Crâne de Lusinga : six présidents de parti unanimes

Elio Di Rupo, Olivier Chastel, Olivier Maingain, Patrick Dupriez, Benoît Lutgen et Peter Mertens croisent le fer sur beaucoup de sujets mais en voici un sur lequel ces présidents de partis sont unanimes: le principe d’une restitution des crânes de la « collection Storms», dont celui du chef Lusinga. Le débat sur ces restes humains conservés dans un établissement scientifique fédéral rappelle la nécessité d’un travail mémoriel de la Belgique sur sa période coloniale.

Paris Match Belgique
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Entre 1882 et 1885, le militaire belge Emile Storms commandait la 4èmeexpédition de l’Association Internationale Africaine (AIA), une organisation créée à l’initiative du Roi Léopold II pour « explorer » l’immense territoire qui deviendra ensuite le Congo belge. L’AIA affichait des ambitions « civilisatrices » mais il ne s’agissait de rien d’autre que d’une entreprise de conquête s’inscrivant dans la course que plusieurs puissances européennes se livraient alors pour coloniser l’Afrique centrale. Le plan d’action était simple: sur le terrain, planter le drapeau bleu avec une étoile dorée de l’AIA dans un maximum de territoires, y « soumettre » les populations locales ; dans les sphères diplomatiques, préparer le moment où cette occupation de fait serait « officialisée » par les chefs d’Etats européens. Ce qui fut fait lors de la Conférence de Berlin qui, le 26 février 1885, livra le Congo au Roi Léopold II.

La mission de Storms se déroula dans la région du lac Tanganyika. A Karéma (actuelle Tanzanie) et principalement dans la région de Mpala (du nom d'une station qu'il créa et qui se situe dans l'actuelle RDC). Lorsque des chefs locaux refusaient de livrer leur territoire à son autorité, ils étaient l'objet d'expéditions punitives. Certains d'entre eux ont été décapités et leurs villages ont été incendiés et pillés. Storms faisait collection des crânes de ses ennemis. Il en ramena trois en Belgique.L'enquête publiée le 22 mars 2018 par Paris Match Belgique a retracé le parcours de ces restes humains et particulièrement de ceux appartenant à Lusinga lwa Ng'ombe, un puissant chef Tabwa qui eut la tête tranchée le 4 décembre 1884 alors que ses villages étaient réduits en cendre, que plusieurs dizaines d'habitants étaient assassinés par des mercenaires, que plus d'une centaine d'autres personnes étaient capturées sans que l'on sache ce qu'elles devinrent…

En 2018, le crâne de Lusinga, ramené en Belgique par le commanditaire de ces crimes,se trouve conservé dans une boîte à l'abri des regards, au sein de l'Institut Royal des Sciences naturelles de Belgique (IRSNB) à Bruxelles. Il en va de même pour un deuxième crâne, celui d'un autre chef insoumis qui s'appelait Marilou. Le troisième crâne de la «collection Storms», celui d'un prince appelé Mpampa, a disparu. Dans le cadre de l'enquête de Paris Match Belgique, la directrice de l'IRSNB, Camille Pisani s'était déjà déclarée favorable à une restitution de ces restes humains en cas de demande d'une famille congolaise apparentée. Toutefois ces crânes sont légalement la « propriété » de l'État belge dont le patrimoine est inaliénable. Le chemin d'une éventuelle restitution, une première en Belgique, passe donc par l'adoption de dispositions législatives spécifiques.

Sur Parismatch.be, la secrétaire d'Etat à la politique scientifique du gouvernement fédéral, Zuhal Demir (N-VA) s'est prononcée elle aussi pour une restitution: «Ces crânes ne sont pas des objets de musée. Ce sont des restes de personnes humaines identifiées. Nous leur devons le respect. Dès lors, si une famille congolaise apparentée devait les réclamer, je serais favorable à une évolution du cadre légal afin de permettre leur restitution.»

Dès le 26 mars, nous avons aussi interpellé différents présidents de partis politiques belges par un courriel leur donnant connaissance des données de notre enquête et leur posant trois questions: faut-il que la Belgique marque d’emblée un accord de principe sur la restitution de ces restes humains ? Partant, le parlement ne doit-il pas se mettre à la tâche pour élaborer un texte de loi qui, le jour venu, rendra cette restitution possible ? Ne serait-ce pas utile que le Secrétariat d’Etat à la Politique scientifique du gouvernement fédéral finance une mission d’identification au Congo qui permettrait de retrouver les descendants des chefs dont les crânes sont conservés en Belgique? Certaines réponses se sont fait attendre mais cela valait la peine de patienter car, fait politique essentiel, des convergences importantes apparaissent dans ce dossier délicat qui interroge le passé colonial de la Belgique. Dans les écrits qu’ils nous ont envoyés, tous ces présidents ouvrent la porte à une restitution des restes humains aux Congolais et tous utilisent des mots qui témoignent d’une position critique par rapport aux actes qui ont été commis, voire d’une volonté de réparation.

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Patrick Dupriez (Ecolo): «Un pan de l’histoire que notre pays refuse largement d’assumer»

Patrick Dupriez nous fait part d'une «triple réponse positive aux trois questions posées». Le co-président d'Ecolo nous écrit: «J'ai découvert avec un très grand intérêt et beaucoup d'émotion, votre travail relatif aux restes humains congolais détenus par une institution scientifique belge. Votre étude est passionnante, précise, et éclaire très utilement ce pan de l'histoire que notre pays refuse largement d'assumer. Or, vous le savez, les écologistes sont porteurs d'une demande de travail mémoriel de la Belgique par rapport à son passé colonial.Benoît Hellings suit pour nous ce dossier et vous avez eu l'occasion de vous entretenir avec lui. Je ne serai donc guère plus long, si ce n'est pour vous confirmer une triple réponse positive à vos 3 questions finales. Avec les précautions d'usage sur les conditions et modalités d'une éventuelle restitution des crânes (et de nombreux autres objets pillés, par ailleurs) mais aussi la conviction que ces réflexions, comme une mission scientifique, comme le travail mémoriel sur la période coloniale en général, doit impérativement être pensé dans le cadre d'une coopération avec les chercheurs et institutions congolais.»

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Elio Di Rupo: Par une restitution, «nous marquerionsune étape significative de respect vis-à-vis des populations concernées»

De manière concise, mais précise, Elio Di Rupo nous fait également part d'une triple réponse positive. Le président du Parti socialiste (PS) nous écrit: «Votre message relatif à la question des restes humains issus de l'Afrique centrale a retenu toute mon attention. Permettez-moi tout d'abord de saluer le travail que vous avez réalisé dans le cadre de votre enquête. Vos informations sont fouillées et vos arguments sont pertinents. Ceux-ci questionnent sur le passé colonial de la Belgique et le caractère tabou que ce thème recèle encore aujourd'hui. Vous me posez trois questions précises auxquelles j'apporte ci-dessous les éléments qui me semblent les plus importants. Faut-il que la Belgique marque d'emblée un accord de principe sur la restitution de ces restes humains ? Oui, je pense que c'est la position adéquate à adopter. Nous marquerions ainsi une étape significative de respect vis-à-vis des populations concernées. Partant, le parlement ne doit-il pas se mettre à la tâche pour élaborer un texte de loi qui, le jour venu, rendra cette restitution possible ? Je partage cette position. Il convient d'examiner si la norme adéquate est une loi ou un arrêté relevant du gouvernement. Le PS soutiendra une telle initiative.»

Le président du Ps terminant son courriel en se déclarant «favorable» au financement par les autorités fédérales d’une mission scientifique dans la région du lac Tanganyika, laquelle, dans une perspective de restitution, pourrait conduire à l’identification de personnes apparentées aux crânes de chefs congolais conservés au Musée des sciences naturelles, à Bruxelles.

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Olivier Maingain: «L’Etat belge s’honorerait de proposer à la RDC la constitution d’une commission mixte pour déterminer toutes les responsabilités de ces opérations d’expansion coloniale»

Olivier Maingain estime qu'une gestion adéquate de ce dossier aurait une vertu symbolique, réparatrice. Le président de DéFI nous écrit: «L'enquête que vous avez menée a porté à ma connaissance des faits qui m'étaient inconnus. Cette période de l'histoire de la Belgique, plus particulièrement les conditions de l'exploration du Congo à l'initiative du Roi Léopold II, est trop peu connue et trop peu présente dans les cours d'histoire des classes terminales du secondaire, même si certains enseignants y réservent une attention plus soutenue ces dernières années car les historiens y consacrent également davantage de travaux et de recherches.»

Pour Olivier Maingain, «la question de la restitution des restes humains des chefs congolais conservés à l'IRSNB doit être envisagée en relation avec un indispensable travail historique. L'Etat belge s'honorerait de proposer à la RDC la constitution d'une commission mixte, associant des experts de différentes disciplines, pour déterminer toutes les responsabilités de ces opérations d'expansion coloniale. La restitution doit évidemment être admise dans son principe et ses modalités doivent être fixées de commun accord entre les autorités des deux pays. Il ne s'agit pas seulement de permettre aux descendants des personnes tuées de se voir reconnaître le droit bien légitime au rapatriement des corps de leurs ancêtres mais aussi d'assumer ce fait historique en donnant au rapatriement la dimension symbolique et donc partiellement réparatrice qui s'impose.». Le président de DEFI se dit « tout disposé à concourir à l'élaboration de toute initiative parlementaire permettant d'atteindre les objectifs ainsi fixés.»

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Olivier Chastel: «Cette histoire peu commune éclaire des aspects peu reluisant de notre passé colonial»

Olivier Chastel nous formule une réponse plus brève mais tout de même très signifiante. Elle s'inscrit aussi dans le sens d'une restitution souhaitable des crânes conservés à Bruxelles. Le président du Mouvement Réformateur (MR) nous écrit: «J'ai bien reçu votre courriel relatif à l'enquête que vous avez publiée dans Paris Match sur les crânes de chefs africains conservés à l'Institut Royal des Sciences Naturelles de Belgique (IRSNB) et qui proviennent de la collection d'un officier belge qui les avait mis à mort au XIXème siècle. Je vous remercie de m'avoir fait part de cette histoire peu commune. Elle éclaire des aspects peu reluisants du passé colonial de notre pays. Vous me demandez si je serais favorable à ce qu'une expédition soit montée dans la région du Congo d'où proviennent ces chefs africains pour identifier, par un test ADN, les hypothétiques descendants de ces derniers et leur restituer ces crânes. Ce n'est pas à moi de décider de cette question. C'est de la compétence de la Secrétaire d'Etat Zuhal Demir que vous avez d'ailleurs interpellée à ce sujet. Personnellement, je pense que la solution proposée par Madame Camille Pisani, la directrice de l'IRSNB – à savoir de restituer les restes humains identifiés aux descendants qui se manifesteraient – est la plus raisonnable.»

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Peter Mertens: « Si le gouvernement belge restitue ces restes humains au Congo, ce sera un signal politique très fort. »

Pour Peter Mertens, « une gestion éthique et humaine par la Belgique de ce dossier important et sensible est plus que souhaitable. » Le président du PTB nous écrit : « Nous sommes évidemment pour la restitution de ces crânes. Surtout pour leur valeur symbolique : on parle de restes humains clairement identifiés et de personnes assassinées. Ces deux éléments sont suffisants pour affirmer qu'il est immoral de les garder dans un musée. En outre, le chef Lusinga fut un opposant à la colonisation qui se mettait en place à l'époque. C'est pour nous une raison supplémentaire qui justifie que le gouvernement belge fasse tout ce qui est en son pouvoir pour restituer son crâne au Congo, ainsi d'ailleurs que les autres restes humains qui aboutirent à Bruxelles dans ce même contexte. Si la législation actuelle ne permet ce type de restitution, il importe de se mettre au travail pour la modifier. Toutefois, la première chose à faire est de demander l'avis des Congolais, en commençant par celui descendants de ces personnes et en prenant contact avec le gouvernement congolais. C'est à eux de dire ce qu'ils souhaitent que l'on fasse avec ces restes humains. »

Le PTB se déclare aussi favorable à une mission d'identification dans la région du lac Tanganyika, toutefois, il dit souhaiter « que le gouvernement congolais soit impliqué dans les actes qui se passeront au Congo » : « Nous sommes contre une attitude qui consisterait à agir sur place sans respecter la souveraineté congolaise, ce qui serait le signe d'une attitude paternaliste et colonialiste. De plus, pratiquement, ce sont les autorités congolaises (nationales et provinciales) qui seront le mieux à même d'aider à identifier les descendants de ces personnes. »

« Si le gouvernement belge restitue ces restes humains au Congo, ce sera un signal politique très fort», estime encore Peter Mertens. « D'un point de vue belge, cela contribuera au travail nécessaire sur la question du racisme qui existait à l'époque coloniale, lequel perdure jusqu'à maintenant. La Belgique a fait des premiers pas. En 2001 le gouvernement a reconnu sa responsabilité dans l'assassinat de Patrice Lumumba. En 2017, le parlement a reconnu l'injustice faite aux métis. Cela va dans le bon sens, mais il y a encore beaucoup de chemin à faire dans cette dénonciation du racisme et des crimes de la colonisation. Restituer ces restes humains serait un pas de plus dans cette direction. Nous demandons également d'avoir un lieu de mémoire pour ces personnes. Par exemple, une plaque devrait être apposée près de la statue d'Emile Storms qui se trouve à Bruxelles pour rendre hommage à Lusinga. »

« Pour le peuple et le gouvernement congolais », nous écrit encore Mertens, « une restitution de ces restes humains permettra également d'en faire des symboles du combat anticolonial. Il en va de même pour les statues et œuvres d'art ramenées en Belgique dans ce contexte. Elles sont propriété du Congo, et nous devons donc les rendre au gouvernement congolais. Rien n'empêche de conclure un accord avec ce gouvernement pour lui en donner la propriété tout en proposant de les garder chez nous encore quelques temps pour un travail décolonial nécessaire. Dans ce débat, c'est à la Belgique de réaliser les premières démarches sans attendre que le gouvernement congolais réclame quoi que ce soit. »

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Benoît Lutgen: « Nous nous interrogeons sur la possibilité d’un geste fort de la part de la Belgique, proposant spontanément le retour de ces ossements au Congo»

Destinataire de notre courriel comme les autres présidents, Benoît Lutgen nous a fait envoyer ce texte qui a longuement maturé avant de nous parvenir. Les lignes qui suivent, nous dit sa porte-parole, sont le fruit d'une réflexion collective au sein du cdH. Quoiqu'il en soit de ces précautions dans l'expression du message, sur le fond, il rejoint celui des autres formations politiques. Le cdH nous écrit que: «L'histoire coloniale est, à l'échelle de l'humanité, extrêmement récente et il est évident qu'elle engendre, aujourd'hui encore, bien des souffrances et que des actions doivent être prises, tant pour réparer ce qui peut l'être que pour – enfin – écouter et entendre les douleurs, les reconnaître pleinement. Au cdH, nous pensons qu'il est nécessaire de faire un devoir de mémoire permanent, accompagné d'un examen de conscience (« Au-delà de juger ce qui a été commis, comment puis-je juger mes propres comportements aujourd'hui ? »), afin de ne pas simplement hausser les épaules face à notre passé, en se disant que c'était l'époque qui voulait cela.

Nous sommes donc favorables au fait que les ossements puissent être restitués à la demande des membres des familles de dignitaires congolais ayant été décapités ou à la demande de l'Etat congolais. Si cela s'avère nécessaire, nous sommes bien entendu ouverts à l'évolution du cadre légal permettant ces démarches. Nous nous interrogeons également sur la possibilité d'un geste fort de la part de la Belgique, proposant spontanément le retour de ces ossements au Congo, pour être inhumés dans le respect des traditions et de la spiritualité des citoyens concernés, ainsi que sur le message d'éducation permanente qui peut être fourni à cette occasion. »

Le débat rebondira prochainement à la chambre des représentants où Zuhal Demir (N-VA), la secrétaire d’Etat à la politique scientifique du gouvernement fédéral sera interpellée par MM. Hellings (Ecolo) et Dallemagne (cdH).

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