Chérif Chekatt : Fini de tuer
Après deux jours de cavale dans Strasbourg, le terroristeChérif Chekatt a été mis hors d’état de nuire par une patrouille de police.
- Publié le 20-12-2018 à 17h21
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D’après un article Paris Match France deÉmilie Blachère
« Est-ce que tu respectes les prières ? » Un chapelet musulman pendouille au rétroviseur du taxi dans lequel, ce mardi 11 décembre, à 20 h 15, il s'engouffre. Chérif Chekatt a un ton détaché mais brusque. Son visage est blême, son bras ensanglanté. Dans la sinistre cacophonie des sirènes de police, il avoue sans ciller : « Tu sais ce que j'ai fait ? J'ai tué des gens. Dix ! »
Le massacre s’est déroulé quelques minutes plus tôt, à environ un kilomètre. Seize personnes seront touchées. Chekatt est arrivé en tramway dans le quartier de la cathédrale, où se tient le traditionnel marché de Noël. Tout de noir vêtu, il a échappé au service de sécurité et aux fouilles méticuleuses des visiteurs. A 19 h 47, il apparaît au 10 rue des Orfèvres, une ruelle étroite, illuminée de guirlandes. Et saturée de passants. C’est le point de départ de son errance meurtrière …
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Armé d'un poignard arabe courbé et d'un discret revolver de collection modèle 1892 (un petit calibre 8 utilisé par l'armée française durant la Première Guerre mondiale puis par les Brigades du Tigre, les flics de Georges Clemenceau !), il cible au hasard pendant quinze longues minutes. Le temps de déambuler place Kléber, rue des Grandes-Arcades, rue du Saumon, rue des Francs-Bourgeois, Grand-Rue, puis rue du Savon et rue Sainte-Hélène, il recharge une fois son barillet et distribue la mort avec une indifférence glaciale et de terrifiants « Allahou Akbar ! ».
Chérif Chekatt éventre un homme, en lacère un autre, exécute à bout portant d’une balle dans la tête ou dans la nuque, et tire dans le dos de Lola, une jeune femme qui tentait de lui échapper. Il laisse derrière lui quatre morts : Pascal, 61 ans, retraité strasbourgeois, Antonio, 28 ans, journaliste italien envoyé spécial au Parlement européen, Barto Pedro, 35 ans, un Strasbourgeois qui hébergeait Antonio, et Kamal, 45 ans, père de trois enfants, garagiste, un Afghan qui avait fui les talibans et la guerre…

Alertée par les coups de feu, une patrouille Sentinelle du 152e régiment d'infanterie tombe nez à nez, ou presque, avec lui. Il est blessé à l'épaule mais pas neutralisé. Chekatt ne cherche pas le « suicide by cops », le suicide assisté par la police. Il n'est pas prêt à entrer dans l'Éternité en martyr, sur le modèle de Mohamed Merah ou de Radouane Lakdim, l'assassin du lieutenant-colonel Beltrame. Et le massacre reprend : à 20 h 03, sur le pont Saint-Martin, dans le quartier de la Petite-France, il abat sa dernière victime, Anupong, un touriste thaïlandais de 45 ans, venu à Strasbourg avec son épouse.
En fait, la violence et la haine en plus, Chekatt a tout du Pied-Nickelé : un guignard qui se fait pincer presque chaque fois
Au chauffeur de taxi, Chekatt avance une explication : « C'est pour nos frères morts en Syrie. » Il ne connaît pourtant rien à la Syrie, à part ce qu'il a vu sur les réseaux sociaux … Il est d'origine algérienne, mais son quartier, c'est le Neudorf, où se mêlent logements sociaux et petits pavillons. Fils de chauffeur-livreur, il a six frères et sœurs et autant de demi-frères et demi-sœurs. Dans le taxi, il se vante encore d'appartenir à une bande de furieux caïds qui terrorisent les habitants. L'exemple même de l'« endogène », selon le jargon policier : le terroriste, né sur le sol national, avec un profil de délinquant de droit commun. Ce curriculum vitae, Chekatt en est fier : 67 délits apparaissent sur son casier judiciaire, pour violences volontaires, outrages, menaces de crime, vols, port d'arme, etc. Et il n'a pas perdu de temps. Première interpellation, pour extorsion, à seulement 10 ans … Tous les anciens habitants se souviennent de ce gamin agité et brutal, qui va très vite passer à l'ultraviolence. Le père, Abdelkrim, fiché S en raison de son fondamentalisme religieux, a lui-même été arrêté pour violences conjugales sur sa seconde épouse, la mère des demi-frères de Cherif, et relaxé. Chekatt a été un adolescent décrocheur, puis il a vécu des aides sociales augmentées de ses larcins. Trois de ses frères sont également « très défavorablement connus des services de police ».
J'ai connu Chérif en prison. Il cherchait déjà la bagarre et tapait sur les faibles. Jamais seul, toujours avec sa bande à gueuler contre la société.
En fait, la violence et la haine en plus, Chekatt a tout du Pied-Nickelé : un guignard qui se fait pincer presque chaque fois et qui écope de 27 condamnations en France, mais aussi en Suisse et en Allemagne, où il est interpellé et incarcéré à trois reprises. En 2012, à Mayence, pour effraction dans un cabinet dentaire. En 2013, à Bâle, il est condamné à un an et demi de prison ferme, toujours pour cambriolages. Puis en 2016, pour le vol de trois caisses (315 euros) dans une pharmacie … Dans les prisons allemandes, le Strasbourgeois n'a pas laissé de souvenir. Évidemment, il ne parle pas la langue. Mais dans les prisons de Mulhouse, Epinal, Strasbourg (à deux reprises), où il récolte deux ans chaque fois, c'est différent. À 19 ans, il affiche déjà une photo de Ben Laden sur le mur de sa cellule … Mais il y a tant de détenus qui le font … Il est rapidement fiché pour radicalisation et prosélytisme, quelquefois agressif. « Un cas classique de 'droitco' (droit commun) qui s'achète une sécurité en prison en se radicalisant », analyse une source policière. « Ce n'était pas un grand bandit, plutôt un petit branleur en quête de notoriété, confie l'un de ses anciens gardiens. Pas très intelligent, mais fragile, vulnérable, manipulable. » Et haineux.
Jamais il n'a tenté un voyage au Levant, pas plus que ses deux frères Sami et Hatem, pourtant très radicaux.
Dans les mosquées de son quartier, personne ne le connaît. Pourtant, en 2015, le « tabaâ », la marque que les fanatiques arborent comme preuve de leur ferveur et de la fréquence de leurs prières, apparaît sur son front. Quelques mois plus tard, son agressivité lui vaut d’entrer dans le fichier des signalements pour la prévention et la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT). Sur les 20 000 individus recensés, plus de la moitié sont particulièrement actifs et seraient susceptibles de passer à l’acte. Ce qui, selon les autorités, n’est pas le cas de Chekatt, à qui est attribué le classement S11, le plus bas niveau d’alerte.
« Des niveaux qui informent les forces de l'ordre sur les précautions à prendre », explique un enquêteur. Le même affirme que « Chérif était sur écoutes et surveillé physiquement par des agents, parmi les 4 400 de la Direction générale de la sécurité intérieure [DGSI], pendant dix-huit mois, et moins d'un mois avant l'attaque. Malgré ce suivi, on le plaçait 'en bas du spectre'. Jamais il n'a tenté un voyage au Levant, pas plus que ses deux frères Sami et Hatem, pourtant très radicaux »… Sami, l'aîné, vient d'être arrêté en Algérie. On lui reproche d'avoir fréquenté les membres d'une filière djihadiste strasbourgeoise dont un des membres, Thierry Valorus, revient de Syrie, affirme Jean-Charles Brisard, président du Centre d'analyse du terrorisme.
Il est 20 h 20 quand le taxi dépose ce terrifiant client au 5 de la rue d'Epinal. Le chauffeur a eu la peur de sa vie.
Abdel* est un ancien détenu de la maison d'arrêt de Strasbourg. Mardi soir, il a reconnu le tueur, à l'angle de la rue du Bouclier, où il vit, et de la Grand-Rue. « J'ai cru que j'allais mourir, mais il m'a laissé la vie sauve, nous raconte-t-il le lendemain du drame. Il m'a peut-être reconnu … Nous nous étions croisés en prison en 2011, au service médical, dans la cour. À l'époque, déjà, il cherchait la bagarre et cognait sur les faibles. Jamais seul, toujours avec sa bande du quartier. Il gueulait beaucoup aussi, souvent contre la société. La famille Chekatt est réputée, ici … On dit aussi que Chérif s'entraînait dans un parc à tirer avec ses frères… »
Mardi 11 décembre, Chekatt veut qu'on sache qui il est, ce qu'il a fait. Au chauffeur du taxi, son ultime confident, il raconte encore qu'il possède une grenade chez lui. Très « énervé », il ajoute que des gendarmes – deux policiers de la DGSI étaient présents comme « observateurs » – ont perquisitionné son domicile le matin même, à 6 heures, et ont trouvé son 22 long rifle, des munitions et quatre couteaux. Ils venaient pour une histoire de vol à main armée, d'extorsion et de tentative d'homicide involontaire. Mais Chekatt n'était pas chez lui ce matin-là, alors que quatre de ses complices ont été interpellés … Par chance ou à cause d'une fuite d'information ?
Il tente de pénétrer dans un immeuble mais, acculé, se retourne et tire sur la patrouille avec son pistolet de collection. Il est abattu par dix-sept tirs de riposte
Il est 20 h 20 quand le taxi dépose ce terrifiant client au 5 de la rue d’Epinal. Le chauffeur a eu la peur de sa vie. Il a craint d’être pris en otage, a essuyé les tirs de deux équipes de police. Immédiatement, il prévient les policiers. Pourtant, Chekatt va encore parvenir à leur échapper. Pendant 48 heures, on pourra l’imaginer loin de Strasbourg, en Allemagne peut-être. En réalité, sans argent, sans soutiens, il est resté tapi à quelques mètres de ce quartier dont il connaît les moindres recoins. Jeudi après-midi, deux témoignages vont aider les enquêteurs à recentrer leur recherche. Une femme a vu un homme affaibli, blessé, franchir une clôture grillagée rue d’Epinal ; des traces de sang frais sont prélevées par les policiers. Une autre personne a signalé la présence, rue du Doubs, d’un individu pouvant correspondre au signalement.
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Une caméra de surveillance filme le suspect près des entrepôts de la Zac SNCF. Raid et BRI ratissent les lieux. À la nuit tombée, un hélicoptère avec caméra thermique survole encore la zone. Mais c’est une équipe de trois policiers locaux de la Brigade spécialisée de terrain (BST) qui le repère au 74 de la rue du Lazaret. Chekatt veut encore croire à sa chance. Il en a eu tellement, depuis 48 heures… Il tente de pénétrer dans un immeuble mais, acculé, se retourne et tire sur la patrouille avec son pistolet de collection. Il est abattu par 17 tirs de riposte. Il est mort sur le coup, tombé dans une rue déserte et triste de la plaine des Bouchers, près de sa vieille pétoire. Depuis le Neudorf où le taxi l’avait laissé deux jours plus tôt, il n’avait pas fait deux kilomètres.
Une enquête de Farouk Atig et Grégory Peytavin.
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