Tueries du Brabant : entre espoirs et doutes

30 ans après, va-t-on mettre un nom et un visage sur le «géant», un des tueurs du Brabant ? Les raisons d’y croire, et celles de douter que la réponse aux Tueries du Brabant est proche.

Paris Match Belgique
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Les mystérieuses silhouettes qui hantent la mémoire collective des Belges depuis plus de trente ans, réapparaissent quelques jours seulement avant l’anniversaire de leur dernier carnage. C’était le 9 novembre 1985. Ce jour-là, ceux que la presse avait baptisés les «tueurs fous» semaient la mort pour la dernière fois, laissant neuf malheureux sur le carreau froid du supermarché Delhaize à Alost. Cet épouvantable massacre, le plus meurtrier parmi la multitude de faits sanglants attribués à ceux qui ont fait frissonner d’effroi la Belgique pendant trois ans (de 1982 à 1983, puis en 1985), clôturait leur série de hold-up assassins et leur seconde vague d’attaques.

Depuis quelques jours, les proches des 28 victimes des tueurs du Brabant, nourrissent à nouveau l'espoir ténu de voir l'énigme judiciaire la plus impénétrable de l'histoire de Belgique enfin résolue. À l'origine de ce énième soubresaut dans une enquête qui en a déjà vécu beaucoup: les révélations de nos confrères de Het Laatste Nieuws et de La Dernière-Heure, au sujet des confessions livrées sur son lit de mort par un certain Christiaan «Bonno» Bonkoffsky, 61 ans.

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Selon son frère, un habitant de Termonde qui déclare avoir recueilli ses confidences, l’homme, un ancien policier alostois décédé le 14 mai 2015, lui aurait avoué avoir pris part aux tueries perpétrées par celle qu’on appelait en Flandre la «Bande de Nivelles». Plus troublant encore, le frère affirme reconnaître en lui le sinistre «géant», le personnage de haute stature décrit par plusieurs témoins, devenu avec le temps la figure d’épouvantail légendaire des tueries.

«Une piste intéressante en cours de vérification», a admis en substance le procureur général de Liège, Christian de Valkeneer, qui conserve la haute main sur l'instruction confiée à la juge Martine Michel et au dernier quarteron d'enquêteurs membres de la cellule de Charleroi. Une piste creusée depuis mars dernier, mais qui n'est pas totalement neuve au demeurant, puisqu'elle avait déjà été investiguée en 1999, après la diffusion d'une série de portraits-robots ayant généré des centaines de signalements à l'époque, dont certains rapprochaient le portrait numéro 19 de Christiaan Bonkoffsky. Manifestement, il n'en est rien sorti de probant par la suite.

De quoi espérer…

Les éléments qui, aux yeux de la Justice, donnent aujourd’hui du crédit à ces révélations et qui poussent les familles des victimes à y croire de nouveau, quoi que très modérément, se rapportent tout d’abord au profil de Christiaan Bonkoffsky. Cet ancien premier maréchal des logis a fait partie de l’ex-gendarmerie où il a entamé et poursuivi sa carrière jusqu’à la réforme des polices, troquant alors son képi de gendarme en poste à la brigade de Dendermonde contre une casquette de policier à Alost.

Mais, surtout, il a été membre du «Groupe Diane», l’unité d’élite de la gendarmerie qu’il a intégré à la fin des années 1970 et dont il a été exclu en 1982 – à la suite, semble-t-il, d’un incident de tir survenu à Zaventem -, peu de temps avant le déclenchement des «tueries». On serait donc en présence d’un individu rompu aux opérations spéciales et aux techniques d’assaut, familier des armes et possédant l’expérience du feu. Il avait donc a priori toutes les «compétences» requises pour mener avec sang froid les raids meurtriers de 1985 contre les Delhaize de Braine-L’Alleud, Overijse et Alost notamment.

Du reste, on sait que la nuit du 31 décembre au 1er janvier 1981, la caserne qui abritait le «Groupe Diane» à Etterbeek, a fait l’objet d’une intrusion au terme de laquelle un important lot d’armes sophistiquées et leurs munitions ont été dérobées. Elles ne seront retrouvées que sept ans plus tard. L’un des auteurs du vol est le fameux Madani «Dani» Bouhouche, fortement suspecté d’avoir agi avec son complice de toujours, Robert «Bob» Beijer. Tous deux anciens de la section drogue de la BSR de Bruxelles, ils ont par la suite eu affaire avec la Justice, écopant chacun d’une longue peine d’emprisonnement pour des faits de grand banditisme. L’un et l’autre ont longtemps joué les serpents de mer de l’affaire du Brabant Wallon, maintes fois suspectés d’y avoir été mêlés de très près, mais sans jamais que la preuve de leur implication soit apportée.

Or, toujours selon les déclarations du frère Bonkoffsky, Bouhouche et Beijer fréquentaient à l’époque leur maison familiale de Termonde. À partir de là, la suite du scénario est facile à écrire dès lors qu’on se prend à imaginer que le fameux tandem de flics déchus aurait pu bénéficier d’une complicité interne à «Diane» en la personne du Termondois. Dans le même ordre d’idée, ce dernier aurait été bien placé pour se jouer des dispositifs de surveillance mis en place par ses collègues, aux fins de protéger la clientèle des grands magasins durant les attaques de 85.

À cela s’ajoute trois autres arguments et le premier est de taille puisque Bonkoffsky était grand (plus de 1,90 mètre) et efflanqué, tout à l’image donc du funeste «géant». De surcroît, ses traits de visage et son allure générale correspondraient étonnamment à ceux du portrait-robot 19 dans lequel le témoin à l’origine des dernières révélations prétend reconnaître son frère. Enfin, et surtout car c’est là le plus intrigant, les archives de la gendarmerie font apparaître que les jours des dernières attaques – Braine-L’Alleud et Overijse, le 27 septembre 1985; Alost, le 9 novembre – le gendarme Bonkoffsky était en incapacité de travail, couvert par un certificat médical suite à une blessure au pied. Il se trouve justement selon des témoins que le soir de la tuerie d’Alost, le «géant»… boîtait.

… et de quoi douter

Tout ceci est de fait interpellant, mais demande cependant à être nuancé. Premièrement, de l'aveu même de son frère, Bonkoffsky «ne m'a pas dit qu'il était le géant», a-t-il confié à nos confrères de VTM. C'est lui seul qui fonde cette conviction en partie sur la ressemblance du suspect avec le portrait 19: «Ces lunettes, cette physionomie, c'est lui, j'en suis certain».

Seulement voilà: ce portrait est sujet à caution. À telle enseigne qu’il ne figure plus sur le site Internet de la cellule d’enquête de Charleroi. Il est en effet apparu à la suite de témoignages le rattachant d’abord à l’attaque d’Overijse; or, il est avéré qu’à Overijse les tueurs portaient tous des masques de carnaval et qu’aucun n’a agi à visage découvert, ni même affublé de postiches. Et à Alost, les auteurs étaient soit cagoulés, soit grimés. Au surplus, lorsqu’on sait que les tristement célèbres affiches jaunes représentant les portraits-robots ont couvert les murs de tous les commissariats de Belgique durant des années – donc celui d’Alost également -, on se demande comment cette ressemblance tellement évidente entre le portrait 19 et Christiaan Bonkoffsky a pu dès lors ne pas sauter aux yeux de ses collègues qui le côtoyaient tous les jours?

Peut-on également imaginer qu’un homme ayant commis ou participé à de tels faits, qui plus est éventuellement dans la commune où il était gendarme et bien connu en tant que membre d’une société carnavalesque, ait pu par la suite poursuivre tranquillement sa carrière jusqu’à la retraite, sans jamais être inquiété le moins du monde? Aurait-il pu conserver un secret aussi lourd et pendant tant d’années sans l’éventer, d’autant qu’il écumait depuis longtemps les bistrots d’Alost pour assouvir son penchant pour l’alcool?

Deuxièmement, en ce qui concerne le vol des armes au «Groupe Diane», il n’est pas inutile de rappeler que ces armes, de même que les munitions, n’ont jamais servi dans le cadre des «tueries du Brabant». La balistique est formelle à cet égard. De surcroît, il n’a jamais pu être établi que le mode opératoire des auteurs des tueries empruntaient aux unités spéciales certaines de leurs techniques. En tout état de cause, il appartient maintenant aux hommes de la cellule de Charleroi de faire toute la lumière en vue d’objectiver ces indices plus ou moins convergents à charge d’une personne, rappelons-le, jamais inculpée dans le dossier, décédée et fatalement innocente devant la Justice.

Les proches de Christiaan Bonkoffsky, ses anciens collègues de «Diane», de la gendarmerie et de la police locale sont auditionnés par les enquêteurs qui disposent de tous les éléments depuis le mois de mars dernier. Ils ont jusqu’à 2025 pour démasquer le «géant» et les autres tueurs sans visages sortis de nulle part il y a plus de trente ans.

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