En Inde, les petites filles skatent vers la liberté
Ayant le funeste honneur de compter parmi les pays les plus dangereux pour les femmes au monde, l’Inde n’est également pas tendre avec ses petites filles, vues comme un fardeau financier et parfois tuées dès la naissance. Celles qui vivent doivent se montrer combatives dans un pays hostile envers elles, et parvenir à s’émanciper, par exemple par le biais du skate.
- Publié le 24-04-2018 à 11h32
- Mis à jour le 24-04-2018 à 10h42
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Une nouvelle utopie d’alter dans un pays qui attire les rêveurs depuis les 60s ? Pas pour Atita Verghese, première skateuse pro d’Inde et devenue dans la foulée une véritable icône dans ce pays où les femmes ne doivent surtout pas se faire remarquer. Atita en sait quelque chose : quand le skate fait son arrivée en Inde à l’orée de 2013, sa première initiation fructueuse se transforme en longue période d’attente, faute de planche à elle et de garçons disposés à leur prêter les leurs. Sauf que la native de Bangalore n’a rien de l’Indienne traditionnelle, que la société voudrait silencieuse et soumise. Vive, solaire et furieusement libre, Atita s’arrange pour dénicher une planche de skate, et en profite pour créer Girl Skate India, plateforme en ligne dédiée à encourager d’autres Indiennes à l’imiter. Une véritable nécessité.
J'avais juste besoin d'un peu de girl powerdans cette partie du monde où il n'y en a presque pas. Je voulais que plus de filles viennent faire du skate et en parlent pour que d'autres d'entre elles s'y intéressent.
– Atita Verghese
Et rapidement, son cri de ralliement dépasse les frontières du pays, jusqu'à atteindre l'Allemagne et la photographe Fabienne Karmann. Si Berlin est sa base, elle n'y reste jamais longtemps, trop occupée à chasser les sujets aux quatre coins de la planète, quand elle ne pose pas son appareil pour s'adonner à sa passion pour le skate. «J'ai commencé le skateboard à l'âge de 16 ans, et je m'en suis éloignée à une époque parce que c'était devenu trop difficile. Pour mieux y revenir : à chaque période compliquée de ma vie, j'ai pu compter sur le skate pour me donner de la force et du courage et m'aider à traverser les tempêtes». Logique, donc, pour elle, de répondre à l'appel d'Atita et d'affronter le puritanisme de la société indienne avec elle.
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Venues des quatre coins de la planètes, elles ont formé un escadron de douze skateuses pour partir à l'assaut du pays avec le Girl Skate India Tour. Objectif : initier les fillettes au skateboard, et en profiter pour leur donner un outil d'émancipation au passage. Notamment, en leur construisant des skateparks qui leur soient réservés et où elles puissent jouer en toute liberté. «Dans des endroits comme l'Inde, nous avons toutes ses croyances culturelles strictes selon lesquelles il ne faut pas laisser les filles sortir dans la rue pour jouer, il faut les garder à la maison et leur faire honte si elles ont des bleus ou sont bronzées», a expliqué attira Verghese au Huffington Post.

«Donc si elles ont un espace à l'abri des yeux indiscrets de notre société où elles sont autorisées et encouragées à être des enfants, à jouer, à s'amuser et à s'exprimer en étant libérées des attentes extérieures, c'est une étape extraordinaire dans l'évolution de la vie de ces filles». Une avancée extraordinaire que Fabienne Karmann n'a eu de cesse d'immortaliser au long de leur périple, livrant des clichés émouvants de cette incroyable aventure humaine.
On tenait à montrer à ces petites filles qu'il y a une autre vie en dehors du schéma traditionnel. Leur seule option n'est pas d'être une jolie fille sage, se marier, et préparer les repas de son mari. En leur montrant ça durant l'enfance, on espère changer leur destin.
-Fabienne Karmann
Et il n'y a pas que les jeunes Indiennes qui ont appris une précieuse leçon lors de ce périple à roulettes. «C'était très déroutant pour nous de constater qu'au final, il est beaucoup plus simple de faire du skateboard en rue en Inde qu'en Allemagne. Chez nous, il y a énormément de règles et d'endroits où c'est interdit, alors qu'en Inde, même si les gens nous regardaient parfois bizarrement, ils étaient globalement très curieux et accueillants»se souvient Fabienne.

Dont les souvenirs photographiques de cette aventure émancipatrice sont à découvrir jusqu'au 28 avril au Point Culture, à Liège. Avant que Fabienne ne reparte vers d'autres horizons avec son skateboard. «Ce n'est pas un sport facile, il demande beaucoup de patience. Mais le simple fait de rouler sur l'asphalte donne un sentiment de liberté incroyable. Le skate apprend à connaître ses limites pour mieux les dépasser». Et en profiter pour dépasser au passage celles imposées par la société.