Guy Gilbert : «Une des plus belles choses que le Pape François a faites, c'est d'installer des douches au Vatican pour les SDF»
Il a célébré les noces du prince Laurent et de Claire Coombs. Il a béni l’union de Stromae et Coralie Barbier. Guy Gilbert, le prêtre au perfecto, le «loubard de Dieu», éducateur devant l’éternel, décoré de la Légion d’honneur, nous a reçus dans sa retraite montagnarde.
- Publié le 02-04-2023 à 19h05
- Mis à jour le 04-04-2023 à 08h55
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Discret depuis quelque temps, il livre un entretien au long cours dans lequel il parle notamment des trois papes qu’il a rencontrés, des politiques, de l’Église, de la jeunesse, du monde comme il va.
Une petite route dans les Hautes-Alpes. Elle mène à Grenoble via le col du Lautaret. Un lieu de repos dans un parc boisé, à quelques kilomètres de Briançon, «ville la plus haute d'Europe», et de la frontière italienne. C'est là, à près de 1400 mètres d'altitude, que nous retrouvons le père Guy Gilbert. Le prêtre aux cheveux longs, aux mains garnies de bagues massives, qui a voué sa vie à l'encadrement et à la réinsertion de jeunes délinquants. C'est aussi celui qui a célébré, parmi beaucoup d'autres, les noces du prince Laurent et assuré la bénédiction de l'union de Stromae.
L'homme au cuir de motard et aux cinquante-cinq bouquins avait dans un premier temps décliné notre proposition d'entretien. «Je suis fatigué», nous avait-il alors répondu. Nous lui avons proposé une conversation à angle large, ouverte sur des thèmes sociétaux qui lui tiennent à cœur. Sur les conseils de Didier, son assistant de longue date, basé à Paris, il a étudié notre proposition et a accepté, dans la foulée de se remémorer le mariage, il y bientôt vingt ans, du prince Laurent.
Éducateur dans l'âme, philosophe aussi dans son approche de la vie, l'ouverture d'esprit et une foi inébranlable en Jésus-Christ, Guy Gilbert est un homme de sacrements qui a fait le vœu de la vérité et de l'humanité.
Il y a ce travail de fourmi qu'il a accompli dans l'ombre du nord et la lumière du sud, entre Paris et Faucon, la Bergerie où il a hébergé, guidé, éduqué, remis dans le droit chemin des centaines de jeunes en perte de repères. Avec des équipiers de toutes les confessions. Il y a l'éclairage des «spotlights» aussi. Il ne l'a pas recherchée à tout prix mais elle l'a conquis à ses heures, lui a permis de diffuser largement sa parole d'évangile.
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Guy Gilbert nous accueille devant sa maison de repos, un repos imposé. Nous l'avions rencontré il y a plusieurs années, dans son QG de Paris, en Belgique aussi. Son teint est plus frais aujourd'hui. L'air et la paix de la montagne. Il dégaine sa première cigarette depuis un mois.
C'est un homme «fatigué moralement» mais serein qui vient à nous, cheminant, droit comme un «i» sur un sentier alpin. Il est coiffé d'une casquette de toile d'où s'échappent quelques mèches d'un gris argent soigné. Il a abandonné, frimas obligent, son blouson de cuir historique. Il porte une doudoune noire, une écharpe anthracite, des après-ski légers. Il est accompagné de Régis Muratori, son adjoint depuis sept ans, venu de Toulon pour l'occasion. Il est jeune, vif, laisse parler le maestro tout en l'encadrant discrètement.
Muni de ses sticks de marche nordique, Guy Gilbert s'engage soudain sur un autre chemin pentu, fait un brin de causette à deux dames en plein trekking. La silhouette est nette, l'allure tonique encore même si, il le répète, il se sent las depuis quelques mois.
Son lieu de retraite est proche du village où, des années durant, il a encadré des jeunes pour une semaine de ski. Car le prêtre est un amateur de glisse. Briançon est par ailleurs, une terre de champions et une ville de compétitions. Il est connu dans cette région comme le loup blanc. Comme le prophète aussi. Il y a longtemps célébré des messes à son image, libres, joyeuses, énergiques. Il en célèbre encore, au sein de la maison de repos. Entouré cette fois de têtes blanches. «Il n'y a que des vieux!», dit-il.
Il s'installe à une table de bois avec vue panoramique sur les cimes. Il réclame un peigne avant la séance photos. Ses mains sont élégantes, lisses, aux ongles manucurés, d'un rose presque enfantin – il porte toujours ses bagues rock et baroques, faites de turquoise et d'argent. Il conserve sa griffe, soignée, celle du dandy bucolique et urbain qu'il demeure par ailleurs. Avec cette forme d'élégance innée, cette lumière aussi. Il reste attaché aux valeurs fondamentales qu'il a explorées dans des dizaines de livres. Sur la table, une BD. Le titre, Aimer à tout casser, est une de ses lignes fortes. Le regard est profond. Avec ce léger voile de l'âge. Mais l'esprit reste vif et le verbe, fleuri.

Qu’est-ce qui vous amené ici, dans cet écrin des Alpes françaises?
Guy Gilbert. Depuis 47 ans je viens dans la région de Briançon une fois par an durant quelques jours pour encadrer des jeunes. Un type nous proposait un chalet gratuitement. J'ai 88 ans et j'ai fait du ski pendant 43 ans. Je n'ai arrêté qu'il y a trois ans. Cette année, j'ai été victime d'un épuisement soudain durant cette semaine. J'ai ressenti une fatigue profonde. J'étais claqué. J'ai dû être hospitalisé à Briançon. Ils m'ont remis sur pied et m'ont envoyé ici, dans cette maison de repos. C'est une fatigue d'ordre moral. J'avais 85 ans lorsque la vague de Covid s'est abattue sur nous et ça a été un point de basculement. Soudain, j'ai dû fuir Paris et me réfugier en Provence, dans ma Bergerie de Faucon où je me rendais d'habitude, depuis des années, cinq jours par mois. Cet épuisement, il est lié à ce changement de vie qui m'a été imposé par la crise sanitaire. J'avais beaucoup d'amis à Paris, en Provence aussi. J'en ai ici également bien sûr mais le bouleversement a été dur.
L’âge est un privilège avez-vous dit dans le passé, la vieillesse, un «émerveillement». Comment vous sentez-vous aujourd’hui?
Toujours fatigué moralement, mais mieux qu’il y a quelque temps. C’est la première journée depuis un mois où je me sens dans une forme extraordinaire, grâce aux pensées des Belges!

La Bergerie a été votre havre de paix.
Oui. Je l'ai monté grâce à deux jeunes prophètes… Un jour je rencontre une vieille dame lors d'une messe à Clermont-Ferrand. Elle me dit: mon mari est riche, il veut partager sa fortune avec vous… Je lui dis: «Je ne prends pas un centime d'euro pendant la messe.» Plus tard, elle m'a envoyé sans me consulter un chèque de 50 000 francs. C'était le prix de cette ruine en Provence. Je ne pouvais pas couvrir les frais de notaire. Un jeune m'a dit: Prends-là! Plus tard, on est devant la ruine, un autre mec me dit: Ne t'en fais pas, on la reconstruira. Je lui réponds qu'il n'y a pas d'argent. Il me dit: Dans ta religion, Dieu aime les pauvres, il t'enverra l'oseille. Dieu t'aidera.
C'est donc grâce à ces prophètes que j'ai acheté la Bergerie. Le début d'une belle aventure. J'y ai cent-vingt animaux de vingt races différentes.
Vous racontez cette anecdote amusante: Lorsque Nicolas Sarkozy vous avait rendu visite à Faucon, il avait été froissé en voyant le sangliers le «bouder»… Vous lui avez expliqué que ces derniers lui tournaient le dos «parce qu’ils sont de gauche»…
C’est vrai. Cela m’a fait rire! Il faut connaître la nature animale et humaine. C’est un des secrets.
Le jour du mariage de Laurent et Claire, on m'amène à la sacristie où je rencontre Mgr Danneels. Je n'ai pas encore vu l'église et là je vois des caméras partout. Je ne m'étais pas rendu compte de l'ampleur médiatique de l'événement. D'un seul coup, je me suis dit: qu'est ce que je fais là? J'avais l'impression d'avoir fait une énorme connerie en acceptant de participer à leurs noces. En même temps, il fallait y aller bien sûr.
Que retenez-vous, vingt ans après, du mariage du prince Laurent et de la princesse Claire, que vous aviez célébré avec panache et simplicité en la Cathédrale Saints-Michel-et-Gudule de Bruxelles ?
Un souvenir extraordinaire. Huit jours avant le mariage de Laurent et de Claire, j'ai marié un loubard et une loubarde , cinq personnes assistaient à la cérémonie.
En arrivant à Bruxelles pour le mariage de Laurent, j'ai renversé ma valise sur le quai de la gare du Midi. Elle s'est ouverte et tous mes effets se sont éparpillés. Laurent m'a dit: Laisse tomber, je vais t'acheter deux valises. Il s'est empressé de le faire. On a beaucoup ri ensemble de cet épisode. Le jour du mariage, on m'amène à la sacristie où je rencontre Mgr Danneels. Je n'ai pas encore vu l'église et là je vois des caméras partout. Je ne m'étais pas rendu compte de l'ampleur médiatique de l'événement. D'un seul coup, je me suis dit: qu'est ce que je fais là? J'avais l'impression d'avoir fait une énorme connerie en acceptant de participer aux noces de Laurent et Claire. En même temps, il fallait y aller bien sûr. J'avais, en amont, préparé les serments, le sacrement avec Laurent. Il me dit:le cardinal va parler, et tu auras trois minutes pour ton texte. Finalement, mes trois minutes sont devenues dix-huit minutes… Laurent a beaucoup de souplesse et moi aussi. Le cuisinier des noces était furieux car le beefsteak était trop cuit!
Vous avez alors usé de votre ton habituel, avec quelques nuances néanmoins?
J’ai parlé simplement et de façon directe comme d’habitude. Même si, un ami m’a fait cette remarque après : «Tu n’as pas dit un seul gros mot !» La presse, avant le mariage, avait mis en garde sur le fait que «le père Guy Gilbert, curé des loubards», avait «un langage qui pouvait heurter l’aristocratie» présente dans la cathédrale. J’avais, avant cette cérémonie, préparé quelques phrases en flamand. Ces phrases ont ému l’assistance, selon les échos publics et médiatiques.

Vous avez revu Laurent régulièrement ces dernières années?
Absolument. J’ai pu revoir Laurent avec sa famille à plusieurs reprises. Récemment j’ai célébré le mariage d’un de ses amis dans le sud. C’était magnifique de voir ses enfants, Louise, Aymeric et Nicolas, dix-huit ans après. Ils avaient sacrément grandi. Notamment à Lourdes où il voulait que je l’accompagne. J’avais déjà revu entre-temps les enfants adolescents. Ça m’a fait plaisir. Laurent est strict avec eux mais très attentionné. Nous avons partagé aussi plusieurs repas en Provence avec lui et les siens Tous les ans, ils viennent le 15 août me rendre visite à la ferme.
Laurent occupe une «fonction» floue au sein de la famille royale, c’est une position un peu de «suppléant» comparable à celle du prince Harry. Ils ont été souvent comparés pour leur statut de cadet, frère de roi, appelés à occuper une fonction aux contours mal définis. Cela induit, presque obligatoirement, un désarroi psychologique dans ces sphères où le parcours de celui qui est appelé à régner est beaucoup plus soigné, pour le dire faiblement…
On peut les comparer sauf que Harry a dépassé toutes les mesures possibles en épousant quelqu'un qui, à mes yeux, ne le soutient pas dans l'affrontement réel de ces difficultés.
Laurent me disait que le roi Baudouin était très strict sur un tas de choses. Avec lui aussi, bien sûr, mais avant tout avec son frère. Celui qui doit régner doit être lui-même très rigoureux dans ses accomplissements, sa formation. Il doit être humain également. Pour Laurent, l'humain prime sur tout. C'est quelqu'un de très bon et de très attentionné. Je suis heureux de me baigner dans ce couple très vivant et j'éprouve une amitié particulière pour Laurent.
Quels ont été vos contacts avec le futur roi Philippe à l’époque?
Le prince Philippe et la princesse Mathilde, avant d’être souverains, m’avaient invité à passer un week-end chez eux dont j’ai gardé un souvenir lumineux. Nos rapports ne sont évidemment pas les mêmes qu’avec Laurent mais ils sont cordiaux.
Stromae ? C'est quelqu'un de discret et très amical. De magnifique aussi. J'aime la façon dont il a osé aborder sa dépression. Je lui ai demandé de faire une petite intervention (une vidéo personnelle) pour une association de Don Bosco. Il a préparé un texte qu'il a dit, un message plein d'espérance pour ceux qui sont tentés par le suicide
Vous avez béni aussi l’union de Paul Van Haver, alias Stromae, et de Coralie Barbier.
Stromae m’appelle un jour pour que je le marie. C’était un mariage exceptionnel. Stromae et Coralie avaient invité deux cents personnes de plusieurs nationalités, venues d’Europe et d’Afrique. La cérémonie avait lieu dans un hôtel de Malines qui est une ancienne église. Stromae avait interdit les portables. C’est un des plus beaux mariages que j’ai faits, une bénédiction en vérité.
Par cette discrétion et la tonalité feutrée que vous soulignez?
Oui, mais il y avait surtout une mystique silencieuse et très priante. C’était étonnant et impressionnant.
Dans cette veine d’ouverture œcuménique chère au prince Laurent?
Cela s’est fait dans le respect de toutes les religions, c’est pour ça qu’on a très bien communiqué ensemble.
Lire aussi > Le patron de l’OMS remercie Stromae d’avoir mis en lumière la santé mentale sur TF1
Comment décririez-vous Stromae?
Discret et très amical. C’est quelqu’un de magnifique aussi. J’aime la façon dont il a osé aborder sa dépression. Je lui ai demandé de faire une petite intervention (une vidéo personnelle) pour une association de Don Bosco. Il a préparé un texte qu’il a dit, un message plein d’espérance pour ceux qui sont tentés par le suicide, quelques jours avant son retour sur scène.
J'ai visité presque toutes les prisons de Belgique. Réchauffer le cœur de ceux qui peuplent les prisons est une priorité pour moi. Je ne comprends pas ce terme de belgitude. Mais si nous évoquons l'esprit belge, ce qui me vient à l'esprit d'abord, ce sont des communautés qui parlent différentes langues.
Vous êtes venu souvent en Belgique. Vous y avez rendu visite aussi à des détenus. Nous vous avions rencontré d’ailleurs à la prison de Nivelles. Comment dépeindriez-vous la «belgitude», pour autant qu’elle existe et soit définissable?
J’ai visité presque toutes les prisons de Belgique. Réchauffer le cœur de ceux qui peuplent les prisons est une priorité pour moi. Je ne comprends pas ce terme de belgitude. Mais si nous évoquons l’esprit belge, ce qui me vient à l’esprit d’abord, ce sont des communautés qui parlent différentes langues. Les Flamands au nord, les Wallons au sud, et bien sûr Bruxelles entre les deux. Une chose qui me frappe c’est que la plupart des Flamands comprennent le français Mais beaucoup de francophones ne comprennent pas le néerlandais. C’est regrettable.
C’est un message que vous souhaitez faire passer aux Belges?
Absolument! Je leur rappelle leur slogan, puissant: l’union fait la force. Je leur dis: Vous perdez votre force en ne parlant pas la langue de l’autre. Pendant le mariage de Laurent, j’ai parlé un peu en flamand. Je me suis entraîné presque chaque jour, un mois durant. J’avais une dizaine de phrases à prononcer et j’ai voulu avoir la bonne intonation, mettre l’accent sur les bonnes syllabes. Laurent m’a aidé, il m’a fait répéter pendant une semaine. Les journalistes ont apprécié mais ont écrit après que j’avais un accent phonétique «horrible»!
Vous avez, des décennies durant, soutenu, hébergé et guidé des jeunes en perdition, délinquants souvent, à la Bergerie de Faucon. Quel regard avez-vous sur cette jeunesse aujourd’hui? Quelles évolutions avez-vous notées récemment?
Les jeunes ont été marqués très profondément par la crise sanitaire. Ils ont été enfermés et on les voit maintenant avec leurs motos pétaradant en pleine nuit, emmerdant les gens, prenant possession des quartiers. Le Covid les a rendus plus assoiffés d’indépendance encore. Ils veulent exprimer vite leurs désirs dont ceux d’être reconnus et aimés.

Vous avez d’ailleurs souligné souvent qu’il fallait lutter contre ces zones de non-droit où les trafiquants mènent la danse au pied des immeubles de banlieue.
Les banlieues, on ne parle que de ça. Le problème est ancien, il faut le résoudre. La violence est liée au problème central de la drogue qui a envahi la France. Quand j’ai commencé mon métier d’éducateur, les jeunes fumaient très peu. Aujourd’hui, c’est systématique. C’est une maladie française. On n’a pas réussi à régler le problème, ça reste un danger journalier.
Certains pays européens ont, de longue date, des législations différentes en la matière – comme les Pays-Bas ou l’Espagne.
Aux Pays-Bas notamment la situation est très complexe. A mon sens il est beaucoup trop tard pour légaliser. L’affaire Palmade m’a, comme tout le monde, interpellé. Selon de récentes déclarations de Gérald Darmanin, le ministre français de l’Intérieur, demain, toute personne sous emprise ne pourra plus prendre le volant. (En février dernier, quelques jours après l’accident de la route provoqué par Pierre Palmade, le ministre français de l’Intérieur annonçait un durcissement dans la loi – le retrait immédiat des douze points du permis en cas de conduite sous stupéfiants ou alcool. Un texte doit être proposé prochainement aux débats parlementaires. NDLR.) Reste bien sûr à appliquer cela, c’est un autre débat mais je crois que c’est en tout cas une des solutions à ce fléau.
Un des maux de nos sociétés est le terrorisme. Redoutez-vous constamment la radicalisation au sens large ?
«Les fidèles se mettent au service de Dieu et les fanatiques mettent Dieu à leur service.» Tout extrémisme religieux est catastrophique.
La lutte contre les tendances nauséabondes et mortifères passe-t-elle par un langage plus contrôlé, entre autres?
La parole doit être libre. Il ne faut pas enchaîner les hommes qui parlent et émettent des idées, quelles qu’elles soient. Mais il faut lutter, par la parole et la force de conviction contre toutes les pensées extrêmes.
Le pape n'a est pas un homme politique, il doit parler de celui qui souffre le plus. C'est nécessaire. Mais il est évident aussi que quand les autocrates viennent au Vatican, François leur serre la main. Il est obligé de le faire mais il sait leur dire ses vérités je suppose
En 1957 vous étiez séminariste en Algérie, vous y avez vécu la guerre en première ligne. «J’ai vu des hommes se transformer en fauves», avez-vous dit. Vous avez parlé d’une guerre sale. Que vous inspire le conflit en Ukraine?
Toute guerre est honteuse et néfaste mais celle-ci est particulièrement mauvaise car Poutine a décidé d’envahir ce territoire de l’Ukraine et surtout de le détruire, de tuer ses habitants et de lui voler ses richesses naturelles.

Des manifestations «apolitiques» pour l’arrêt urgent de la guerre en Ukraine ont eu lieu. Des messages de paix prônant la négociation urgente de certaines personnalités dont le pape François ne semblent que modérément entendus…
Le pape n’a est pas un homme politique, il doit parler de celui qui souffre le plus. C’est nécessaire. Mais il est évident aussi que quand les autocrates viennent au Vatican, François leur serre la main. Il est obligé de le faire mais il sait leur dire ses vérités je suppose.
Faut-il négocier à tout prix avec le diable pour arrêter ce bain de sang ou faut-il, comme d’autres le disent, vaincre Poutine quoi qu’il en coûte pour la défense plus globale de l’Europe et de l’Occident notamment ?
Les Ukrainiens aspirent à la souveraineté. Poutine le refuse. Nous savons bien sûr les péchés de la démocratie. Elle peut être la pire des choses mais aussi la seule façon de gérer un pays comme l’a dit en substance Churchill. Bref, la démocratie on la piétine souvent, on la malmène parfois on n’en veut plus mais ça reste quand même ce qu’on a trouvé de mieux jusqu’ici.
La défense de la démocratie en Ukraine vaut-elle tous les sacrifices, y compris en termes de vies humaines?
Bien sûr, la souffrance est énorme. Et les répercussions économiques, quotidiennes pèsent sur les épaules de chacun de nos concitoyens. Quand vous faites votre marché, l'augmentation du prix des denrées pèse lourd pour les budgets les plus modestes et pour les budgets moyens.
Pendant ce temps, les habitants d'Ukraine sont dans une souffrance indescriptible. Il n'ont pas d'électricité, pas de chauffage, ont perdu parfois leur maison, n'ont pas toujours pu conserver des contacts avec des membres de leurs familles, des mères et des enfants qui ont dû fuir. Des pères, des mères aussi, qui sacrifient leur vie dans les tranchées. L'Ukraine au sens large vit ce martyr sans nom.
Les valeurs occidentales ne sont pas un prisme de vue universel, on l’a vu encore à travers ce conflit…
C’est un débat cruel. Mais l’Ukraine a le droit de vivre dans la démocratie.
Un jour, le président Sarkozy m'appelle et me dit: j'ai une visite d'État à Rome, tu viens avec nous pour représenter le clergé français! Ma tenue, c'est le blouson noir, comme vous savez. Je demande au cardinal de Paris si je dois y aller. Sa réponse: Toi, tu peux aller partout. En entrant dans l'avion présidentiel, je demande à Sarkozy: Est-ce que je reste en blouson? Il me dit: Fais ce que tu veux…
Vous avez rencontré les trois derniers papes. Quels souvenirs forts en gardez-vous?
J’ai rencontré en effet Jean Paul II, Benoît XVI et François. Avant la rencontre avec Jean Paul II, on m’a demandé d’assumer la retraite des séminaristes du diocèse de Rome. Quand je me suis présenté au Vatican, un garde suisse m’a demandé mon accréditation. Je la lui ai montrée mais il m’a empêché d’entrer en me bloquant littéralement le passage! A ce moment, un cardinal africain est arrivé et m’a dit: Bonjour mon père. Le garde suisse m’a alors laissé passer et m’a regardé avec un œil un rien désabusé qui semblait dire: le pape laisse vraiment entrer n’importe qui!
Un jour, le président Sarkozy m’appelle et me dit: j’ai une visite d’État à Rome, tu viens avec nous pour représenter le clergé français! (En octobre 2010, pour rencontrer Benoît XVI. NDLR) Ma tenue, c’est le blouson noir, comme vous savez. Je demande au cardinal de Paris si je dois y aller. Sa réponse: Toi, tu peux aller partout. En entrant dans l’avion présidentiel, je demande à Sarkozy: Est-ce que je reste en blouson? Il me dit: Fais ce que tu veux. J’avais acheté tout de même un clergyman que j’ai porté dans l’avion (un habit composé d’une veste de couleur sombre et d’une chemise fermée par un col romain. Entré en usage à la fin des années 1950 en tant que concession faite aux prêtres qui devaient voyager, il remplace régulièrement la soutane depuis le concile Vatican II. NDLR).

Quand je passais dans les pièces somptueuses du Vatican, j'avais l'impression très nette de faire un peu contraste! Un garde suisse m'avait été assigné pour éviter les dérapages je pense! Il me guidait aimablement, me montrait toutes ces richesses du palais… La pauvreté de l'église était loin…
Benoît XVI nous fixe longuement. Sarko lui dira en me montrant: «Cet homme est magnifique». Réponse du pape: «Je le vois dans ses yeux.» J'ai appris ensuite que Benoît XVI était myope!
Qu’avez-vous pensé de sa démission? Un geste fort, ancré dans son temps, une brèche dans la tradition qui ouvre les portes? Etes-vous personnellement favorable au principe de l’abdication?
Jamais un pape n’avait démissionné avant Benoît XVI. Paul VI avait souffert d’un cancer très grave. A l’époque, c’était le silence épais. Chacun fermait sa gueule quand les grands de ce monde étaient malades, comme pour Pompidou, ou plus tard, assez longtemps, pour Mitterrand. Benoît XVI a été élu, est donc devenu pape et a démissionné. C’est un autre pape (François) qui l’a enterré. Une première dans l’Église. J’ai beaucoup aimé ces funérailles. Quant à la démission, soyons sérieux: quand on est valide, on est au top, tout va bien. Mais quand on décline, le Seigneur ne peut pas aider un malade qui souffre terriblement pour gérer l’Église. Bravo à Benoît XVI d’avoir montré le chemin par son humilité.
Ce pape, considéré comme hyper conservateur, vous le portez donc plutôt dans votre cœur?
Il était humble, doux et théologien. Il a redonné le droit de dire la messe en latin. Ce n’est pas évident.
Ça a diminué le nombre de fidèles encore ? Vous prêchez depuis longtemps en faveur de messes au langage plus fort, plus direct.
Lors d’une messe en latin, je voyais un jeune de 15 ans qui écoutait mais devait lire les traductions en français. Ceux-là ne sont plus vraiment présents puisqu’ils doivent lire le texte par ailleurs. Quand on prie Dieu, on le prie directement. Mais sur d’autres fronts, Benoît XVI a été humble et a essayé de mener l’Église dans ce sens.

Quelle est votre position quant à l’euthanasie, pratiquée de longue date en Belgique et qui fait encore l’objet de débats en France?
L’euthanasie, c’est une liberté énorme: on n’est pas fait pour faire mourir les gens. Dans ce sens, les soins palliatifs sont essentiels. Certaines personnes qui souhaitaient mourir ont changé d’avis lorsqu’ils étaient accompagnés dans ces soins de fin de vie. Euthanasie et avortement sont comparables. Ce sont des batailles difficiles à résoudre, voire insolubles. Concernant l’avortement, il faut simplement respecter jusqu’au bout l’être qui grandit dans le ventre de la femme et accompagner le vieillard ou la personne mourante jusqu’au bout, rester à ses côtés. Mais bien sûr, lorsque la souffrance est épouvantable, il faut des solutions pour y remédier.
En 2015, le pape François m'a convié à venir passer trois jours là où il habite. Je m'y suis rendu avec joie le 11 septembre 2015. C'était le jour de mes 80 ans et de mes 50 ans de sacerdoce. J'ai eu la joie de manger dans sa grande salle à manger où il invitait quelques-uns de ses amis. C'était la première fois que je voyais un Pape manger!
Dans quel contexte avez-vous rencontré le pape François?
Je recevais du Vatican, début septembre 2015, un fax du Pape François m’invitant à venir passer trois jours là où il habite. Je m’y suis rendu avec joie le 11 septembre 2015. C’était le jour de mes 80 ans et de mes 50 ans de sacerdoce. J’ai eu la joie de manger dans sa grande salle à manger où il invitait quelques-uns de ses amis. C’était la première fois que je voyais un Pape manger! C’était un self-service. Il attendait son tour au milieu de la file des personnes, pour se servir. A la fin de la messe, il était assis au fond de l’Église comme tout le monde. Il m’a béni chaleureusement. J’ai eu un échange fraternel et bref avec lui. Il a jeté un regard sympathique et curieux sur mon blouson noir et les pin’s qui le décoraient, sachant très bien qu’en tant que prêtre j’exerce le métier de travailleur de rue. Revient alors le souvenir de mes 13 ans lors de mon entrée au séminaire en 1948… Servir l’Église était pour moi un mystère! Depuis 65 ans je tente pauvrement et de toutes mes forces de le vivre avec une constance et une même allégresse.
Le pape François est allé rendre visite aux migrants à Lampedusa. Jésus-Christ ne s'est pas entouré de savants, de super diplômés, il est allé chercher de pauvres types.
Le 1er mars, le site du Vatican annonce que le pape François a décidé de mettre fin aux avantages immobiliers dont bénéficiaient jusqu’ici les cardinaux et hauts fonctionnaires du Saint-Siège… La ligne d’ouverture sociale, progressiste qu’il incarne vous séduit-elle?
François, la chose la plus belle qu'il ait faite, c'est d'installer dix douches, dix toilettes et dix postes de coiffure au Vatican pour les SDF autour de la Basilique Saint-Pierre. Il est aussi, entre autres, allé rendre visite aux migrants à Lampedusa. Jésus-Christ ne s'est pas entouré de savants, de super diplômés, il est allé chercher de pauvres types.
Dans ses déplacements, il a choisi aussi des pays d'autres confessions, il ne s'est pas focalisé seulement sur les zones très chrétiennes. Le 23 septembre, il a voulu se rendre à Marseille. Il ne donne pas priorité aux énormes rassemblements de masse. C'est une autre approche, très forte, très directe. J'étais avec Benoît XVI lorsqu'il est allé aux Invalides à Paris par exemple, c'était très différent. Les visites de Jean Paul II étaient grandioses, rassemblant des millions de personnes. Jésus lui s'est concentré sur les plus pauvres et les plus oubliés, c'est extraordinaire, il faut le garder à l'esprit.
Les musulmans que j'ai côtoyés souvent disent en parlant de moi «il est à nous». Ils ont le sens du célibat. Bien sûr, ils me demandaient parfois pourquoi je n'avais pas de relations charnelles, mais ils savent ce qu'est le don total.
Il y a plusieurs années déjà, nous avions parlé de nouvelles missions concrètes des femmes dans l’Église catholique. Vous évoquiez alors certains offices qu’elles pourraient remplir. Mais pas tous disiez-vous…
Il y a des femmes dans l’Église depuis 2000 ans. Aujourd’hui, l’aumônier à l’hôpital ou en prison c’est souvent une femme. Elles occupent depuis des lustres des rôles importants. Ces femmes passent leur temps avec des gens qui vont mourir… Il faut qu’elles deviennent diacres. Qu’elles baptisent, qu’elles marient, qu’elles prêchent! Je laisse à l’Église qui est lente le soin de savoir s’il est bon au pas qu’elles occupent d’autres fonctions.
Vous nous avez dit dans le passé que vous considériez le célibat comme une valeur extraordinaire pour l’Église. Est-ce toujours le cas?
Le prêtre doit avoir une grande liberté d’action. Les musulmans que j’ai côtoyés souvent disent en parlant de moi «il est à nous». Ils ont le sens du célibat. Bien sûr, ils me demandaient parfois pourquoi je n’avais pas de relations charnelles, mais ils savent ce qu’est le don total. Je reste convaincu qu’un prêtre doit se donner entièrement à sa mission.
En même temps, vous dites qu’on a voulu créer des surhommes avec les hommes d’Église. Etes-vous toujours hermétique à la notion de mariage des prêtres?
Que l’Église décide. Elle verra si des hommes mariés peuvent officier.
Le raccourci est souvent fait entre célibat des prêtres et abstinence de surface pour certains. Cela renvoie aussi vers la pédophilie dans l’Église et les abus sexuels au sens large.L’angle inverse est souvent brandi aussi: certaines personnes rejoignent des postes d’éducateurs, d’enseignants ou de prêtres pour être au plus près de victimes potentielles.
Les abus sexuels sont la chose terrible de l’Église. Mais on ne doit pas partir de là pour donner à des prêtre la possibilité de ne plus être célibataire. C’est un débat dense, profond, qui doit aborder toutes les questions de fond. L’Église avance très lentement. Elle avance, elle voit. Elle va dans la bonne direction.
L'Assemblée nationale en France est peuplée de vieux barbus de 70 ans, il faut arrêter ça! Il faut que les jeunes aiment la politique, qu'ils s'engagent. Par ailleurs, je suis favorable à un retour au septennat pour la présidence française. Il faut donner du temps au président, éviter cette course à la réélection qui mange une partie du mandat.
Vous avez dans votre vie rencontré de nombreux politiques. Quand on vise les hautes sphères politiques, il faut être humble soulignez-vous.
J’en ai connu beaucoup, c’est vrai. J’en ai apprécié certains, dont Sarko – rien à voir avec sa politique, la politique, je m’en fous, mais humainement. Il m’a beaucoup aidé avec les jeunes que j’ai guidés. Il a sorti de la merde bon nombre d’entre eux. C’est le seul président à l’avoir fait.
De quelle façon?
En trouvant un nouveau logement notamment à des mecs qui vivaient dans des espaces infestés de rats, en aidant les jeunes à se construire dans leur métier.
«Les hommes politiques devraient davantage laisser leurs équipes s’exprimer», estimez-vous. Ne le font-ils pas déjà beaucoup, parfois pour se défausser de certaines missions?
Ils doivent avoir un langage direct, des interactions plus vraies, mais aussi avoir l’humilité de laisser certains, plus spécialisés qu’eux dans leur entourage, s’exprimer. L’Assemblée nationale en France est peuplée de vieux barbus de 70 ans, il faut arrêter ça! Il faut que les jeunes aiment la politique, qu’ils s’engagent. Par ailleurs, je suis favorable à un retour au septennat pour la présidence française. Il faut donner du temps au président, éviter cette course à la réélection qui mange une partie du mandat.
Il faut voir la part de l'autre comme du cristal. L'écouter et l'accepter pleinement. Fixer les yeux d'un clochard, d'un SDF et voir sa beauté, l'humanité en lui. Laisser parler l'autre, fermer sa gueule et l'écouter.
Vous préconisez une forme de pureté dans l’engagement politique et social.
Je fréquente des hommes politiques et ils ont trop souvent la notion de la gloire en tête. Or la fonction politique est un service, pas un honneur. Quand un prêtre devient évêque, ce n’est pas un honneur mais c’est une ascension dans l’échelle de la Croix. Il faut aussi pouvoir se vouer à ses passions.
Il faut un sens de la nuance aussi, et du compromis?
Je ne me prononce pas sur les systèmes politiques nationaux. Simplement, je dis qu’il faut toujours pouvoir chercher cette part de l’autre qui est plus grande que soi, toujours trouver chez l’autre, fut-il un «ennemi», cerner le point positif, privilégier les qualités, ne pas s’appesantir sur les défauts. A faire dans l’éducation des jeunes aussi. Voir la part de l’autre comme du cristal. L’écouter et l’accepter pleinement. Fixer les yeux d’un clochard, d’un SDF et voir sa beauté, l’humanité en lui. Laisser parler l’autre, fermer sa gueule et l’écouter.
Quelle est à vos yeux la cause la plus brûlante aujourd’hui?
La terre. C’est une priorité absolue.
Un dernier mot pour les Belges?
Je le redis: soyez unis par la langue. Vous avez deux belles langues principales, il faut que chacun les comprenne… Et, puis, ce message universel, essentiel: de grâce, ne cherchez pas le pognon d’abord. Cultivez la différence et refusez l’indifférence.
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Reportage et entretien publiés dans Paris Match, édition belge du 30/03/23