Au Zimbabwe, un tyran en chasse-t-il un autre ?
Après 37 ans de règne, le Zimbabwe a trouvé un successeur à Mugabe. Surnommé le «Crocodile» pour son caractère impitoyable, Mnangagwa est loin d’être nouveau sur la scène politique du pays. Et son lourd et violent passé suscite quelques inquiétudes. Portrait.
Publié le 24-11-2017 à 16h44 - Mis à jour le 24-11-2017 à 16h47
:focal(1495x1027.5:1505x1017.5)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/Q4TXM446IFDZHBQAJVKELXKPYI.jpg)
Ce vendredi 24 novembre, Emmerson Mnangagwa est devenu officiellement le nouveau président du Zimbabwe. À 75 ans, l'ancien vice-président de Mugabe est arrivé au pouvoir après la démission de ce «vieux lion» de 93 ans à la tête du pays depuis 1980. Un départ forcé par les citoyens, son parti et surtout par l'armée, irritée par l'éviction deMnangagwa du gouvernement, le 6 novembre dernier. Sa carrière politique semblait brisée par la volonté de la Première Dame, Grace Mugabe de succéder à son mari. L'ancien bras droit de plus vieux dirigeant du monde s'était alors réfugié en Afrique du Sud voisine pour des raisons de sécurité.«Je reviendrai», avait-il affirmé dans un texte publié quelques heures plus tard, rapporte Le Monde. Il en est revenu conquérant.
Lire aussi > Zimbabwe : «Ceci n’est pas un coup d’État» mais cela y ressemble…
À tout un pays épuisé par l'ère Mugabe, il a promis dans son premier discours depuis le début de la crise d'entrer dans une «nouvelle démocratie » et, surtout, de relever l'économie, au bord de l'asphyxie financière, rapporte l'AFP. Des premières promesses auxquelles s'ajoutent aujourd'hui la création d'emplois pour la jeunesse, la lutte contre la corruption ainsi que la réduction de la pauvreté. Après être resté pendant longtemps dans l'ombre de Mugabe, cette arrivée à la tête du Zimbabwe représente pour lui un aboutissement et une revanche.

Pur produit de la lutte anticolonialiste
Fils d'un militant anticolonialiste,Mnangagwa connaît l'exil à l'âge de 12 ans lorsque son père est chassé pour avoir protesté contre une décision de l'administration coloniale britannique. « Si vous voulez combattre les Blancs, vous devez vous rassembler et le faire collectivement. Pas individuellement », lui a inculqué le chef du village, son grand-père, avant de fuir vers la Rhodésie du Nord, la Zambie actuelle. Une phrase qui a certainement guidé le jeune Emmerson tout au long de son combat politique.
Lire aussi > En Afrique du Sud, les attaques contre les fermiers blancs ravivent les tensions raciales
Dès le début des années 60, il rejoint les rangs de la guérilla indépendantiste contre le pouvoir de la minorité blanche. Membre d’une unité baptisée le «gang des Crocodiles», il participe à des opérations de déstabilisation dont une en 1965 qui se finit mal. D’autres membres sont pendus, lui est torturé, battu mais échappe à la mort. Après avoir réussi à se faire passer pour un mineur, Mnangagwa est condamné à 10 ans de prison. Là, il rencontre un certain Robert Mugabe, également en détention.
Le duo Mugabe-Mnangagwa
Après leur sortie, les deux hommes ne se quitteront plus. En 1979, ils négocient ensemble les accords de Lancaster House, qui aboutissent à la fin du régime raciste et à l’indépendance du Zimbabwe. Pour gouverner celui-ci ? Le chef de l’Union nationale africaine du Zimbabwe (ZANU), Robert Mugabe. Son ami Mnangagwa n’est pas très loin et enchaîne les importants postes ministériels, dont la Défense et les Finances.
En 2004, il est victime une première fois de son ambition. Accusé d’intriguer pour le poste de vice-président, il est rétrogradé dans la hiérarchie de la Zanu-PF. C’est sa rivale Joice Mujuru qui remporte la course. Ce n’est finalement qu’en 2014 qu’il accède à la vice-présidence, lorsque Mme Mujuru fait les frais d’une campagne de dénigrement orchestrée, déjà, par l’incontrôlable et ambitieuse Grace Mugabe. Avant son limogeage le 6 novembre dernier par son mari et président.

Son passé sombre inquiète
Alors que certains fêtent le départ tant attendu de Mugabe, d'autres redoutent l'arrivée de son successeur. Le Crocodile ne verse guère de larmes et n'est connu que pour sa dureté. Il expliquera un jour que ses années de guérilla lui ont appris à «détruire et tuer », rapporte l'AFP. Fidèle parmi les fidèles du régime, Emmerson Mnangagwa traîne derrière lui une sinistre réputation d'exécuteur des basses œuvres répressives de l'ex-président Mugabe. En 1983, alors qu'il est en charge de la Sécurité de l'État, il dirige la division Gukurajundi, formée en Corée du Nord, qui mène une répression brutale dans les provinces dissidentes du Matabeleland et des Midlands, à l'ouest et au centre du pays, pour yécraser un parti rival, la ZAPU de Joshua Nkomo. Son bilan n'a jamais été confirmé, mais les organisations de défense des droits de l'homme estiment à plus de 20 000 morts dans la minorité ndébélée.
En 1998, on le retrouve également à la manœuvre lors de l’intervention zimbabwéenne en République Démocratique Congo, en faveur de Kabila. Comme d’autres pays impliqués dans cette guerre, le Zimbabwe est accusé d’avoir utilisé le conflit pour piller certaines de ses riches ressources naturelles. Dans un rapport publié en 2002, l’ONU désigne Mnangagwa comme « principal stratège » de ce pillage.

Dix ans plus tard, le bras droit de Mugabe intervient encore lorsque l'opposition gagne le premier tour de l'élection présidentielle. Entre les deux tours, une lourde répression est orchestrée contre les partisans de Morgan Tsvangirai et fait des milliers de mort. Au deuxième tour, il n'y a plus qu'un candidat, Mugabe. Conséquence : Mnangagwa a été inscrit sur la liste de sanctions américaine. Il y figure toujours, selon Jeune Afrique.
Changement de président mais pas de régime ?
«Personne ne veut d'une transition qui verrait un tyran non élu remplacé par un autre », résumait déjà la semaine dernière le ministre des Affaires étrangères britannique Boris Johnson. Par honnêteté ou pour rassurer, Mnangagwa s'est montré jusqu'ici souriant et discret, promettant d'être le «serviteur du peuple». Jusqu'aux prochaines élections prévues en 2018 ?
Mnangagwa n'a pas encore levé le voile sur ses intentions mais il a promis que le scrutin se tiendrait «comme prévu». Une promesse qui laisse certains citoyens perplexes vu le lourd passé du nouveau président. S'il est si puissant, c'est grâce surtout à son contrôle de l'appareil sécuritaire. Toujours proche des forces armées, comme l'a prouvé cette dernière crise, rien ne dit qu'il fera un président moins autoritaire que Robert Mugabe.