"L'avancée des droits des femmes est synonyme du changement de toute la société"
Nous avons réuni cinq militantes des droits des femmes, venues d'Iran, du Paraguay, de République démocratique du Congo, de Pologne et du Bahreïn, pour évoquer leurs différents combats pour faire évoluer la situation. Rencontre à Paris, lors du Sommet mondial des défenseurs des droits humains, soutenu par Amnesty International.
- Publié le 08-03-2019 à 08h16
- Mis à jour le 08-03-2019 à 14h27
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Nous avons réuni cinq militantes des droits des femmes, venues d’Iran, du Paraguay, de République démocratique du Congo, de Pologne et du Bahreïn, pour évoquer leurs différents combats pour faire évoluer la situation. Rencontre à Paris, lors du Sommet mondial des défenseurs des droits humains, soutenu par Amnesty International.
Cinq femmes, cinq pays mais un seul et même combat : faire avancer les droits des femmes. Leila Alikarami, Mirta Moragas, Anny Modi, Krystyna Kacpura et Zainab*, respectivement militantes des droits des femmes en Iran, au Paraguay, en République démocratique du Congo, en Pologne et au Bahreïn, ont échangé pour Paris Match.Ces cinq militantes, venues de pays où la défense des droits des femmes est un combat quotidien, ont évoqué les différentes problématiques auxquelles elles font face. Racontant leurs situations respectives, les combats à mener et leurs moyens d’action, elles ont trouvé de nombreux points communs entre elles, s’étonnant et rebondissant sur les histoires de chacune.
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Certaines ont constaté, ces dernières années, un changement notable dans leurs pays : une prise de conscience au niveau de la société, mais encore trop peu suivie d'actions prises par les pouvoirs en place. « C'est grâce aux femmes, surtout, souligne Leila Alikarami, avocate iranienne. Elles sont devenues plus actives au sein de la société, elles ont parlé de leurs droits, de leurs exigences. Malgré les inégalités toujours présentes dans notre système légal, le traitement des filles et des femmes s'est amélioré dans le cadre familial ». «Davantage de femmes parlent des droits des femmes. L'an dernier, nous avons vécu la plus grande manifestation à ce sujet de toute l'histoire du Paraguay, c'était une étape importante, se souvient Mirta Moragas. Mais les changements culturels sont lents : nous avons encore des problèmes au niveau de la violence, de la discrimination envers les personnes LGBT, les droits sur la santé sexuelle et reproductrice… Mais j'ai beaucoup d'espoir, surtout envers les jeunes féministes ».
«Les politiciens donnent l’illusion de se soucier des droits des femmes mais ils ne le font absolument pas»
Seule Zainab*, une militante bahreïnie venue en toute discrétion à Paris, a constaté une régression dans son pays, troublé depuis 2011 et un soulèvement populaire dans ce territoire à majorité chiite mais dont le pouvoir est entre les mains d'une famille régnante sunnite : «Le changement n'est que cosmétique : le gouvernement veut montrer qu'il donne des droits aux femmes, aux organisations, aux syndicats… Mais ils n'évoquent pas l'emprisonnement des femmes, la religion, les questions de nationalité. Ils donnent l'illusion de se soucier des droits des femmes mais ils ne le font absolument pas ». Pire, ces avancées ont braqué certains hommes, déplore Anny Modi, directrice exécutive d'Afia Mama, en RDC : « La garantie de nos droits dans le cadre légal a poussé les défenseurs du patriarcat à se radicaliser envers les femmes ».
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Si ces progressions sont appréciées, elles demeurent insuffisantes : « Les dirigeants ne parlent des femmes qu'en période électorale, quand ils ont besoin de leur soutien. Ils font des promesses mais une fois au pouvoir, ils oublient qu'ils ont fait ces promesses pour faire évoluer les droits des femmes ». Pire, les militantes iraniennes sont poursuivies par les autorités : « Vous risquez d'être condamnée par le pouvoir judiciaire, qui évoque des menaces à la sécurité intérieure pour vous emprisonner, vous persécuter ». Pour Anny Mody, c'est la situation inverse : « Notre cadre légal est presque parfait. Nous avons une loi sur les droits des femmes, mais les problèmes viennent quand il est temps d'appliquer ces lois ». Elle déplore également « le taux très élevé d'illettrisme parmi les femmes » : « Même si nous proclamons l'école gratuite pour tous les enfants, l'école peut se situer à une dizaine de kilomètres dans une zone rurale. Dans des zones dangereuses, certains parents préfèrent que leurs filles ne sortent pas pour qu'elles ne soient pas enlevées ».

«Chaque sujet qui touche aux droits des femmes est comme un champ de bataille»
La Paraguayenne, la Polonaise et l'Iranienne déplorent toutes trois l'influence de la religion sur les droits des femmes.La loi de 1993 sur l'avortement en Pologne, un « compromis » passé entre l'État et l'Église catholique, toujours appliqué à ce jour : « Nous détestons ce mot de «compromis» car il a été passé sans les femmes, noteKrystyna Kacpura, directrice exécutive de la Federation for Women and Family Planning, en Pologne. C'était un compromis entre les politiciens et l'Église, ils voulaient limiter les droits des femmes et les renvoyer sous le joug du système patriarcal ». « Notre gouvernement est très conservateur, il n'aime pas les scandales. S'ils ne savent pas quoi faire, ils ne font rien, c'est leur politique. Ils ne veulent pas le moindre reproche de l'Église catholique mais son approbation, et passent donc une sorte d'accord tacite pour ne rien faire sur certains sujets », complète Mirta Moragas.« Avant d'être débattues au Parlement, les lois sont étudiées par les dirigeants religieux, pour voir si elles sont compatibles avec la charia. Chaque sujet qui touche aux droits des femmes est comme un champ de bataille », explique Leila Alikarami.
Le droit à l'avortement fait partie de ces sujets majeurs. En Pologne, l'interruption volontaire de grossesse n'est possible qu'en casd'inceste ou de viol, de malformation du foetus ou de mise en danger de la vie de la femme enceinte. Cela pousse certaines à se procurer des médicaments sur Internet, une source « clairement pas sûre » : « Mais ces exemples tragiques ne sont pas évoqués, ils sont dissimulés à cause de la honte. Les femmes ont peur d'être rejetées », déploreKrystyna Kacpura.La défense du droit à l'avortement, comme « un service médical et non d'un point de vue idéologique » comme elle l'explique, est cruciale pour toutes.En 2016, lorsque le gouvernement polonais a tenté d'interdire totalement l'IVG, de grandes manifestations ont eu lieu à travers le pays, puis à nouveau en mars 2018, lorsque le Parlement a examiné une loi pour interdire l'IVG en cas de malformation du foetus.« Aujourd'hui, 69% des Polonais souhaitent légaliser l'avortement, c'est un changement énorme », se félicite la militante,citant un sondage réalisé pour son organisation.« Le contrôle de leur propre corps sera la clé de beaucoup de choses », résume Anny Modi. « Avoir le contrôle de leur propre corps leur ouvrira la porte à des études supérieures, à l'emploi puis à l'indépendance économique .»
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«La sous-représentation des femmes rend difficile toute application des lois»
Toutes partagent un espoir : l'arrivée de femmes au pouvoir, pour enfin faire évoluer la situation légale. « La sous-représentation des femmes rend difficile toute application des lois car nous sommes exclues du processus de décision », regrette Anny Modi. En RDC, « la loi électorale ne rend pas obligatoire la parité au sein des partis politiques, permettant l'exclusion des femmes du processus électorale » et « il y a moins de 10% de femmes au Parlement ». « Le progrès des droits des femmes est vu comme une menace pour les relations de pouvoir au sein de la société et il nécessite beaucoup de dialogue pour faire en sorte que les gardiens des privilèges de ce système comprennent que le respect des droits des femmes n'est pas un retrait de leur pouvoir, mais un équilibre du pouvoir au sein de la société, au profit de tous ».

Au Bahreïn, quelques femmes ont été nommées ministres, ambassadrices. Mais pour Zainab, ce ne sont « que des façades » : « Elles n'ont pas réellement leur mot à dire et suivent les ordres. C'est terrible car dans mon pays, les femmes sont éduquées, travaillent mais ne peuvent pas occuper les postes importants. Je pense que les hommes ne veulent pas voir les femmes à des postes élevés, car ils pensent qu'elles leur sont inférieures, à cause de la culture, de la religion, qui représentent la femme comme très émotionnelle. Mais je pense au contraire que les femmes peuvent être encore meilleures que les hommes, mais ils ne veulent pas le voir ».
Il s'agit d'un profond changement sociétal pour Mirta Moragas : « Pour que les femmes aient davantage de droits, nous avons besoin d'une nouvelle configuration, de bâtir une nouvelle relation entre tous. C'est notre futur, nous allons le faire ».
*Son prénom a été modifié à sa demande
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