"En 2050, il y aura plus de décès causés par des bactéries que par des cancers"

Certaines évoluent et se montrent plus agressives, d’autres résistent de plus en plus aux antibiotiques. De récents cas d’infections bactériennes laissent présager un problème majeur de santé publique.

« Le plus grand défi au niveau des maladies infectieuses concerne les effets du réchauffement climatique : il va favoriser l’émergence de nouvelles infections »
« Le plus grand défi au niveau des maladies infectieuses concerne les effets du réchauffement climatique : il va favoriser l’émergence de nouvelles infections »

Le professeur Nicolas Dauby est spécialiste en médecine interne et infectiologie, diplômé de l’ULB. Il s’occupe au quotidien de la prise en charge de patients vivant avec le VIH et de la prévention des infections liées au voyage à la Travel & Vaccine Clinic du CHU Saint-Pierre, à Bruxelles. Il est aussi expert en vaccinologie et maladies infectieuses pour différentes organisations belges (AFMPS, Conseil supérieur de la santé, KCE) et européennes (EMA). Il est enfin auteur ou coauteur de plus de cent publications scientifiques dans le domaine des maladies infectieuses, de l’immunologie et de la vaccinologie.

Paris Match. Quel est le rôle des bactéries et comment se répartissent-elles sur terre ? Constituent-elles un danger permanent pour l'espèce humaine ?

Nicolas Dauby. Les bactéries étaient sur terre bien avant l'apparition de notre espèce. Non seulement elles ont leur place dans l'évolution, elles sont nécessaires à la vie humaine à travers le microbiote, c'est-à-dire la colonisation de nos différents organes par les bactéries et un ensemble de micro-organismes non pathogènes, dits commensaux. On estime qu'il y a dix fois plus de bactéries que de cellules dans le corps humain. Elles sont indispensables à notre vie, car elles remplissent différentes fonctions nécessaires pour notre métabolisme. Elles jouent notamment un rôle important dans nos défenses, en formant une barrière protectrice essentielle au bon fonctionnement de notre organisme et en nous protégeant des bactéries pouvant provoquer des maladies. Lorsqu'on administre un antibiotique à un patient, il va jouer son rôle, mais aussi diminuer la qualité et la quantité de bonnes bactéries. Cela peut laisser le champ libre à d'autres, nocives et capables de provoquer des maladies comme l'infection à clostridium, naturellement présentes dans le tube digestif. Ceci illustre l'importance du microbiote qu'on retrouve partout dans le corps, que ce soit au niveau de la peau, de la bouche, du poumon ou des intestins, et qui contribue à nous protéger contre toute invasion potentiellement dangereuse.

Il y a donc de bonnes bactéries, tout à fait salutaires à notre équilibre ?

Bien sûr ! Si vous comparez, par exemple, les enfants nés par voie vaginale et ceux nés par césarienne, les premiers emportent avec eux les bactéries de la maman qui constituent le microbiote du nouveau-né et vont assurer sa protection. Ce n'est pas le cas pour les enfants nés par césarienne, qui ont un microbiote différent, considérablement moins diversifié. Il a été montré que ceux-là risquaient davantage de souffrir de problèmes d'allergies, de certaines maladies auto-immunes ou encore d'obésité.

Comment peut-on expliquer l'apparition de bactéries « nouvelles » à laquelle on assiste actuellement ? Il se dit notamment qu'avec la fonte du permafrost, une quantité de bactéries sont libérées, dont certaines sont qualifiées de « géantes ».

Les environnements extrêmes comme le permafrost abritent en effet des bactéries qui risquent de se trouver exposées. Mais n'oublions pas qu'elles ont aussi besoin d'un hôte dans lequel se développer. C'est la rencontre avec celui-ci qui risque d'être pathogène, puisqu'elle va se multiplier. Il faut cette conjonction d'événements pour qu'il y ait un risque pour la santé humaine. Ainsi, il y a moins de dix ans, la Sibérie russe a connu une épidémie d'anthrax – une maladie infectieuse grave causée par des bactéries à Gram positif en forme de bâtonnets, connues sous le nom de bacille du charbon – qui a décimé des milliers de caribous avant de toucher plusieurs personnes. Toutefois, ce genre de contamination n'est pas automatique.

Lire aussi >Quel est ce virus qui zombifie les chenilles au point de les pousser au suicide ?

Contrairement à Antonio (14 ans), décédé d’une septicémie pneumocoque (l’urgentiste qui l’avait examiné et qui avait diagnostiqué « une simple grippe » vient d’être condamné), ce jeune homme est un miraculé. Victime de fièvre, il n’a eu la vie sauve que grâce au réflexe de ses parents de le conduire aux urgences où on lui a injecté des antibiotiques en masse, alors que la consultation chez le médecin de famille n’avait rien montré d’alarmant. Aujourd’hui, ses mains et ses pieds pèlent, comme si le corps voulait se débarrasser d’une peau contaminée. ©DR
Contrairement à Antonio (14 ans), décédé d’une septicémie pneumocoque (l’urgentiste qui l’avait examiné et qui avait diagnostiqué « une simple grippe » vient d’être condamné), ce jeune homme est un miraculé. Victime de fièvre, il n’a eu la vie sauve que grâce au réflexe de ses parents de le conduire aux urgences où on lui a injecté des antibiotiques en masse, alors que la consultation chez le médecin de famille n’avait rien montré d’alarmant. Aujourd’hui, ses mains et ses pieds pèlent, comme si le corps voulait se débarrasser d’une peau contaminée. DR

Plus proches de nous, de récents drames ont fait état de victimes qui ne pensaient souffrir que d'une grippe bénigne ou d'une blessure superficielle. Faut-il s'en inquiéter ?

Vous faites sans doute référence à la récente augmentation d'infections invasives à streptocoques du groupe A. On a en effet observé plusieurs cas en Belgique, en France et en Grande-Bretagne. Ces infections peuvent aggraver des infections respiratoires telles que la grippe ou la bronchiolite, ou des infections de la peau, comme la varicelle. En fait, pour se multiplier, cette bactérie va se fixer sur un corps en profitant d'une brèche, d'une blessure au niveau épidermique ou respiratoire, causant ainsi des infections graves.

À quoi est-ce dû ? D'où vient-elle ?

Il y a une énorme diversité au sein de ce genre bactérien, avec des souches plus dangereuses qui peuvent causer des infections graves. Elles sont naturellement présentes dans la population humaine. C'est une souche de cette bactérie qui, il y a cinquante ans en Belgique, provoquait le rhumatisme articulaire aigu (RAA) et était à la base de lésions cardiaques. Elle a disparu sous cette forme mais est toujours présente, notamment en Afrique. Dans nos contrées, d'autres souches de cette même bactérie sont également à l'origine d'épidémies de scarlatine ou d'angine blanche.

On sait que les antibiotiques perdent de leur efficacité. Face à ces nouvelles bactéries, la médecine cherche-t-elle encore la parade ?

Il n'y a pas en soi de « nouvelles » bactéries. Par contre, ce qui nous inquiète, c'est qu'elles évoluent et peuvent devenir en effet multirésistantes aux antibiotiques. Les alternatives, il faut bien le reconnaître, sont limitées. Il arrive de plus en plus fréquemment qu'on reçoive des patients souffrant d'infections bactériennes qui résistent aux traitements. On a alors deux options : soit utiliser des combinaisons d'antibiotiques, avec un risque de toxicité médicamenteuse ; soit utiliser de nouveaux médicaments, mais qui sont chers ou pas toujours disponibles en Belgique. C'est la raison pour laquelle il convient de maîtriser la consommation d'antibiotiques, tant à la maison qu'hôpital. Un rapport britannique estime qu'en 2050, dans le monde, il y aura plus de décès causés par des bactéries multirésistantes que par des cancers.

Lire aussi >Comme dans The Last of Us, ce champignon inquiète vraiment les scientifiques

« Les enfants nés par césarienne risquent davantage de problèmes. » ©Photonews
« Les enfants nés par césarienne risquent davantage de problèmes. » Photonews

Notre immunité générale a-t-elle baissé depuis l'arrivée du Covid, comme le prétendraient certains ?

Je ne le crois pas et on n'a pas de preuves scientifiques pour étayer cette opinion. On sait que l'impact du Covid-19 sur le système immunitaire peut persister au-delà de l'infection, mais cela ne signifie en rien que celui-ci soit affaibli. On observe en tout cas que les patients ayant souffert d'un Covid répondent de manière excellente à la vaccination, ce qui prouve que leur système immunitaire fonctionne.

Quels sont les facteurs responsables d'une immunité en baisse ? Faut-il, pour les enfants, être hyper vigilant avec la propreté, ou les laisser créer leur propre immunité ?

Les facteurs qui modifient l'immunité sont certaines maladies chroniques comme le diabète, l'obésité ou l'âge, tout simplement. Après 65 ans, on parle d'immunosénescence, c'est-à-dire de la diminution de la qualité de l'immunité avec l'âge. Il existe également d'autres facteurs, comme l'alcoolisme ou le cancer. Ces maladies sont associées à un risque plus élevé de faire des infections ou de présenter des sévérités accrues. Quant aux enfants, en Belgique, ils sont protégés par une dizaine de vaccins dès leur plus jeune âge, ce qui leur permet d'échapper à des infections potentiellement graves ou causant des séquelles, comme les méningites bactériennes ou les pneumonies du même type, le tétanos ou encore la diphtérie. En ce qui concerne l'hygiène, on a remarqué que les enfants qui grandissent dans un milieu plus exposé aux particules bactériennes, comme les fermes, présentent un risque diminué de souffrir de phénomènes allergiques tels que l'asthme ou les dermatites atopiques.

La dégradation de la biodiversité peut-elle déboucher sur la prolifération de bactéries ?

Il y a un exemple assez éloquent concernant l'importance de la biodiversité dans la propagation des bactéries : la maladie de Lyme, transmise par la tique. Dans les forêts américaines de faible biodiversité prolifèrent des souris massivement infestées par les tiques, qui participent à la dissémination de la maladie dans la population humaine. Tandis que dans les forêts à grande biodiversité, cette espèce de souris n'est pas présente et fait place à un autre rongeur, moins susceptible de répandre l'infection car il s'en débarrasse lui-même. Le risque de dissémination y est donc beaucoup plus réduit.

« Les enfants nés par césarienne risquent davantage de problèmes. » ©DR
« Les enfants nés par césarienne risquent davantage de problèmes. » DR

Un jeune homme de 18 ans souffrant apparemment d'un simple refroidissement s'est retrouvé aux urgences après une première consultation avec son médecin : son état ne cessait d'empirer et sa tension était tombée très bas. Les médecins lui ont dit que s'il était arrivé deux heures plus tard, il ne serait plus de ce monde. Aujourd'hui, après d'innombrables perfusions, il se remet lentement et les médecins s'en tiennent à évoquer une bactérie inconnue. Est-ce possible ?

Soit cette bactérie est inconnue parce qu'elle n'a pas été identifiée, soit le patient avait pris des antibiotiques avant de se rendre à l'hôpital, ce qui a rendu les cultures faussement négatives.

Ce même jeune pèle aujourd'hui des mains et des pieds, comme si le corps voulait se défaire d'une peau rendue malade par la bactérie. Même si vous ne pouvez pas examiner ce cas, est-il imaginable qu'un tel symptôme soit dû à cette bactérie ?

Il existe en effet des bactéries à streptocoque ou à staphylocoque qui produisent des toxines pouvant provoquer de tels décollements de la peau.

Que faire quand un tel cas se présente ? Courir aux urgences, comme l'a fait cette famille ?

C'est le mieux qu'on puisse faire, car il s'agit effectivement d'une urgence médicale ! Il faut se rendre immédiatement à l'hôpital pour établir un diagnostic, identifier la bactérie responsable et recevoir le traitement adéquat. Le risque est une évolution vers un sepsis, c'est-à-dire une réponse exagérée du corps à une infection. Cela peut mener à un mauvais fonctionnement de tous les organes et au décès du patient.

Plusieurs autres cas qualifiés d'étranges apparaissent ci et là, comme cette jeune femme légèrement blessée lors d'un jogging dans un bois et décédée en quelques heures. Elle aurait été contaminée par des déjections de rongeurs. Est-ce possible et ce phénomène est-il de plus en plus présent ?

J'interprète ce cas de la manière suivante : soit la patiente a fait une infection de la peau à streptocoques, qui est une infection invasive pouvant se produire même à la suite d'une simple piqûre d'insecte, d'où l'importance de bien désinfecter en cas de plaie ; soit, si on évoque les déjections de rongeurs, on peut penser à la leptospirose, une infection bactérienne potentiellement sévère.

« Il arrive de plus en plus fréquemment qu’on reçoive des patients souffrant d’infections bactériennes résistant aux traitements antibiotiques. » ©Photonews
« Il arrive de plus en plus fréquemment qu’on reçoive des patients souffrant d’infections bactériennes résistant aux traitements antibiotiques. » Photonews

La Solibacillus kalamii, une bactérie inconnue jusqu'à présent sur la Terre, a été découverte l'an dernier à bord de l'ISS, dans un des filtres du système de nettoyage du laboratoire spatial. Il ne s'agirait pas d'une forme de vie extraterrestre et, selon les premières analyses, cette bactérie pourrait même se révéler utile pour limiter les effets destructeurs des radiations sur les astronautes lors d'un vol habité vers Mars. Que peut nous enseigner l'étude de la survie des bactéries ?

L'étude des bactéries résistant à des conditions extrêmes peut nous aider à développer des technologies utiles à l'exploration d'autres planètes. De plus, en cas de voyage extraterrestre, l'humain sera accompagné de bactéries. Il est donc important de les connaître, afin d'identifier de potentielles souches dangereuses.

Selon vous, quels sont les prochains défis auxquels votre discipline sera confrontée ?

Le plus grand défi, au niveau des maladies infectieuses, concerne les effets du réchauffement climatique. On sait qu'il va clairement favoriser l'émergence de nouvelles infections, comme celle due au Candida auris, qui a émergé ces quinze dernières années dans divers endroits du globe. On pense que cela a été rendu possible par l'adaptation de ce champignon à la hausse des températures, ce qui est arrivé d'autant plus facilement qu'elles étaient similaires à celle du corps humain. C'est maintenant une cause d'infection grave chez les patients fragiles. On pourrait également parler de vecteurs comme les moustiques, qui transmettent la dengue ou le chikungunya. Ils sont désormais présents dans le sud de la France et ont déjà provoqué des cas de maladie chez les habitants.

Doit-on redouter leur arrivée sur notre sol ?

Si la température monte, nous risquons en effet d'être confrontés, nous aussi, à ces vecteurs, et donc à l'apparition de certaines maladies dites tropicales.

Vous êtes hors-ligne
Connexion rétablie...