Entre Docteur Theo et Mijnheer Francken, entretien vérité avec le secrétaire d'État à l'Asile et aux Migrations
D’un côté, le politicien aux positions tranchées et aux politiques musclées, coutumier des controverses et polarisant au possible. De l’autre, l’élu superstar des baromètres politiques dont la cote de popularité semble croître au rythme de la baisse de la tolérance envers les illégaux. Au fond, qui est vraiment Theo Francken, le secrétaire d’État à l’Asile et aux Migrations ?
- Publié le 08-12-2017 à 13h32
- Mis à jour le 10-12-2017 à 10h25
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Theo Francken est de ces personnalités politiques qu’il est tentant de réduire à une division binaire, calquée sur les frontières linguistiques du pays. Au nord, un homme fort, plébiscité par les électeurs et loué pour ses positions tranchées. Au sud, un trublion aux politiques musclées qui lui sont autant reprochées que les polémiques auxquelles il est associé. Une division nette, efficace, tellement utilisée qu’elle en devient usée, et surtout, bien mal à même de capturer la complexité de ce licencié en pédagogie devenu un des hommes les plus puissants du pays. Qu’on l’aime ou qu’on le déteste, nul ne peut lui ôter sa franchise, et c’est sans filtre qu’il se raconte dans son cabinet de la rue Lambermont.
Liberté d’expression
Un QG des plus appropriés : feu le baron Auguste Lambermont, homme politique catholique belge et ancien bras droit de Léopold II qui a donné son nom à cette artère bruxelloise, n'a-t'il pas dit en son temps n'avoir été «qu'un ouvrier attaché de toute son âme à la poursuite d'un but national»? Pour Theo Francken, l'objectif est clair : relancer le débat sur le confédéralisme, avec en toile de fond, plus d'indépendance pour les régions. Une volonté au cœur de l'engagement politique de cet enfant de Lubbeek né d'un père flamand et d'une mère française, qui a développé dès son plus jeune âge une fibre engagée. «J'ai toujours eu un côté très sociable, que ce soit aux scouts, ou à l'internat, je me suis toujours beaucoup impliqué dans les mouvements de jeunesse. M'engager en politique pour le bien-être de la société était la suite logique»explique Theo Francken. Qui, à l'âge ou d'autres en sont encore à se chercher, a trouvé sa voie au sein de la Volksunie. «Je suis entré en politique quand j'avais 21 ans, et à l'époque, la N-VA n'existait pas. La Volksunie s'est imposée pour moi parce que je suis convaincu que c'est mieux pour la Belgique d'avoir plus d'indépendance et d'autonomie pour les régions. La Volksunie n'est pas liée à de grandes organisations ou à des syndicats, ce qui permet d'avoir un engagement politique vraiment authentique et une grande liberté d'expression».
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Une liberté quelque peu mise à mal par la montée de Theo Francken au gouvernement fédéral. S'il continue de s'exprimer (parfois trop ?) librement, sa liberté d'action est cadenassée, entre la loi belge, les responsabilités inhérentes à sa fonction desecrétaire d'État à l'Asile et aux Migrations et les partenaires politiques qu'il s'agit de contenter. Des compromis que ce libre-penseur prend avec philosophie. «Ce n'est pas évident en tant qu'élu N-VA d'être dans le gouvernement fédéral, mais ce n'est pas facile pour nos collègues non plus. Forcément, on a une perception différente quand on est N-VA ou MR, mais c'est le principe même d'un gouvernement, fait de différents partis avec différents points de vues et idéologies». Quitte à parfois aller au clash sur les questions ô combien sensibles de la migration et de l'asile. Car à la difficulté de concilier l'idéologie de la N-VA au niveau fédéral s'est ajoutée lors de la nomination de Theo Francken il y a bientôt quatre ans le péril de gérer ce qui a été qualifié à l'époque de «crise des réfugiés». «Nous avons eu une crise migratoire, pas une crise des réfugiés, parce que beaucoup des personnes qui sont arrivées en Belgique étaient des migrants économiques, alors il faut bien faire la distinction»souligne Theo Francken.

Tous les réfugiés sont des migrants, mais tous les migrants ne sont pas des réfugiés, et la distinction est importante pour la sémantique migratoire.
Au-delà des mots, les chiffres : «en 2015, toute l'Europe a été touchée par une crise migratoire. C'était le chaos total avec Schengen et l'ouverture des frontières en Grèce et en Italie. La Belgique n'y a pas échappé : on a eu près de 50.000 demandes d'asile en 2015, ce qui est un niveau extrêmement élevé pour la Belgique et cela a été un devoir immense de fournir un lit, un pain et un bain à tous les demandeurs d'asile»se souvient Theo Francken. Qui tire un bilan positif de la gestion belge de cette crise : «nous avons rempli notre devoir, là où d'autres pays européens ont échoué, la Belgique a réussi. Même durant l'hiver de 2015, où il a fait extrêmement froid, on a su faire en sorte que personne ne doive dormir sur un banc ou dans un parc». Mais que dire alors de ces familles qui passent aujourd'hui leurs nuits au sein du parc Maximilien ? «Ces personnes ne demandent pas l'asile. Moi je donne un lit, un pain et un bain à tous les demandeurs d'asile, comme la loi l'exige, mais ici, il ne s'agit pas de cela. 80% d'entre eux sont entrés en Belgique via l'Italie, où ils ont donné leurs empreintes, et ils savent que la loi européenne stipule qu'on doit demander l'asile dans le premier pays où on arrive. Mais ils ne veulent pas : ils veulent aller en Angleterre, et ce n'est pas mon rôle de les aider à y arriver»souligne Theo Francken, soucieux de ne pas s'attirer les foudres de Theresa May. D'autant que «les gens sont en sécurité en Italie».
Ce n'est pas un pays en guerre, mais il ne s'agit pas de sécurité : ils veulent choisir leur pays de destination, or ça, ce n'est pas dans la loi ni dans la convention de Genève.
Pas de quartier, donc, ni de logement : «ces gens abusent le système, et ce sont les mêmes qui commettent des délits sur les parkings de l'E40 pour essayer de monter dans les camions. La population compatit avec les pauvres gens du parc Maximilien et condamne les criminels dans les parkings, mais ce sont les mêmes personnes». De là à dire que les migrants représentent un danger pour la sécurité du pays, il y a toutefois un pas que le secrétaired'État ne franchit pas.
Le poids des mots
«Parler de «migrants», c'est un amalgame, cela peut aussi bien décrire un businessman américain qu'un étudiant chinois. Est-ce qu'il y a des défis avec les jeunes migrants issus de la 2e ou 3e génération ? C'est clair, je ne vais pas nier les problèmes, on le voit ici, mais aussi dans les banlieues françaises». Des problèmes auxquels s'ajoute le spectre de la radicalisation. «Avec les demandeurs d'asile, nous avons été extrêmement vigilants afin de ne pas accueillir de combattants de l'EI sur le sol belge. On fait un monitoring permanent, parce que c'est clair que quand on reçoit des milliers de personnes venues de la Syrie ou de la Somalie, c'est certain qu'il y a un risque. Mais il ne faut pas généraliser : la majorité des migrants issus de ces régions sont justement venus en Europe pour échapper à la guerre».
C'est une minorité au sein du groupe. Je n'ai jamais dit que tous les illégaux sont des criminels, ni que tous les étrangers sont des illégaux. Moi je connais mes dossiers, et je ne fais pas d'amalgames.
Pas d’amalgames, peut-être. Mais de ses critiques envers MSF à sa présence contestée à l’anniversaire du nationaliste flamand Bob Maes, Theo Francken semble avoir plus de mal à éviter les polémiques.
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«Est-ce qu'il y a eu certaines polémiques dont je me serais bien passé ? Bien sûr. J'ai refusé de m'excuser pour MSF, je me suis engagé à ne plus les qualifier de «trafiquants d'êtres humains», mais pour le reste, je pense que les événements ont montré que j'avais raison quand je disais que mettre les bateaux des ONG si proches des côtes libyennes allait augmenter les noyades. J'aurais dû mieux gérer la forme, mais sur le fond, j'avais raison à 100%. En ce qui concerne Bob Maes, je comprends que cela ait gêné quelqu'un, mais ce n'était pas une provocation intentionnelle, c'est quelqu'un qui a été sénateur de mon parti pendant de nombreuses années et qui vient de la même région que moi»explique Theo Francken. Qui nie toutefois avoir envisagé de mettre en place une police des migrants. «Le journaliste qui a écrit ça m'a intentionnellement mal compris, je n'ai jamais dit ça en commission. Du côté francophone, la perception que les médias ont de moi est faussée».
Les médias, surtout au sud du pays, sont des gauchistes bobos.
Qui, s'il assure ne s'être jamais «fait taper sur les doigts par la N-VA», reconnaît toutefois qu'il y a des moments«où je me dis que j'ai été un peu trop brusque». Même si, «la plupart du temps, les gens reconnaissent par après que j'avais raison. Ce n'est pas évident d'être le premier à dire quelque chose, on se prend une volée de critiques, et puis après tout le monde le répète quand le timing est venu». Un timing que le secrétaire d'État a bien en tête quand il s'agit de la question de l'indépendance des régions, au coeur de ses préoccupations.

Le mandat de tous les records
«La question de plus d'indépendance et d'autonomie pour les régions est extrêmement importante pour la N-VA mais aussi pour mon engagement politique ainsi que mes convictions personnelles. Quand le gouvernement a été formé, on a dit qu'il était urgent et nécessaire de mettre en place une réforme socio-économique du pays, alors c'est sur ça que nous nous sommes concentrés.Nous avons tenu nos promesses de réforme, mais cela ne veut pas dire que le programme confédéraliste a disparu pour autant. Dans un an et demi, il va y avoir des élections, et la question sera au coeur du programme de la N-VA, c'est certain. Nous l'avons mis de côté pour nous consacrer sur les problématiques urgentes, et grâce aux mesures que nous avons prises, il y a eu un vrai redressement, il n'y a jamais eu autant de personnes qui travaillent en Belgique, on casse tous les records». Des records que Theo Francken compte également dépasser au sein du cabinet qui lui a été confié.
Dilemme migratoire pour Theo Francken
«La logique du gouvernement du point de vue migratoire est d'être très humain pour les plus vulnérables, mais très strict envers ceux qui abusent de notre hospitalité. C'est une ligne rouge, et je vais continuer à le répéter jusqu'en 2019. Depuis que je suis au gouvernement, il y a près de 2 000 rapatriements annuels decriminels en séjour illégal vers leur pays d'origine après qu'ils aient purgé leur peine. Avant moi, on parlait de 500 ou 600. On casse tous les records, c'est sûr que je suis très strict». Sévère, mais juste ? «Je suis très fier d'avoir résolu la question des listes d'attente pour les régularisations humanitaires. Jusqu'à présent, les demandeurs d'un titre de séjour devaient attendre extrêmement longtemps, souvent des années, et le plus grand défi pour quelqu'un dans ma position c'est de réduire ce délai. Quand quelqu'un arrive ici et qu'il n'obtient une réponse définitive que 5 ou 6 ans après son arrivée, alors qu'il est bien intégré dans le pays, décider de le renvoyer chez lui est un déchirement. C'est extrêmement difficile d'un point de vue humanitaire, mais aussi d'un point de vue humain. Pour éviter ce genre de situations, il faut diminuer les listes d'attente et le 1er juillet 2018, pour la première fois en 40 ans, il n'y aura pas de liste d'attente pour les demandeurs d'asile. C'est très important de leur dire rapidement «oui» ou «non», c'est plus humain pour les demandeurs d'asile, mais aussi pour les sociétés qui les accueillent». Ainsi que pour ceux, Theo Francken en tête, qui se retrouvent avec le poids de ces destins entre les mains. «Sur le plan éthique, les migrants qui quittent leur pays pour donner un meilleur avenir à leur famille ont raison de le faire. Mais moi, je suis élu pour servir l'intérêt public, et autant logistiquement qu'économiquement, ce n'est pas possible de recevoir tout le monde en Belgique. C'est le dilemme migratoire, et bien sûr, parfois, ces dossiers et ces tragédies m'empêchent de dormir la nuit».