Gabriel, l'atout charme des Belges

Le 14 avril, le prince Gabriel a assisté avec le roi Philippe au décollage de la fusée Ariane 5 et de la sonde Juice depuis le centre spatial de Kourou, en Guyane. Épris de sciences spatiales comme son père, le jeune homme de 19 ans, étudiant à l’École royale militaire, a pu observer de près, sur un site ultrasécurisé, ce lancement historique. Une première visite internationale et officielle pour le jeune homme.

« Gabriel devra faire face aux mêmes défis que n’importe quel jeune de son âge, à savoir établir ce qu’il veut faire, tracer sa voie. Évidemment, il aura toujours à gérer une attention médiatique », note l'historien Vincent Dujardin.
Deuxième dans l'ordre de succession, Gabriel de Belgique poursuit son ascension. ©DR

Le professeur Vincent Dujardin, professeur d’histoire contemporaine à l’UCLouvain, se penche sur la présence publique, le parcours et le profil du prince Gabriel, deuxième enfant des souverains belges. Vincent Dujardin préside depuis 2008 l’Institut d’études européennes. Ses travaux portent sur l’histoire des institutions belges et de la construction européenne.

Paris Match. Dans quelle mesure cette première visite officielle du prince Gabriel aux côtés de son père à l’étranger rejoint-elle le goût familial des sciences, et peut-être plus particulièrement sa formation?

Vincent Dujardin. Il est clair qu’il y a dans la famille royale un intérêt pour les sciences. Le roi Baudouin était passionné par l’astronomie et observait les étoiles avec son télescope. Il avait assisté au lancement d’Apollo 10 en 1969 et reçu au palais, avec la reine Fabiola, des astronautes qui avaient marché sur la Lune. Le prince Philippe était alors déjà passionné par l’espace. En 1970, il visite le Musée des sciences naturelles avec le roi Baudouin et le prince Albert pour y découvrir un fragment de lune ramené par l’équipage d’Apollo 12. On connaît ses liens avec Frank De Winne et Dirk Frimout : il a assisté à leurs départs ou retours de l’espace. Tout récemment, Thomas Dermine a expliqué que le Roi avait joué son rôle dans le choix de Raphaël Liégeois comme astronaute lors de sa rencontre avec le directeur général de l’ESA, qu’il vient d’ailleurs de retrouver en Guyane. Quant à Gabriel, il a visiblement aussi un goût prononcé pour les sciences.

Selon quels critères principaux ce choix s’est-il effectué?

Sans doute tout simplement en regard de son intérêt personnel. Et puis, il s’agit d’une opportunité unique, dans un secteur où les Belges se profilent de manière très importante, développent une belle expertise. Le Roi veille toujours à encourager les domaines dans lesquels la Belgique peut jouer un rôle, que ce soit dans le sport, l’économie ou ici la recherche spatiale. À côté de cela, en Guyane, des militaires belges ont suivi une formation à la survie dans la jungle par le 3e régiment d’infanterie étranger de l’armée française, qui assure aussi la sécurité du CSG, le Centre spatial guyanais. Cela fait donc un point d’accroche avec la formation du prince à l’ERM.

22 juin 2005. Le petit prince dans les jardins Laeken
22 juin 2005. Le petit prince dans les jardins Laeken ©Didier Lebrun

Peut-on parler d’une valorisation «orchestrée» (présence révélée en dernière minute, comme ce fut le cas pour Élisabeth au Kenya en 2019) et celle-ci répond-elle à une obligation au goût du jour, à savoir que les monarchies «modernes» se doivent de montrer davantage les jeunes générations?

Pas «orchestrée», dans la mesure où cela a été apparemment décidé en dernière minute. Cela coïncidait aussi tout simplement avec les vacances scolaires du Prince. Il est vrai que la présence de celui-ci renforce l’intérêt médiatique, car cela représente un volet inédit. C’est la première fois que Gabriel accompagne son père dans une visite officielle à l’étranger. Mais ce n’est pas lui qui représente officiellement la Belgique. C’est une ouverture vers l’avenir, à la préparation de la génération suivante. Le voyage n’a pas été construit autour de lui, c’est son père qui lui a tout simplement proposé de l’y associer.

Peut-on dire que le rythme auquel il est mis en lumière est comparable à celui que connaît désormais la princesse Élisabeth?

Il me semble qu’avec la Princesse, le rythme est un rien plus soutenu. Elle a pris la parole en public plusieurs fois depuis fort jeune, la première fois très brièvement alors qu’elle avait 7 ans. Pour ses 18 ans, elle a eu droit à une cérémonie festive au palais, à l’occasion de laquelle elle a confirmé qu’elle acceptait de se préparer au métier de reine. Il n’y a pas eu de fête officielle pour les 18 ans de Gabriel. Mais il est vrai que la préparation du Prince est fort proche de celle d’Élisabeth pour le moment. À l’occasion de ses 50 ans, la reine Mathilde avait d’ailleurs donné une interview dans laquelle elle précisait qu’avec le Roi, ils veillaient à traiter leurs quatre enfants de manière égalitaire, tout en sachant que l’aînée aurait sans doute un destin particulier. Mais le Roi et la Reine étaient présents pour le Prince à la rentrée de l’ERM cette année, avec le roi Albert II d’ailleurs. Et Gabriel a reçu, lui aussi, son béret bleu des mains du Roi. Élisabeth n’a du reste pas encore été en voyage officiel à l’étranger avec son père. Elle a accompagné sa mère, mais son père, c’était seulement en Belgique.

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«Dans l’état actuel des choses, Harry ne viendra pas en appui de son frère William lorsque ce dernier deviendra roi. A l’inverse, Gabriel pourra épauler sa sœur aînée»

Cela s’inscrit, on l’imagine, dans une perspective plus «urgente», consistant notamment à rafraîchir l’image de la monarchie. Il s’agit de lui permettre autant que possible de se projeter dans l’avenir?

Je dirais que la modernisation s’opère depuis le début du règne, depuis 2013 donc. En tentant certes de trouver ce fameux équilibre entre tradition et modernité. Il est aussi normal de préparer la formation des héritiers, mieux que cela a été fait par le passé. On assiste en fait à la logique montée en puissance de la famille nucléaire du roi, avec ses enfants qui grandissent.

On connaît, et vous l’avez rappelé, cette volonté des Souverains de veiller à respecter une forme d’égalité dans la visibilité de leurs aînés.

Tout à fait. Et d’ailleurs pas seulement des aînés, mais bien des quatre enfants. On ainsi vu, en décembre dernier, le prince Emmanuel participer avec Élisabeth à la course du Warmathon, une opération caritative de la télévision (fFin 2022, la princesse héritière et son frère cadet se sont joints aux participants du marathon autour du stade Roi Baudoin, du parc Osseghem et de l’Atomium, une action annuelle de solidarité orchestrée par la VRT, NDLR).

Geste d’affection d’un père à son fils lors de la remise du béret bleu. « Philippe et Mathilde veillent à conférer un traitement égalitaire entre leurs quatre enfants, tout en sachant que l’aînée aura sans doute un destin particulier ».
Geste d’affection d’un père à son fils lors de la remise du béret bleu. « Philippe et Mathilde veillent à conférer un traitement égalitaire entre leurs quatre enfants, tout en sachant que l’aînée aura sans doute un destin particulier ». Photo by Philip Reynaers / Photonews ©Philip Reynaers / Photonews

Au-delà d’un aspect égalitaire entre genres, peut-on y voir aussi une façon de ne pas mettre une pression exclusive sur les épaules de la future reine?

Non, je crois que c’est juste une volonté de préparer chacun. Et puis, avec les activités des uns et des autres, il y avait ici, pour Gabriel, qui était donc en congé, l’occasion de passer cinq jours avec son père. Comme il est désormais en internat, ils se voient beaucoup moins qu’avant. C’était donc l’occasion d’un moment familial privilégié. Il y a sans doute des éléments aussi simples que cela, à côté des centres d’intérêt déjà évoqués.

Quelles comparaisons historiques pourrait-on faire, en termes de préparation de la fratrie au sein d’une famille régnante?

En Belgique, je n’en vois pas. Il est inédit de voir le Roi et la Reine s’impliquer pleinement dans l’éducation de chacun de leurs enfants. Regardez l’origine du conflit entre le prince Léopold, futur Léopold III, et son frère le prince Charles. Le premier était toujours privilégié par ses parents et cela a joué. Mais plus globalement, même Léopold et Astrid, qui aimaient leurs enfants, s’occupaient beaucoup moins d’eux que ne le font le Roi et la Reine aujourd’hui. C’est une autre époque, évidemment.

Le Prince a étudié à l’International School of Brussels de Boitsfort, où il a obtenu son baccalauréat international en anglais en deuxans. Il a suivi ensuite, dès septembre 2021, une formation préparatoire au National Mathematics and Science College de Coventry, en Angleterre. Fin 2022 enfin, il rejoint les cours de la faculté des Sciences sociales et militaires à l’École royale militaire (ERM) à Bruxelles. Son parcours jusqu’ici est-il classique?

Je ne dirais pas classique, dans la mesure où deux des trois derniers rois ne sont pas passés par l’ERM. En raison des circonstances de la Question royale, le prince Baudouin n’a pas fait d’études supérieures et le prince Albert n’est pas passé par l’ERM non plus. Le roi Philippe est d’ailleurs, comme on l’a souligné déjà, le premier universitaire de la famille. Gabriel est aussi le premier à effectuer une «spéciale math». Par contre, le voir à l’ERM dans la section sciences sociales et militaires renvoie à ce que son père et sa sœur ont fait.

21 juillet 2022. Entre ses sœurs Eléonore et Elisabeth, et son frère Emmanuel, Gabriel assiste en première ligne aux festivités de la Fête Nationale. 
Son ascension 
est en marche.
21 juillet 2022. Entre ses sœurs Eléonore et Elisabeth, et son frère Emmanuel, Gabriel assiste en première ligne aux festivités de la Fête Nationale. Son ascension est en marche. Photo by Didier Lebrun / Photonews ©DLE

De quelle expérience en politique internationale bénéficie-t-il jusqu’ici?

Elle reste évidemment limitée, ce qui est normal vu son âge et son cursus. En secondaire, la politique internationale n’est abordée que dans les cours d’histoire ou de géographie, ce n’est pas une matière centrale. Peut-être en reçoit-il davantage de notions à l’ERM, surtout vu la filière choisie? Et sans doute plus encore au contact de son père, qui lui partage certainement son expérience en la matière.

Quelles suites peut-on envisager dans sa préparation, académique notamment?

Cela reste inconnu, puisque le Palais n’a pas encore communiqué à ce sujet. Le choix du Prince n’est donc pas encore public. Souhaitera-t-il poursuivre sa formation militaire, comme son père qui est resté plusieurs années à l’armée? Ou bien, à l’instar de sa sœur Élisabeth, quittera-t-il l’ERM après une année? Dans ce cas, il poursuivra sans doute des études universitaires. On ne prend pas de grands risques en disant que ce serait alors à l’étranger, dans un pays anglo-saxon ou aux Pays-Bas par exemple, mais pas en Belgique. L’avantage de son passage à l’ERM, c’est de lui avoir permis de se mêler à tous les milieux sociaux, de se trouver confronté à la discipline. Cela forge le caractère et forme au leadership. Là, il est aussi traité comme tout le monde et cela participe à cette éducation la plus normale possible. Son père a toujours expliqué combien son propre passage à l’armée avait été important dans son parcours.

Quelles différences peut-on souligner avec le parcours de sa sœur aînée, la princesse Élisabeth?

Pour le moment, on voit surtout que le Roi et la Reine veulent donner à tous leurs enfants les mêmes possibilités d’évoluer dans la vie, les mêmes atouts, une formation de qualité équivalente. Évidemment, il y a une différence, tout simplement parce qu’Élisabeth est la première dans l’ordre de succession. Son trajet est donc fléché, elle est formée en sachant qu’elle doit être préparée à régner un jour. Les trois autres enfants du Roi bénéficient de plus de liberté dans le choix de leurs études. Et comme ils n’auront pas de dotation, ils seront d’ailleurs plus libres que ne l’était la génération précédente. Ils se préparent à exercer un métier. C’est une chance pour eux par rapport à leurs prédécesseurs. En sachant évidemment qu’ils resteront toujours princes de Belgique et qu’il y aura de ce fait toujours une part de vie publique, en appui des tâches de représentation qu’assurera leur sœur le jour où elle sera reine.

Peut-on déceler, à travers cette formation plus longue sans doute à l’ERM, quelques touches «masculines» spécifiques à ce parcours?

Il est vrai qu’il doit y avoir à mon avis environ 90 % d’hommes à l’armée. Mais davantage de femmes qu’auparavant la rejoignent aussi. Cette direction est encouragés par la résolution 1325 du Conseil de sécurité de l’ONU d’octobre 2000, qui demande aux États membres de faire en sorte que les femmes soient davantage représentées à tous les niveaux de prise de décision, car elles peuvent jouer un rôle spécifique auprès des civils dans les pays où des militaires sont envoyés en mission. Et puis, la princesse Élisabeth est aussi passée par l’ERM. C’était d’ailleurs une petite surprise qu’elle y reste toute une année.

Que dire du rôle de second du prince Gabriel, cette position de «suppléant», pour reprendre le titre en français de la fameuse biographie du prince Harry?

D’abord que les différences avec Harry sont évidemment nombreuses. Le prince Harry vit visiblement de ses rentes ou de ses interventions publiques. Le prince Gabriel poursuit une formation en vue d’exercer un jour un métier. Harry a quitté son pays et n’exerce plus aucune tâche de représentation pour son pays. Il n’est plus un membre actif de la famille royale britannique. Dans l’état actuel des choses, il ne viendra pas en appui de son frère William lorsque ce dernier deviendra roi. À l’inverse, Gabriel pourra épauler sa sœur aînée. D’ailleurs, il semble que les quatre enfants s’entendent bien. La répartition des rôles est claire. Cela se voit dans les représentations publiques, comme lors des 18 ans de la princesse Élisabeth ou lors des 21 juillet. Par contre, oui, Gabriel sera préparé en cas de nécessité, si les circonstances devaient le conduire à devenir un jour roi, à l’instar de ce qui fut le cas du roi Albert II en 1993. Il restera le second dans l’ordre de succession, tant que la princesse Élisabeth n’a pas d’enfant. Au fond, Harry n’est déjà plus, en fait, «le suppléant». Gabriel, en tant que second, pourra être en première ligne pour épauler un jour sa sœur.

La famille au grand complet.
Prince Philippe et de la Princesse Mathilde et de leurs quatre enfants, réalisées fin 2012, à l’occasion des fêtes de fin d’année. © Chancellerie du Premier Ministre © kanselarij van de Eerste Minister ©Chancellerie du Premier Ministre

À quelles difficultés Gabriel devrait-il a priori être confronté?

Il devra faire face aux mêmes défis que n’importe quel jeune de son âge, à savoir établir ce qu’il veut faire, tracer sa voie. Évidemment, il aura toujours à gérer une attention médiatique. En tant que prince de Belgique, ses choix ne pourront pas gêner non plus l’institution qu’il représente. Mais il aura, je l’ai dit, plus de liberté que ses prédécesseurs, car il n’aura pas de comptes à rendre, puisqu’il n’aura pas de dotation. Ça, c’est nouveau, grâce à la loi de 2013 mise en place par le gouvernement d’Elio Di Rupo. Désormais, seule la première dans l’ordre de succession, donc la princesse Élisabeth, bénéficiera un jour d’une dotation.

Quels sont, en revanche, les atouts de la position qu’il occupe? Davantage de liberté, moins de pression médiatique?

Plus de liberté, moins de pression médiatique, en effet! Même s’il semble à l’aise avec cet exercice, se montrant à la fois réservé et médiagénique. Il parle avec des journalistes aussi bien en français qu’en néerlandais.

Couronnement de Charles III : la famille royale bien représentée

Le samedi 6 mai, le roi Philippe et la reine Mathilde assisteront à la cérémonie de couronnement du roi Charles III et de la reine Camilla à l’abbaye de Westminster à Londres. Le Roi et la princesse Elisabeth participeront à la réception qui aura lieu au Palais de Buckingham la veille du couronnement. Charles III a voulu jouer la carte de la sobriété pour son sacre et chaque famille royale d’Europe se serait vue attribuer seulement deux sièges pour le Jour J.

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