 1993 et 1996.En dépit de l’embargo sur les armes imposé par l’Onu à l’ex-Yougoslavie, il parvient à en acheminer des quantités astronomiques au départ de l’Argentine, de la Chine, de pays de l’Europe de l’Est et principalement de l’Iran, via la société publique d’armement Modlex dont il se présente comme le courtier officiel.
C'est d'ailleurs toujours avec la carte de visite de Modlex que Monsieur tente par la suite de vendre des mortiers, des fusils d'assaut et de l'artillerie légère au Burundi en proie à la guerre civile. Interrogé par la justice française en 2000 au sujet de son implication dans les conflits balkaniques, il déclare avoir agi sur mandat de la CIA, dès 1991, «pour livrer des armes aux forces anti-serbes». Il va même plus loin en affirmant avoir reçu le soutien actif des autorités et du contre-espionnage français. Lors d'un interrogatoire, son associé et futur co-inculpé confirmera cette version et expliquera dans le détail comment, avec la complicité des services secrets de l'Hexagone et celle de Marty «James» Cappiau – un mercenaire belge au service de l'armée Croate – «Le Maréchal» et lui sont parvenus à contourner l'embargo dans l'Adriatique.
La carrière de Jacques Monsieur ne s’arrête pas là. En 1997, il est encore à l’origine de la fourniture d’un stock de matériel militaire (missiles, roquettes, hélicoptères de combat) à la République du Congo Brazzavile du président Lissouba pour un montant de 61 millions de dollars. L’année suivante, c’est avec le pire ennemi de ce dernier qu’il fait affaire, Denis Sassou-Nguesso, le rebelle désormais installé dans le fauteuil présidentiel. Par la suite, il se positionne sur les marchés florissants du continent africain miné par les conflits. Il arme notamment l’Unita angolaise, la rébellion sierra-léonaise et le gouvernement du Libéria, tous trois pourtant sous embargo. Il se retrouve associé avec le Cesid, le service de renseignement militaire espagnol, à une vente à la Guinée d’un surplus de l’armée de la péninsule. En tant qu’intermédiaire, il scelle un accord d’échange entre l’Iran et le Congo-Kinshasa visant le troc d’équipements militaires iraniens contre des matières premières congolaises.
Pendant ce temps, la justice française le piste. Une nouvelle perquisition est menée au «domaine des Amourettes» en mai 1999 qui met au jour des filières de ventes d’armes à destination de l’Irak, de l’Iran et du Vénézuela. Jacques Monsieur est inculpé, puis relâché et soumis à un contrôle judiciaire. Il en profite pour s’envoler à destination de l’Iran où, un an plus tard, il est arrêté et condamné pour espionnage à dix ans en décembre 2001 par un tribunal révolutionnaire de Téhéran. Une condamnation commuée en une amende de 400 000 dollars. C’est alors qu’il décide de rentrer en Belgique pour s’opposer à un jugement par contumace d’octobre 2001 qui le condamne à cinq d’emprisonnement.
Lire aussi >L’avertissement de la NRA après le soutien de Trump à des réformes sur les ventes d’armes
«The Fox » écopera encore d’une peine aux Etats-Unis en 2010 en relation avec l’«Irangate», mais il se dit retiré du business et entièrement consacré à son amour des chevaux. Il n’a toutefois pas pu s’empêcher de remonter en selle comme en témoigne sa condamnation en octobre de l’année dernière par la cour d’appel de Bruxelles à une peine de quatre ans de prison assortie d’une amende de 1,2 millions d’euros. Déclaré membre d’une organisation criminelle, il a été reconnu coupable de la livraison illégale, entre 2006 et 2009, d’un véritable arsenal militaire (munitions, armes automatiques, tanks, hélicoptères, avions de combat) entre autres à la Libye, au Tchad, au Pakistan et à l’Iran. Depuis, il était en… cavale.