Jérôme Jamin sur le boom du Belang : « Pour ces partis d'extrême droite, la vraie menace c'est l'islam »

Le Vlaams Belang renforce sa position de premier parti au nord du pays selon les derniers sondages. Jérôme Jamin, professeur de sciences politiques à l'ULiège, grand spécialiste du populisme, rappelle quelques fondamentaux de l'extrême droite en Belgique et en Europe.

Conférence de presse du Vlaams Belang avant un congrès de l'extrême droite "Identité et Démocratie", groupe du Parlement européen, le 2 décembre 2019 à Anvers. Rassemblement auquel participa en guest star Matteo Salvini, leader de la Ligue du Nord en Italie. ©Dirk Waem / Belga
Conférence de presse du Vlaams Belang avant un congrès de l'extrême droite "Identité et Démocratie", groupe du Parlement européen, le 2 décembre 2019 à Anvers. Rassemblement auquel participa en guest star Matteo Salvini, leader de la Ligue du Nord en Italie. Dirk Waem / Belga ©BELGA

« Pour ces partis, la vraie menace c'est l'islam », souligne le philosophe et politologue, expert dans le nationalisme – ses recherches portent également sur la dynamique démocratique en Europe et aux États-Unis, les relations ethniques et la diversité culturelle; il est auteur et co-auteur d'une dizaine d'ouvrages sur ces matières. « Comment lutter contre l'extrême droite et le racisme sur les réseaux sociaux », organisé par Le Journal de RésistanceS et le MRAX (Mouvement contre le Racisme, l'Antisémitisme et la Xénophobie) comptait parmi les débats au programme de la dernière édition de la Foire du livre politique (FLP), que Jérôme Jamin a créée à Liège en 2008 et qu'il dirige.

Nous lui avons demandé d’évoquer le profil du Belang et de ses inspirateurs.

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Paris Match. Le 26 mai 2019 a été comparé parfois à un nouveau dimanche noir. Le Vlaams Belang triple alors son score de 2014 et provoque une "onde de choc" en Flandre. L'extrême droite connaît un succès de masse qui dépasse alors les prévisions. La N-VA reste le premier parti de Flandre, mais elle est talonnée par le Vlaams Belang qui devient le deuxième parti du nord du pays. Le Vlaams Belang a investi un trésor électoral sur les réseaux sociaux, Facebook en tête. Cet investissement s'est révélé plus que fructueux…

Jérôme Jamin. Le Vlaams Belang a déployé, de fait, des moyens colossaux en achat de pubs, en salaires d'informaticiens etc. Cette débauche de moyens a fini par lui permettre de récupérer pas mal de voix par rapport aux dernières élections alors que quatre ou huit ans plus tôt on pensait que le parti ne se remettrait pas. Cela fait un certain temps que le Belang a rajeuni son équipe dirigeante. L'investissement financier dans les réseaux sociaux n'est pas neuf pour eux. Ce qui se passe sur Facebook et pas uniquement, se joue via des algorithmes. L'internaute qui passe par hasard sur la page Facebook du VB sera vraisemblablement renvoyé vers des profils de personnes qui partagent la même opinion que lui. Cette spirale de fermeture n'est pas neuve non plus.

Le renouvellement s’est joué en tout cas au niveau de la tête du parti. Un rafraîchissement de façade qui s’est effectué aussi ailleurs en Europe rappelez-vous.

Ce qui caractérise plusieurs partis d’extrême droite en Europe c’est d’être dans les mains de jeunes leaders. Matteo Salvini qui mène la Ligue du Nord en Italie a une longueur d’avance. En France, le Front national a été un pionnier dans l’usage d’Internet, il était plus moderne que les autres partis. Il y a quinze ans j’ai fait une thèse sur le FN et il était sidérant de voir la quantité de vidéos et la galaxie de contenus du parti alors que ce sont les même personne sui postent et repostent ce type de vidéos et de photos. Donc le Vlaams Belang suit le chemin de La Ligue du Nord et celui, plus ancien, du FN français, avec l’action dans ce sens de Marine Le Pen en particulier.

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Revenons à cette image “lisse”, moderne, aux allures vaguement BCBG en mode racoleur, donnée par le Vlaams Belang à travers le profil de son président, Tom Van Grieken, look de voyageur de commerce en costard cintré. Comment analysez-vous ce reflet? Est-il censé rassurer la vieille garde en attirant une catégorie socio-économique plus aisée, plus conventionnelle ?

La modernité du Vlaams Belang est toute relative. Il y a eu trois ou quatre générations qui se sont succédé dans ce parti depuis le début. La quatrième, la dernière en date, est incontestablement beaucoup plus jeune et a pour particularité notamment de ne pas avoir besoin de se justifier par rapport à son passé. Les fondateurs, dans les années 80, étaient d’anciens collaborateurs des années 30 ou 40. Ensuite quelques membres plus jeunes du parti dont Dewinter ont essayé d’améliorer l’image du parti dans les années 80 et 90. Il y eut le fameux dimanche noir de 1991. (Le 24 novembre 1991, la Belgique vit une crise profonde de sa démocratie. Les électeurs belges boudent les partis traditionnels, faisant entrer l’extrême droite au Parlement. Le Vlaams Blok triple pour la première fois aux élections, avec une progression choc de 116 534 à 405 247 voix. NDLR). Lors de ce dimanche noir, Dewinter fait une percée électorale importante. Là, le Blok apparaît comme un des partis d’extrême droite les plus puissants avec le FN français. Mais Dewinter et ses collègues avaient été photographiés avec d’autres collègues de partis d’extrême droite (Filip Dewinter après son arrivée au VB, au début des années 1980, garde des contacts avec ses “camarades” francophones. En 2013 encore, il postera sur son compte Twitter une photo avec trois “anciens combattants” de l’extrême droite francophone à Liège.). Le parti avait des difficultés à se débarrasser de cette image post-fasciste. Ils ont perdu des voix avec la montée de la N-VA, ont vécu une traversée du désert que l’on pensait fatale. Le Blok est devenu le Belang. Ils ont modifié le programme pour ne pas être accusés de racisme, ils ont rajeuni les cadres et fait une arrivée fracassante sur les réseaux sociaux.

Anvers le 2 décembre 2019. Matteo Salvini fait un selfie avec Tom Van Grieken, sourire à l’américaine et profil de businessan aux dents longues, lors du congrès de l’extrême droite Identité et Démocratie. © Dirk Waem / Belga
Anvers le 2 décembre 2019. Matteo Salvini fait un selfie avec Tom Van Grieken, sourire à l’américaine et profil de businessan aux dents longues, lors du congrès de l’extrême droite Identité et Démocratie. Dirk Waem / Belga

Donné pour mort quelques années plus tôt, comment le parti extrémiste flamand a-t-il pu renaître de ses cendres sans avoir fondamentalement changé ? Outre le rajeunissement des cadres et le déploiement en force sur les réseaux sociaux, quelles ont été les modifications, cosmétiques ou non ? Les grands thèmes de base comme la haine de l’étranger ont-ils évolué ?

Là encore, il y eut quatre périodes. Dans les années 80, le discours était : immigration égale chômage et délinquance. Ensuite le parti a été attaqué pour racisme, a fait l’objet de plaintes pour incitation à la haine ou à la discrimination. Certaines affiches pouvaient être apparentée à du racisme. Il y eut alors des tentatives de remaniement du discours pour ne plus être ostracisés, exactement comme le FN en France fin des années 90, début 2000.

L’argument “identitaire” flamand reste évidemment puissant.

Ils vont jouer la carte d’identité locale et flamande contre l’islam, se présenter comme des laïques prônant l’égalité hommes-femmes contre les identitaires de l’islam. Ils se muent astucieusement et opportunément en défenseurs des droits fondamentaux contre les talibans et l’islam radical. Ils ciblent l’islam sous le prétexte du terrorisme islamique. Il y a une ambiguïté dans leur discours. Au nom de la liberté d’expression, ils se permettent beaucoup de choses mais veillent quand même à ce qu’un certain flou demeure. Outre le VB, cette technique a été utilisée aussi par Geert Wilders aux Pays-Bas (Parti pour la Liberté – PVV), par le FN en France et par La Ligue du Nord en Italie. Tous les quatre se sont emparés d’un discours en faveur des droits de l’homme contre l’intolérance de certains musulmans.

guillement

Les arguments de la laïcité dans les formations d'extrême droite se sont accrus après le 11 septembre 2001. Chaque attentat a ensuite été le prétexte de ces partis pour se positionner contre les islamistes radicaux. – Jérôme Jamin, professeur de sciences politiques à l'ULiège et créateur de la Foire du livre politique (FLP)

Les attentats apportent naturellement de l’eau à ce moulin opportuniste soulignez-vous.

Cela a démarré bien avant les attentats de Paris et Bruxelles. Les arguments de la laïcité dans ce type de formations politiques se sont accrus après le 11 septembre 2001. Chaque attentat a ensuite été le prétexte de ces partis pour se positionner contre les islamistes radicaux. Les circonstances font qu’ils ont pu le faire impunément, sans être poursuivis pour racisme.

L’affaire dite des caricatures de Mahomet (les œuvres de douze dessinateurs parues le 30 septembre 2005 dans le quotidien danois Jyllands-Posten) vaudra à certains des menaces de mort et engendrera d’énormes échos médiatico-diplomatico-internationaux. La fusillade à Charlie Hebdo le 7 janvier 2015 en sera une autre manifestation. L’extrême droite a participé aussi à Je suis Charlie. Du pain bénit…

Ils ont pu, de fait, se positionner comme des défenseurs des caricatures, et de la liberté d’expression donc, contre les terroristes. Ce n’est pas la même chose que d’attaquer des gens parce qu’ils sont noirs ou jaunes. L’islamisme radical est en effet une aubaine pour ces quatre partis – Vlaams Belang, FN, Ligue du Nord et PVV aux Pays-Bas. Tous les quatre cultivent une ambiguïté caractéristique. La ligne de démarcation est difficile à cerner, il est devenu plus complexe de trouver la porte d’entrée pour critiquer ces partis même si bien sûr on connaît leurs stratégies. En gros elles consistent à dire : nous n’avons rien contre les migrants mais nous sommes hostiles vis-à-vis de l’islam. Et ils se retranchent bien sûr derrière l’argument de la liberté d’expression.

C’est cet axe, celui qui joue sur une forme de peur de l’étranger qui explique que la vague brune en Flandre ait conquis des populations pas seulement paupérisées ou sous-éduquées. Cela suffit-il à expliquer qu’elle ait conquis des territoires qui veulent préserver leur confort, comme certaines villes côtières, où le niveau de vie est plus que correct ?

Il est en effet surprenant de voir par exemple le soutien de villes comme Ostende au Vlaams Belang alors que ça se passe a priori plutôt bien dans ces villes. A la côte belge, il s’agit d’un vote préventif, du type : pour l’instant ça va chez nous mais il faut éviter que la situation ne se dégrade. La ligne principale du Vlaams Belang est de laisser entendre que si on n’agit pas tout de suite, les problèmes finiront par se produire en Flandre. Les partis d’extrême droite jouent davantage aujourd’hui sur des hypothèses qui pourraient se concrétiser – comme la théorie du grand remplacement. Le VB utilise Anvers pour dénoncer les dérives communautaristes que le parti repère. Ils sont allés très loin dans l’évocation des origines et traditions flamandes contre la crise migratoire et la présence de mosquées. Et l’actualité depuis vingt ans ne cesse d’être rythmée par des attentats et des manifestations autour de mosquées (en France surtout, où ont souvent eu lieu marches et manifs contre l’islamophobie notamment). Pour celui qui entend effrayer son prochain, il y a de la matière, en effet.

Vous évoquiez la Ligue du Nord. La situation en Italie est plus chaude, l’afflux migratoire peut de fait engendrer des tensions, une bénédiction aussi pour le parti radical italien.

La situation y est différente car le pays est la porte d’entrée de certains flux migratoires via la Méditerranée. L’Italie est confronté en permanence à des images de bateaux avec des gens en détresse approchant de Lampedusa. Ces clichés se prêtent à l’image d’une invasion. Autre problème, les Européens ne sont pas d’accord entre eux. Salvini en profite pour clamer que les Italiens sont seuls pour gérer la crise migratoire, qu’ils sont livrés à eux-mêmes pour gérer ce problème massif à l’échelle nationale.(L’Union affiche ses division mais a trouvé, le 8 octobre dernier, un accord de base pour aider l’Italie et Malte. A Luxembourg, quelques pays ont ébauché un projet de répartition de personnes sauvées en mer, rejoignant une initiative franco-allemande de soutien à l’Italie et à Malte pour éviter que la fermeture des ports italiens aux navires des ONG proclamée par Matteo Salvini ne se reproduise.)

Jérôme Jamin, professeur en sciences politiques à l’ULiège, spécialisé dans le populisme, le nationalisme et l’extrême droite : «Les partis d’extrême droite comme le Vlaams Belang ne cherchent pas à instaurer une dictature ni à mettre fin aux élections. Ils sont en revanche très critiques vis-à-vis des droits de l’homme.» ©Victoria Smith
Jérôme Jamin, professeur en sciences politiques à l’ULiège, spécialisé dans le populisme, le nationalisme et l’extrême droite : «Les partis d’extrême droite comme le Vlaams Belang ne cherchent pas à instaurer une dictature ni à mettre fin aux élections. Ils sont en revanche très critiques vis-à-vis des droits de l’homme.» Victoria Smith

La question des mosquées est-elle toujours aussi cruciale dans la ligne de ces partis alors même qu’on sait que la radicalisation a lieu le plus souvent dans d’autres endroits ?

Le nombre de mosquées n’est pas un problème. Il est rare qu’on en construise ici. Ce n’est pas un problème de mosquées en soi. Mais dans l’actualité, on apprend parfois que certains imams continuent à être envoyés par l’Arabie saoudite et que certains prêches évoquent une haine de l’Occident. Ce n’est pas neuf mais cela s’ajoute au sentiment ambiant dans les partis d’extrême droite. A leurs yeux, l’Europe blanche et chrétienne serait menacée. Ils évoquent des théories du complot, le fameux grand remplacement. En gros, ils disent : si on ne se bat pas pour notre identité, l’Europe deviendra essentiellement musulmane. Une fois encore ça ne veut pas dire que c’est du racisme, en apparence du moins. Tous ces partis parviennent habilement à parler de la crise migratoire sans verser dans le racisme. Ils s’expriment de façon codée.

Une parole libérée sur le racisme fait partie des éléments qui témoignent d’une droitisation de la société. Cette droitisation s’est-elle globalisée ?

Sur la question des migrants, de l’accueil des réfugiés, de l’islam, l’extrême droite a en tout cas incontestablement gagné des points. Sa rhétorique a été récupérée par des partis de droite ou de centre droite. Beaucoup de gens oseront critiquer les réfugiés, les associer à une menace alors qu’il y a vingt-cinq ou trente ans on aurait considéré qu’il s’agissait d’un discours xénophobe et hostile. Cela fait près de vingt ans que les choses ont basculé. que c’est comme ça, depuis le 11 septembre 2001.

guillement

Les partis d'extrême droite comme le Vlaams Belang ne cherchent pas à instaurer une dictature ni à mettre fin aux élections. Ils sont en revanche très critiques vis-à-vis des droits de l'homme. – Jérôme Jamin

Peut-on faire le raccourci qui renvoie au climat des années 30 ?

Les partis fascistes des années 30 s’opposaient à la démocratie dans ses fondements comme les processus électoraux démocratiques. Les fascistes s’opposaient aussi aux droits de l’homme et à la lutte contre les discriminations. Ici, nous avons affaire à une autre génération. La particularité des partis d’extrême droite comme le Vlaams Belang est qu’ils ne cherchent pas à instaurer une dictature ni à mettre fin aux élections. Ils sont en revanche très critiques vis-à-vis des droits de l’homme. Tous ces partis respectent les règles électorales, siègent au parlement européen etc. Mais leur programmes comptent un rejet très fort des droits de l’homme. Ceux-ci posent problème à cette nouvelle génération d’extrême droite. La liberté de religion par exemple permet à leurs yeux d’asseoir le pouvoir de l’islam. Ils ne peuvent pas tolérer l’islam ni la migration et ont un leitmotiv : préserver notre culture européenne.

Tout en étant bien sûr peu fans de l’Union européenne…

Ces partis sont contre l’Europe fédérale, c’est vrai. Pour eux commission et parlement européens constituent des menaces qui pèsent sur l’indépendance des nations. En revanche ils sont géographiquement en faveur de l’Europe, mais une Europe des nations qui collaborent ensemble. L’élément central qui domine à leurs yeux : une Europe blanche et chrétienne menacée par la migration, l’islamisation et le terrorisme. Ils estiment qu’il est grand temps de se reprendre en main en se défendant comme les Hongrois, les Russes ou les Polonais osent le faire.

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Au cimetière juif de Westhoffen, près de Strasbourg, une centaine de tombes ont été découvertes le 3 décembre, souillées de croix gammées et de tags antisémites. Marine Le Pen par exemple semble précautionneuse par rapport à l’antisémitisme. Celui-ci fait-il encore partie des programmes ou agendas cachés de la nouvelle extrême droite ?

Il est moins visible dans les discours de ces partis, c’est clair. C’est une question de génération. L’antisémitisme des années 30 a duré jusqu’aux années 90 et la nouvelle génération n’a pas trouvé intérêt à exploiter ce genre de discours. Ça ne signifie pas qu’il n’y a plus d’antisémites mais dans les programmes politiques officiels, on n’en trouve plus de trace aujourd’hui. Aujourd’hui selon eux, la vraie menace c’est l’islam. Par ailleurs, on constate ce phénomène un peu particulier: pour certains partis d’extrême droite, Israël est le seul pays capable d’en découdre avec les musulmans, le seul qui ose mater les musulmans en terre d’islam.

L’antisémitisme est-il plus tabou aujourd’hui que d’autres formes de racisme ?

Non. Mais dans la société et dans la façon dont on se représente les conflits etc, la figure du musulman envahisseur prend le dessus sur toutes les autres images.

107 tombes ont été vandalisées au cimetière juif de Westhoffen, près de Strasbourg, souillées de tags antisémites. La découverte est faite le 4 décembre 2019. ©Patrick Hertzog / AFP
107 tombes ont été vandalisées au cimetière juif de Westhoffen, près de Strasbourg, souillées de tags antisémites. La découverte est faite le 4 décembre 2019. Patrick Hertzog / AFP ©AFP or licensors
guillement

Les fake news ? Il faut apprendre à vivre avec ces mensonges ambiants et ne pas tomber dans l'autre extrême. Car le risque serait d'avoir à terme des gens qui ne croient plus en rien du tout, on serait alors dans un cynisme généralisé. – Jérôme Jamin

Comment lutter contre les idées d’extrême-droite et la présence du Belang, entre autres, sur les réseaux sociaux ? Etes-vous confiant quant à la capacité qu’a l’Homme de s’élever ?

La lutte se fait essentiellement par l’éducation. Tout n’est pas perdu. En peu de temps mine de rien, de nombreux publics ont compris à quel point certaines sources étaient peu fiables pour le dire sobrement. Je trouve que cette prise de conscience a été relativement rapide. Les jeunes générations sont nées dans une société où on leur a appris assez vite à savoir que le poids et la confiance à accorder aux réseaux sociaux doivent être évidemment relativisés… Il faut apprendre à vivre avec ces mensonges ambiants et ne pas tomber dans l’autre extrême. Car le risque serait d’avoir à terme des gens qui ne croient plus en rien du tout, on serait alors dans un cynisme généralisé.

Que pensez-vous des outils destinés à débusquer les fake news comme celui développé récemment par la RTBF par exemple ? Par ailleurs des lois censées protéger le citoyen sur ce plan fleurissent dans différents pays, les grandes agences de presse proposent aussi leurs propres bureaux de démontage des infos fumeuses…

Certains médias, notamment français, essaient de démonter, images à l’appui, les théories du complot. L’outil développé par la RTBF est sans doute une bonne initiative mais l’idée même peut paraître risquée aussi car ce qu’on reproche aux grands médias, qui ont fait des erreurs – on l’a vu encore récemment avec l’affaire de Ligonnès – est de continuer à se prétendre les gardiens ou garants de l’objectivité. Faut-il rappeler aussi que la RTBF, grand média audiovisuel en Belgique francophone, service public est aussi celui qui a lancé la fake news la plus massive : le récit fictif de la fin de la Belgique présenté en fin de journal il y a quelques années – le docu-fiction “Bye Bye Belgium en 2006, qui avait pour ambition de susciter dans l’opinion un débat autour de l’avenir de nos institutions.

Ce fut dans ce sens une réussite. Le regard porté sur cet électro-choc produit sur un mode décalé s’est fait, avec le temps, plus magnanime.

Oui mais cela suscita aussi un tollé qu’on ne peut oublier. Il y a eu de grosses divisions sur l’opportunité de diffuser un tel sujet. La confusion entre l’information pure et la fiction, seulement habillée d’un simple logo “Tout ça”, en référence à l’émission, était bien réelle. Je reviens à l’outil que vous évoquiez. Lutter contre les fake news avec ce genre de filtre peut être par ailleurs très réducteur. Et risqué car risquant de schématiser les choses à l’extrême quand, souvent, tout se joue dans la nuance et l’appréciation complexe. On peut affirmer plein de choses, des choses qui seront vraies ou fausses mais souvent la réalité n’est ni noire ni blanche. Prétendre créer un portail qui va différencier le vrai du faux me semble ambitieux et périlleux.

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