Marine Le Pen : son programme à hauts risques vu par des économistes
Sortie de l’euro, retour de la retraite à 60 ans, prime de pouvoir d’achat, baisses d’impôts… Six économistes de tous bords passent au crible 51 mesures du programme économique de Marine Le Pen.
La RédactionPublié le 10-03-2017 à 17h11 - Mis à jour le 10-03-2017 à 18h43
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Sortie de l’euro, retour de la retraite à 60 ans, prime de pouvoir d’achat, baisses d’impôts… Six économistes de tous bords passent au crible 51 mesures du programme économique de Marine Le Pen.
« Avant d'entrer dans le détail, il faut insister sur un élément clé : la sortie de l'euro plongerait la France dans le chaos. Et ce quelle que soit l'opinion portée sur l'appartenance du pays à la zone euro ». Ce propos liminaire d'Alexandre Delaigue, professeur d'économie à Lille I, a été formulé par l'ensemble des experts interrogés. Or Marine Le Pen n'hésite plus à placer le « Frexit » au cœur de son programme.
Une sortie de l’Euro à hauts risques
Ce que Marine Le Pen propose : Tout en entamant des négociations avec l'Union européenne, Marine Le Pen organiserait un référendum sur la sortie de l'euro. « Il n'y a pas de pays libre qui ne maîtrise sa monnaie », a-t-elle déclaré (TF1, le 22 février). Selon elle, la dévaluation consécutive serait mineure : « Les épargnants n'ont aucune inquiétude à avoir avec mon projet ». (LCP, le 2 mars) « C'est en restant dans l'euro que leur épargne est menacée », a-t-elle renchéri lors de sa « conférence présidentielle » le même jour.
Ce que les économistes répondent : une immense incertitude. En comparant Frexit et Brexit, Marine LePen oublie que les Britanniques n'ont jamais appartenu à la zone euro –contrairement à la France. « Les conséquences n'en seraient pas maîtrisées, indique Mathieu Plane, directeur adjoint à l'Observatoire français des conjonctures économiques. Son raisonnement s'inscrit dans la certitude quand cette situation relèverait de l'incertitude maximale ». Pour Michel Didier, président du Coe-Rexecode, « elle fait croire que l'on sort de l'euro parce qu'on le veut. Sans évoquer le court terme. Mais aucun pays n'a changé brutalement de monnaie en dehors d'une guerre ou d'une crise majeure ». « Dès l'entre-deux-tours, on pourrait constater une fuite des capitaux et l'envol des taux d'intérêt de la dette publique. Le «bank run» serait immédiat, comme à Chypre. Nous serions dans la situation du Venezuela ou du Zimbabwe rapidement », s'alarme Alexandre Delaigue, qui souligne que la mise sous tutelle de la Banque de France contreviendrait aux règles de l'Union européenne.
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La France en faillite
Patrick Artus, directeur de la recherche et des études de Natixis, rejette l'argument de Marine Le Pen sur la réalité d'une dette formulée en francs : « Tous les pays de la zone euro ont des dettes en euros. Si la France sort de l'euro, ses dettes resteront en euros. Un contrat est un contrat. Le passage au franc enclencherait un défaut, ratifié par les agences de notation. La dette deviendrait exigible en totalité et les acteurs économiques français se retrouveraient en défaut de paiement. Dès qu'un avion d'Air France se poserait quelque part, il serait saisi ».

Le défaut ne fait aucun doute non plus pour Philippe Waechter, chef économiste de Natixis Asset Management : «Toutes les banques le seraient [en défaut de paiement] en même temps. Les ravages seraient durables. L'Argentine a mis quinze ans à pouvoir se refinancer sur les marchés ». Les créanciers étrangers (qui détiennent 60% de la dette nationale) se retrouveraient lésés. «Que deviendraient les contrats souscrits en euros ? s'interroge Mathieu Plane. Les créanciers seraient remboursés en monnaie de singe puisque la France aurait dévalué. Comment se refinancerait-elle ? Par le contrôle des capitaux et l'épargne forcée, en prélevant une partie des salaires pour financer la dette ? Souvent sans le savoir, les ménages français détiennent des produits étrangers dans leurs assurances-vie. L'épargne pourrait-elle résister à un tel choc ? »
Les ménages en grande difficulté
L'hyperinflation engendrée par la sortie de l'euro plongerait les ménages français dans un cataclysme comparable à celui qui a frappé l'Allemagne à partir de 1923. Car le franc ressuscité subirait une dévaluation. « De 20 à 25%, calcule Michel Didier. Les prix des produits français certes baisseraient et se vendraient mieux à l'étranger. Ce que Marine Le Pen omet de dire, c'est la hausse de toutes les importations – un surcoût maximum de 100 milliards d'euros, payé par les ménages »; L'inflation naîtrait aussi de la faiblesse du franc, selon Marc Touati, économiste et président du cabinet ACDEFI : « Il y a une demande mondiale pour le dollar ou pour l'euro, pas pour le franc. Une nouvelle monnaie sans activité autour d'elle ne créerait que de l'inflation. D'où une baisse de pouvoir d'achat pour les Français »; La déflagration serait telle que le reste de ses propositions ne pourrait être mis en place : « Elle souhaite revaloriser les petites retraites, mais on ne sait pas si l'Etat serait encore en mesure de verser les pensions », redoute Mathieu Plane.
Des mesures ruineuses et incohérentes
Ce qu'elle promet :« Je veux rendre leur argent aux Français » ; D'où une série de mesures qui feront flamber les dépenses publiques et/ou amputeront les recettes publiques. Exonérations de charges pour l'embauche d'un salarié de moins de 21 ans pendant deux ans, revalorisation du point d'indice des fonctionnaires, prime de pouvoir d'achat, baisse de 5% des tarifs réglementés du gaz et de l'électricité, exonération de la taxation sur 100 000 euros de transmission à chaque enfant tous les cinq ans (au lieu de quinze aujourd'hui), défiscalisation des heures supplémentaires, revalorisation de 20% du minimum vieillesse, baisse de 10% des trois premières tranches de l'impôt sur le revenu et, surtout, fixation de l'âge légal de départ à la retraite à 60ans avec quarante annuités de cotisations.
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L'analyse des économistes : un chiffrage inexistant. Tous les six notent que « raser gratis » (soit des dépenses démagogiques très coûteuses) n'a jamais été une politique réaliste. « Les mesures phares, comme le retour à la retraite à 60 ans avec quarante annuités de cotisation, ou l'effort sur le budget de la défense, de 1,7% du PIB aujourd'hui à 3%, ou encore le renforcement des effectifs de gendarmes et de policiers, ne sont pas chiffrées », remarque Mathieu Plane. « Baisser les charges et les impôts des TPE/PME, tout le monde est d'accord puisqu'il s'agit de faciliter la vie fiscale des entreprises, détaille Marc Touati. Mais comment finance-t-on toutes ces mesures, qui coûteraient plus de 300 milliards d'euros ? Elles ne pourraient l'être que s'il y avait un effet de confiance. On compte aujourd'hui 1,3 actif pour 1retraité. Si on revient à la retraite à 60ans, les caisses de retraite feront faillite. Quant à la baisse de l'impôt sur le revenu pour certaines catégories, elle toucherait moins de la moitié des contribuables qui seuls l'acquittent. L'effet positif serait très faible ». Mêmes critiques de la part de Michel Didier : « Marine Le Pen propose une longue liste de dépenses publiques atteignant jusqu'à 100 milliards d'euros. Ce deuxième volet provoquerait à lui seul une crise de paiement ».
Un ultraprotectionnisme dangereux;
Ce qu'elle préconise : La candidate veut « réserver la commande publique aux entreprises françaises, si l'écart de prix est raisonnable », ou encore (une idée dévoilée après la publication de son programme) créer une taxe à l'importation jusqu'à 35 % « pour les entreprises qui délocalisent, puis réimportent leurs produits en France ». Et instaurer « une taxe sur l'embauche de salariés étrangers », même s'ils résident déjà en France (statut qui ne donne lieu à aucune taxe aujourd'hui). Son taux atteindrait 10%.

Ce qu'en disent les économistes :Baisser les coûts en luttant contre l'immigration ? « Son message «les immigrés nous coûtent une fortune, donc supprimer l'immigration nous permettrait de tout financer»n'a aucun fondement économique », accuse Alexandre Delaigue. Taxer les importations n'a pas plus de logique : « 75 % du commerce mondial repose sur des morceaux de produits, et non sur des produits entiers. Si vous dévaluez ou si vous taxez, ces morceaux deviennent plus chers. Vous dégradez alors votre propre compétitivité puisque ce sont des produits dont les entreprises françaises ont besoin », ironise Patrick Artus. « Son programme véhicule l'idée d'un possible retour à une situation ancienne où il serait possible de vivre en autosuffisance. Elle est fausse », insiste Mathieu Plane.
Pour nos six économistes, la France « prospère » et « juste » vantée par Marine Le Pen ne suscite que de l'inquiétude, amplifiée par l'irréalisme et les conséquences redoutables des propositions les plus emblématiques. Leur opinion se reflète depuis quelques semaines dans la réaction des marchés obligataires, où le coût de la dette française s'envole. À cause de la peur des investisseurs face à ce programme.
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