Harcèlement sexuel en politique belge : "Mets ton lit en frais généraux, c'est ton principal instrument de travail"

Avant l’affaire Weinstein et la salve de #MeToo qui ont suivi, en mai 2016, Le Soir révélait la problématique du harcèlement sexuel en politique belge. Aujourd’hui, à la lueur des dernières affaires, la parole des femmes politiques se libère, mais les squelettes restent (trop) nombreux dans le placard.

Kathleen Wuyard
Fini de taire les violences sexistes en politique
Fini de taire les violences sexistes en politique

C’était avant que la révélations brûlantes des actrices ne fasse partir en fumée la carrière du mogul d’Hollywood Harvey Weinstein, allumant par la même occasion sur les réseaux les bûchers où brûler les violences sexistes à grands coups de #MeToo. Au printemps 2016, l’étincelle était venue de l’Hexagone, où l’ancienne ministre Monique Pelletier avait raconté son agression sexuelle aux mains d’un prédateur ayant pour l’occasion revêtu son costume de sénateur. Une affaire qui avait fait grand bruit, et poussé les politiques belges à se confier. L’occasion notamment pour Christine Defraigne de revenir sur des instances d’agressions sexuelles, notamment aux mains d’un collègue lors d’un voyage parlementaire, mais aussi pour Laurette Onkelinx d’avouer qu’elle prévenait d’emblée ses jeunes collègues qu’elles pouvaient se tourner vers elle en cas de problèmes avec leurs homologues masculins. Des problèmes qui continuent de gangrener la sphère politique belge, où l’omerta fait toujours la loi. Même si, sur la lancée du mouvement #MeToo, les langues se délient.

Au lit, pas en politique

Avec le franc-parler qui la caractérise, Christine Defraigne n'hésite pas à se confier sur le sujet et à impliquer certains collègues au comportement pour le moins indigne de leur statut de représentants élus. Parmi eux, un ancien Ministre d'Etat liégeois, contemporain de son père, Jean Defraigne, qui dès ses débuts en politique a multiplié les attaques sexistes. L'élue MR se souvient ainsi de cette réunion organisée par une de ses anciennes professeurs pour la soutenir, où il avait tout bonnement refusé de la laisser parler. Avant de clarifier sa position, où plutôt celle dans laquelle il aurait préféré la trouver, d'un «Defraigne, je la veux bien dans mon lit, mais pas en politique». Des mots que la présidente du Sénat n'a jamais oubliés, ni pardonnés.

guillement

Je ne lui parle plus, je ne le salue même plus, cet homme a franchi les limites tant de fois avec sa grossièreté et son machisme. Ces comportements sont inacceptables.

Et malheureusement, bien trop répandus dans les hautes sphères du pouvoir.

La présidente du Sénat dit «stop» au harcèlement – BELGA PHOTO LAURIE DIEFFEMBACQ
La présidente du Sénat dit «stop» au harcèlement – BELGA PHOTO LAURIE DIEFFEMBACQ

Promotion canapé

Christine Defraigne cite ainsi cet autre incident, où lors d’une soirée réunissant politiques et journalistes, alors qu’elle parlait de ses récents emménagements, un ténor s’est permis de lui prodiguer le conseil suivant :

guillement

Tu devrais mettre ton lit en frais généraux, c'est ton principal instrument de travail.

Une phrase lancée sur le ton de la rigolade, il y a plus de 15 ans, et qui suscite encore la colère de la sénatrice aujourd'hui. «Me dire ça, cela revenait à me comparer à une p***, dire que je fonctionnais à la promotion canapé. A l'époque, j'étais restée comme deux ronds de flans, mais aujourd'hui, je ne me laisserais pas faire, et je n'hésiterais pas à exiger des excuses. Même si, avec l'évolution de la société, je ne pense pas que cette personne se permettrait ce genre de remarques de nos jours».

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Le harcèlement en politique, une pratique de dinosaures ? Pour Christie Morreale, vice-présidente du PS et parlementaire au sein de la Fédération Wallonie-Bruxelles, les mentalités sont en train de changer. «Le fait qu'on ait instauré des quotas, et qu'il y ait aujourd'hui une parité en politique belge, a beaucoup changé les choses. C'est quand les femmes sont minoritaires et qu'il n'y a pas de rapports égalitaires que l'on ouvre la porte aux violences sexistes». Même si, ainsi qu'elle le concède,

guillement

Le fait de libérer la parole est quelque chose de très positif, parce qu'il est évident qu'on est toujours dans une société patriarcale où la domination masculine reste prégnante. Le harcèlement est le résultat d'une société inégalitaire, et il faut travailler en amont, sur l'éducation, pour éviter que cela ne se produise.

Car les violences quotidiennes restent légion en politique.

Christie Morreale a pu compter sur le soutien de Laurette Onkelinx – BELGA PHOTO BRUNO FAHY
Christie Morreale a pu compter sur le soutien de Laurette Onkelinx – BELGA PHOTO BRUNO FAHY

Minimiser la réalité

Emily Hoyos en était devenue le visage en 2010 lorsqu'avait éclaté l'affaire du sms que lui avait envoyé le député MR Gilles Mouyard, qui avait cru bon de complimenter son postérieur. Et il ne s'agit là que d'un des exemples de violences sexistes dont l'ancienne co-présidente d'Ecolo a été victime. Ainsi qu'elle le rappelle, «il m'est arrivé ce sms, mais plein d'autres choses aussi, parfois plus graves, parfois moins graves en apparence mais qui n'arriveraient pas à un collègue masculin… Si je voulais tout raconter, il me faudrait tout un journal et je ne veux pas mettre un seul incident en épingle, parce que ça donnerait l'impression qu'il ne s'est passé que ça, or ça fait partie du quotidien».

guillement

Le problème de tous les #metoo, c'est que les femmes racontent une seule fois, alors que ça leur est arrivé plus d'une fois, alors on minimise presque réalité quotidienne. Pour bien faire, il faudrait poster tous les jours le #metoo qui nous est arrivé la veille.

En attendant, la solidarité féminine s’organise dans l’hémicycle.

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Emily Hoyos met en garde contre le danger de minimiser – BELGA PHOTO SOPHIE KIP
Emily Hoyos met en garde contre le danger de minimiser – BELGA PHOTO SOPHIE KIP ©Sophie Kip

Christie Morreale confie ainsi avoir pu bénéficier du soutien sans faille de Laurette Onkelinx lors de son arrivée en politique, qui l’a prise sous son aile, et l’a sensibilisée aux problématiques d’inégalité entre les sexes. Emily Hoyos souligne quant à elle que comme en politique française, il existe en Belgique une «liste noire» informelle des hommes que la réputation et les gestes précèdent et face auxquels «il faut être vigilantes». Et d’ajouter désabusée que

guillement

Le plus détestable, c'est que parfois la petite remarque sexiste dégradante vient de quelqu'un dont on ne s'y attend pas du tout. En règle générale les vrais dangereux sont connus, même si les femmes ne se confient pas nécessairement énormément entre elles, parce que quand on est victimes de violences sexistes, ce n'est pas quelque chose dont on est fières.

Un rappel douloureux que même au sein des sphères du pouvoir, les femmes voient encore le leur réduit par une certaine domination masculine. Ou comment faire en sorte que celles qui se sentent coupables soient les victimes, ainsi que le confie Christine Defraigne :

guillement

Il y a un sentiment de culpabilité. Même si je n'ai pas été provocante ou aguicheuse, quand ça m'est arrivé, je me suis demandé comment j'avais pu être assez stupide et naïve pour me retrouver dans des situations où je suis piégée dans ma voiture alors que je reconduisais un confrère horrible âgé de 35 ans de plus que moi et que je n'imaginais pas qu'il allait me sauter dessus.

Des situations qui ont poussé Emily Hoyos à faire sien cet adage : «je suis femme, et la vigilance est mon quotidien». En attendant qu'en politique comme dans la société, les violences sexistes ne soient plus au programme.

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