Histoire belge : ils étaient 32 lors de la première guerre mondiale...
Tout l’été, nous revenons sur un morceau méconnu de l’histoire de la Belgique. Cette semaine (2/7), nous vous racontons la vie oubliée de… 32 Congolais qui se sont retrouvés engagés volontaires dans la première guerre mondiale. Au contraire d’autres puissances coloniales, le gouvernement belge s’est pourtant toujours refusé à recourir aux populations issues des colonies. Explications.
- Publié le 13-07-2022 à 10h30
- Mis à jour le 13-07-2022 à 10h35
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Par Laurent Depré
Que diable sont-ils venus faire dans ce conflit sanguinaire qui a déchiré un continent et décimé de nombreuses générationsde Belges, d'Européens, de Nord-Américains, d'Australiens au début du siècle dernier ? Comment se fait-il qu'ils étaient tous «volontaires de guerre» ? C'est à toutes ces questions que Griet Brosens, historienne et spécialiste de l'Institut des vétérans de guerre, a voulu répondre dans son excellent ouvrage Du Congo à l'Yser : 32 soldats congolais dans l'armée belge durant la Première Guerre Mondiale paru aux éditions Luc Pire en 2016.
Attention, il nous faut d’emblée préciser que nous parlons bel et bien de Congolais qui ont choisi de se battre chez nous dans l’armée belge. Il ne s’agit pas de combattants colonisés qui garnissaient amplement ce que l’on a appelé la «Force publique», l’armée congolaise, dirigée par des blancs. La «Force publique» qui a d’ailleurs remporté de grandes victoires face aux armées allemandes notamment au Congo mais aussi au Rwanda et Burundi. Au prix de nombreux morts…

Comment Joseph Adipanga, Jean Balamba, Antoine Bomjo, Albert Kudjabo, Jacques M'Bondo et vingt-sept autres Congolais se sont-ils retrouvés sur les terrains de morts de Belgique et de France ? Alors que le gouvernement belge, par l'entremise de Jules Renkin, puissant ministre catholique belge des Colonies jusqu'à la fin du conflit, avait exprimé régulièrement son (res)sentiment. «Je répugne à associer nos Noirs aux luttes entre Européens. Cela ne peut être que fatal à la civilisation et au prestige de la race blanche en Afrique…»
Nous observons que la volonté politique de maintenir les Congolais éloignés de la boucherie n’avait rien de «romantique» ni empreint d’un quelconque humanisme. Il s’agissait simplement d’assurer pour longtemps la domination blanche et belge dans cette partie de l’Afrique. Sans oublier la peur de l’élite de l’époque de voir trop de Congolais déambuler en Belgique et avoir des relations avec des femmes blanches…

L’armée belge en déroute, le «Force publique» congolaise victorieuse
Dans une excellente étude du Cairn, on avance un autre argument sur l'absence de la figure du soldat congolais dans la propagande belge pendant la Première Guerre mondiale. Un certain renoncement de la Belgique et son côté «victime» ne s'accordaient pas du tout avec les victoires, en Afrique, dont pouvait se targuer la «Force publique». «En 1916, par leurs propres moyens, avec des troupes coloniales organisées pendant la guerre, les Belges ont conquis, dans l'Est africain allemand, 200 000 kilomètres carrés de territoires, peuplés par plus de 4 millions d'habitants.»
Des considérations dont ne se sont pas embarrassées d’autres puissances coloniales à l’époque si l’on prend le simple exemple de la France et de la Grande-Bretagne. En effet, nombreux sont les Nord-africains et les Indiens à être venus mourir en Europe pour le prestige de leur métropole. En ce qui concerne ‘nos’ Congolais engagés de leur propre chef, environ un tiers ont succombé entre 1914 et 1918. D’autres ont disparu quelques années plus tard de maladies chroniques souvent attrapées dans les tranchées glaciales.
Griet Brosens, l'auteur du livre mentionné ci-dessus nous donne quelques clés pour comprendre la situation de l'époque et expliquer cet engagement. «Les 32 Congolais ont chacun eu leur vie mais leur décision de s'engager dans l'armée belge comporte tout de même une série de points communs. Tous vivaient déjà en Belgique, aucun n'a été envoyé du Congo pour venir faire la guerre.Pour certains, la vie était dure chez nous. S'engager signifiait recevoir un uniforme et manger plus ou moins régulièrement. Comme de nombreux Belges, ces Congolais pensaient que le conflit serait très vite fini, à Noël tout le monde serait à la maison… Enfin, se mettre au service de la Belgique, être vétéran de guerre, c'était s'auréoler d'un certain prestige qui pourrait leur servir au Congo pour monter en statut social. Donc, nous sommes loin de raisons d'amour de la Belgique ou de défense du drapeau du colonisateur…»

Du coeur du Congo à l’Yser
Pour illustrer toutes ses vies du début du siècle dernier prises dans l’ouragan de la Première Guerre mondiale, nous prendrons simplement la trajectoire de Paul Panda Farnana. Né en 1888, il entra enfant au service de la famille Derscheid au Congo et la suivra en Belgique dès la fin du 19e siècle.
Panda Farnanaa ensuite été scolarisé à Bruxelles, en secondaires, à l'Athénée royal d'Ixelles, comme l'indique la page qui lui est consacrée sur le site Africamuseum. Il est devenu, en 1907, le premier Congolais diplômé de l'enseignement supérieur en Belgique à l'école horticole et agricole de Vilvoorde. Paul a aussi étudié à Paris et à Mons.
Alors que Léopold II a cédé le Congo à l’Etat belge, il y retourne en tant que spécialiste agricole pour le gouvernement colonial belge. Il y enseigne et sera même un court temps chef de district dans le Bas-Congo. Mais le racisme et sa couleur de peau le rattrape… Lorsque la Première Guerre mondiale éclate,Paul Panda Farnana se trouve en Belgique. Les Congolais n’ayant aucun droit chez nous, ils ne peuvent normalement pas s’engager. Mais, le 5 août 1914, le corps des volontaires congolais est créé par décret royal. Les fameux 32 se batteront à Namur, Anvers et sur l’Yser.

Paul Panda Farnana est capturé par l’armée allemande à Namur et déporté avec Joseph Adipanga et Albert Kudjabo. Il restera en Allemagne jusqu’à la fin du conflit à réaliser des travaux forcés. Comme d’autres «soldats africains», Paul est déçu du traitement à leur égard de l’Etat. Au sortir de la guerre, Farnana participe au premier congrès panafricain organisé à Paris. Il fonde ensuite la première association congolaise en Belgique : l’Union congolaise.
En 1920, Farnana est le seul Congolais à pouvoir s’exprimer au Parlement devant des personnalités coloniales, ecclésiastiques et civiles. Militant pour les droits à l’égalité raciale des Congolais au Congo, il est la cible privilégiée de la presse coloniale et le gouvernement belge ne le voit pas d’un très bon oeil.
A la fin de la décennie des années 1920, il retourne dans son village natal au Congo. Il s’éteint à l’âge de 42 ans, victime d’un empoisonnement…