Princesse Elisabeth : « J'aime l'histoire. C'est une des clés pour comprendre le présent et le futur »
Unité, complémentarité, force de la transmission. Mathilde et Élisabeth lors de leur visite de travail historique en Égypte ont livré à la presse écrite un entretien plein de fraîcheur et sans façon. Calme olympien, sérénité, regard informé, la fille aînée des souverains belges poursuit son travail d’apprentissage, nourrissant au quotidien la préparation à sa future mission.
Publié le 26-03-2023 à 12h44 - Mis à jour le 26-03-2023 à 12h54
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Jeudi 16 mars. Dayr-Al-Barsha. Un paysage aride de roches et montagnes. Il faut grimper sur des pentes escarpées, cailloux sous les pieds, pour atteindre les lieux. La vue est à couper le souffle. À l’horizon, la ligne du Nil, entre ciel et terre. La Reine et la Princesse attaqueront à leur tour ce sentier abrupt, incertain, pour accéder au site archéologique. Une équipe de la KULeuven y mène des recherches sous la houlette du professeur Harco Willems.
Après avoir mis au jour des tombes rupestres ayant appartenu à des gouverneurs de province, son équipe s’attache à documenter la décoration restante grâce aux techniques modernes, dont du scanning en 3 D. Ils étudient la manière dont l’activité humaine s’est développée au fil des siècles. Ils font appel aux meilleurs dans chaque discipline technique – les spécialistes viennent notamment d’Allemagne, de Belgique ou des États-Unis.
La presse et les équipes de sécurité, massives, sont positionnées en amont. Costumes noirs ou treillis beiges, leurs chorégraphies sont huilées et variées. Elles évoluent bien sûr selon l’ouverture du cadre, la configuration du terrain, la visibilité globale. Mathilde et Élisabeth apparaissent au loin. Silhouettes miniatures qui s’animent, s’entretiennent avec Harco Willems qui, turban sur la tête et regard flou derrière ses lunettes, a l’allure romanesque d’un savant de fiction.
Arrivées au sommet, dûment casquées, la Reine et la Princesse, toniques, font une plongée de plusieurs mètres dans une cavité. Les photographes les mitraillent. « À votre tour maintenant!» lance Mathilde à sa sortie, ample sourire aux lèvres. Mère et fille rencontrent des étudiants qui travaillent avec l'équipe de la KULeuven. Dont une Américaine, Julia Puglisi. Formée à Berkeley et Harvard, foulard dans les cheveux nattés, treillis, œil de lynx, elle évolue d'un groupe à l'autre, prodiguant sa science et partageant son enthousiasme pour ce team belge.
Une chercheuse néerlandophone nous dit avoir été impressionnée par son échange avec Élisabeth. «Elle m'a semblé particulièrement intéressée par les objets. Parmi ceux que nous lui avons montrés, il y avait un marteau. Elle m'a demandé comment nous étions sûrs qu'il s'agissait d'un marteau… Une question «très smart» que tout le monde n'aurait pas le réflexe de poser. J'ai perçu chez elle une grande vivacité…»
On trouve, de fait, chez la duchesse de Brabant, comme chez ses parents dans des domaines divers, cette curiosité naturelle, une façon d'aller au bout des choses, une volonté d'intégrer le fonctionnement de tout élément, du plus petit au plus grand. Une approche concrète et pratique aussi. Pas de questions vaines ou vagues, un intérêt nourri. Et cette question, un classique de la fonction royale : «En quoi pouvons-nous vous être utiles?» Un leitmotiv, assurent les archéologues qui les ont rencontrées.

Mathilde et Élisabeth, par leur seule présence et par leurs affinités ostensibles, cette gestuelle particulière qui les lie dans des fonctions officielles, lancent un pont vers le passé tout en préparant l’avenir. L’expression est un brin cliché, mais la réalité est là: sur les lieux du berceau de la civilisation, la reine et sa fille aînée évoluent sur ces terrains mouvants car flous, chers à l’institution monarchique, et à la fois terriblement délicats: ceux d’une filiation à visage humain, d’une transition qui se dessine largement en amont.
Tour de table
Descente dans la vallée. Retour au QG de l'équipe de la KULeuven. Une grande table de bois dans un patio ombragé. Des tissus rustiques posés sur les bancs. Le ton est donné: ancrage sur le terrain, ambiance un peu familiale, authenticité.
Mère et fille sont arrivées sur la pointe des pieds ou presque. Discrètes, se fondant dans le décor beige et ocre, strié de taches de lumière. Mathilde dans une saharienne camel ceinturée. Élisabeth en polo fluide rose et jaune citron. Baskets aux pieds. Fraîches, sans être trop apprêtées.
Elles s'entretiennent avec les journalistes présents. Un échange préparé en amont – une question par personne, des thèmes liés au périple envoyés quelques jours plus tôt au Palais. Des allures scolaires et un brin formatées pour bétonner au mieux les presque premiers pas d'une future reine. Fournir un filet de sécurité à celle qui sera un jour appelée à remplir un rôle complexe.
Cet entretien a dû se préparer dans ses rares plages de temps libre. Élisabeth suit un cursus à Oxford et répond à d'autres obligations académiques et sociales.
Ce travail en amont est donc de bonne guerre si l'on peut dire. Ce n'est pas un écueil. Nous pourrons ajouter à la trame donnée quelques questions spontanées auxquelles la reine et la princesse répondront volontiers.
Mathilde, qui a une mémoire visuelle et un sens de l'observation aiguisés connaît le nom de chaque journaliste, les présente à sa fille. Une façon de donner une texture à ses interlocuteurs, un rôle dans l'échange qui va suivre. Une manière de préparer le terrain pour la future reine, de la protéger aussi. En suggérant ce point : la relation est appelée à se perpétuer. Une confiance réciproque s'impose.
Élisabeth écoute chacun attentivement, lit les visages. Le regard est droit. L'approche fine, faite de concentration et de respect reflète cette éducation haut de gamme, tant familiale qu'académique et militaire. Discipline, concision, mémorisation. Elle a la voix assez basse, une scansion, un rythme de parole, un phrasé qui évoque celui de son père, le roi Philippe.

L'échange est direct. Les réponses sont simples, délicates aussi. «Ce sont des questions qui vont nous prendre deux heures!Tu commences ou je commence?», plaisante Mathilde en réponse à une première question sur la transmission de mère à fille. Elle reprend: « Je voudrais d'abord associer mon époux à cette réponse. C'est un voyage que nous avons préparé ensemble. On a eu cette idée il y a plus d'un an et on trouvait important de commémorer ces différents anniversaires que je ne vais pas énumérer parce que vous les connaissez. (…) En 1923, quand la reine Élisabeth est venue en Égypte pour l'inauguration de la tombe de Toutankhamon, elle était accompagnée de son fils qui avait plus ou moins ton âge… Quant à la transmission, c'est à travers des contacts quotidiens qu'on le fait. Ce sont des moments exceptionnels qu'on partage, on a peu de temps ensemble…»
La ligne historique dans une monarchie contemporaine, le «lien du sang» peut avoir du poids lorsqu'il évoque des actions de bravoure, d'ouverture, d'envergure internationale. La notoriété du personnage de la «Reine infirmière», sa créativité, le culte qui lui est voué, constituent du pain bénit pour une jeune princesse appelée à régner
Après le terrain humanitaire du Kenya, le terreau historique millénaire et l’hommage au talents belges encouragés par la reine Élisabeth, figure libre, femme audacieuse, curieuse, amatrice de sensations fortes, donnent d’autres angles d’approche et des pistes d’inspiration à la jeune princesse Élisabeth. Cette dernière est, comme on sait, rompue à de nombreuses disciplines déjà. Préparation militaire, immersion sur les approches internationales, familiarisation avec l’histoire du monde et la politique, des matières qui font partie de son cursus universitaire.
A la télévision, la duchesse de Brabant saluera les profils de son arrière-grand-mère et de sa mère. «Ce sont deux personnalités inspirantes pour moi. J'admire beaucoup la reine Élisabeth. C'était une aventurière, elle avait une passion pour l'Égypte, mais aussi pour la musique. Elle était socialement engagée. J'aimerais être comme elle plus tard. Mais j'espère aussi apprendre de ma mère. Elle est très énergique et dynamique et elle a cette passion d'écouter les gens et de mettre en valeur leur travail.»
La personnalité profondément originale, indépendante et ouverte sur le monde qu’était la reine Élisabeth, celle que l’on connaissait comme la «reine infirmière», héroïne de l’Yser, démontra la variété de son talent et l’éventail de ses passions. Son engagement était avant-gardiste. Les causes qu’elle embrassait à sa manière pouvaient sembler parfois audacieuses. Elle avait surtout une vue cosmopolite qui entendait dépasser l’horizon. Et puis ce goût des voyages et de l’exploration, un autre trait partagé par plusieurs de ses descendants.

La ligne historique dans une monarchie contemporaine, le «lien du sang» peut avoir du poids lorsqu'il évoque des actions de bravoure, d'ouverture, d'envergure internationale. La notoriété du personnage de la «Reine infirmière», sa créativité, le culte qui lui est voué, constituent du pain bénit pour une jeune princesse appelée à régner – Élisabeth porte d'ailleurs le prénom de cette illustre trisaïeule. Elle soulignera encore le côté créatif de la reine Élisabeth. «C'est vrai, c'est une figure inspirante», renchérit Mathilde.
En remettant en lumière le parcours qui fut celui de l’épouse d’Albert Ier, et son intérêt nourri pour l’Égypte antique, Mathilde et Élisabeth font un zoom sur le rôle des Belges sur ce terrain archéologique, un travail fondateur et une mission d’ampleur. Tout cela souligne aussi l’envergure internationale du pays. C’est un élément souverain, fondateur, en ces temps où l’inclusion dans un modèle global est crucial.
L'histoire est une des clés pour comprendre le présent et le futur. C'est une de mes passions très sincères – Princesse Elisabeth
Au-delà de l'intérêt strictement historique, il y a donc la vie des universités et de la recherche. Une approche du monde académique qu'a toujours favorisée la reine. Élisabeth y est sensible aussi, elle qui a rejoint les rangs des étudiants à Oxford où elle étudie l'histoire et les sciences politiques. « L'égyptologie ne fait pas partie de mon curriculum. Mais c'est une chance de pouvoir de nouveaux domaines en-dehors du cadre académique»,explique la Princesse en réponse à une question portant sur son programme universitaire.
Nous lui demandons quel métier elle aurait aimé faire si elle n'avait pas été appelée à ces fonctions. Et si l'archéologie au sens plus large aurait pu la séduire. C'est une question, lui disons-nous, qu'on aimerait sans doute poser à tous les membre de la famille royale. Elle élude un rien. «L'histoire est un domaine qui m'intéresse énormément. Je pense que c'est une des clés pour comprendre le présent et le futur. C'est une de mes passions très sincères. (…) L'histoire de Belgique aussi bien sûr». «Il y a de grands spécialistes de l'histoire de Belgique à Oxford», précise Mathilde.

Quelle image de la Belgique ont les étudiants qu'elle côtoie à Oxford notamment, demandons-nous encore à Élisabeth. Quels seraient à leurs yeux les atouts du pays? «En parlant ici avec les archéologues, il apparaît que l'égyptologie est certainement une force de la de la Belgique et du domaine académique belge», répond-elle. «Tu as aussi beaucoup de contacts avec des étudiants belges à Oxford», note Mathilde. «La reine Élisabeth a laissé de nombreuses traces en Belgique, au niveau de l'égyptologie, dans la sphère musicale, dans son engagement social. Je pense que c'est assez exceptionnel. Elle avait tout de même une grande audace. Pouvoir monter sur ces rochers, ce n'est pas mal! (…) C'est une occasion unique de mettre l'expertise de l'archéologie belge en valeur. Hier on a eu l'occasion de parler avec des autorités égyptiennes dans le domaine archéologique, dont le professeur Hawass et le directeur des Antiquités. Ils sont élogieux quant à la collaboration avec les universités belges. Il est important de mettre en valeur tout ce qui se fait pour rapprocher nos deux pays.»
Chemise de jean délavé, chapeau de cow-boy, look d’aventurier à la Indiana Jones, Zahi Hawass, le flamboyant archéologue, qui fut notamment ministre égyptien des Antiquités en 2011, a déjà rencontré la famille royale. Il attendait la veille la Reine et la Princesse devant l’entrée de la tombe de Toutankhamon, se préparant à les guider à la Golden City, la « cité d’or perdue de Louxor», découverte qu’en septembre 2020. Rappelons qu’à l’exception de l’incontournable tombeau de Toutankhamon, privatisé pour l’occasion, et d’un passage à la Golden City, les lieux où se sont rendues la Reine et la Princesse s’intègrent dans des projets belges pointus.
Il n’est pas de pays sans le monde qui l’entoure
Cette visite en Égypte est bien sûr, une ouverture sur le monde. Une plateforme imparable pour valoriser les talents belges sur place, soutenir les projets, stimuler la créativité, la recherche, l'entreprise. Remettre l'accent ensuite sur le territoire belge. Aller en quelque sorte du plus grand au plus petit, proposer des aller-retours permanent entre l'ailleurs et l'ici.
Ces recherches de terrain archéologiques sont traversées par ces notions qui sont prisées au sommet de l'État: travail, ouverture sur le monde, transition avec le passé, continuité. De ces récits d'ampleur qui donnent à la Belgique un relief international, et lui permettent par ricochet de se recentrer sur ses forces vives.
Au-delà des aspects historiques du périple, c'est la fibre familiale et humaine qui a été mise en lumière. En éclairant le travail de ces équipes d'égyptologues belges et la personnalité de la reine Élisabeth, Mathilde et sa fille aînée ont accompli une mission clé: montrer, dans la mesure qui sied à la fonction, l'empowerment au féminin. La Princesse, lorsqu'elle sera appelée à assumer la fonction qui l'attend aura pu cumuler expériences et connaissances, ciseler ce rôle de cheffe d'État au cœur de l'Europe. Une porte ouverte sur le globe.
Elle l'a appris de longue date. Il n'est pas de pays sans le monde qui l'entoure. Mais elle sait aussi qu'il est crucial, dans sa mission, de recentrer les choses sur la Belgique.
Les termes sont soigneusement pesés. Rester ouvert et neutre. Avec ce regard qui absorbe, englobe sans juger.
A une question portant sur une mission accomplie par Mathilde lorsqu'elle était étudiante, du bénévolat dans les bidonvilles du Caire, et sur sa perception de cette approche, Élisabeth répond que «le bénévolat, c'est quelque chose de très important. Qui a fait partie de ma vie et qui continuera à en faire partie. En Belgique et ailleurs. Je pense qu'il est important de voir la vie des gens qui sont dans différentes situations dans d'autres pays. Mais c'est tout aussi important de le voir en Belgique (…) J'en ai fait notamment au Pays de Galles. L'accent était mis sur la «community», du bénévolat dans l'environnement immédiat de l'école.» Les termes sont soigneusement pesés. Rester ouvert et neutre. Avec ce regard qui absorbe, englobe sans jugement apparent.

Quant à l'attention médiatique, déjà monumentale, qu'elle vit – notamment lors de cette visite de travail -, questionnée sur ce poids qu'elle va être amenée à porter des décennies durant, elle en relativise les effets. Rappelle aussi que ce n'est pas sa première mission publique à l'étranger – il y eut le voyage au Kenya effectué en 2019 au côté de Mathilde dans le cadre de ses fonctions de présidente d'honneur d'Unicef Belgique. «J'avais vécu cela (cette médiatisation) un peu au Kenya. Donc ce n'était pas la toute première fois. C'est progressif. On s'y habitue petit à petit. Ce n'est pas un choc de zéro à cent mais c'est une chose avec laquelle on grandit, je dirais.» «Étape par étape», glisse Mathilde.
La Reine, dans une pirouette élégante, esquive une demande de photo et interroge à son tour ses interlocuteurs. Elle demande aux journalistes qui suivent de longue date la famille royale de citer quelques souvenirs des événements auxquels ils ont assisté. Chacun d'évoquer alors l'une ou l'autre anecdote vécue lors d'une visite royale, comme cette attente à l'hôpital Érasme durant les heures qui précédèrent ou suivirent la naissance d'Élisabeth. «Vous pourriez faire un livre tous ensemble avec ce que vous avez cumulé comme expérience!», commente la reine.
La princesse de 21 printemps semble absorber consciencieusement le contenu qui lui est donné. Au fil de l'entretien, elle garde un naturel imparable. La mise sur le gril n'est que menue monnaie face aux exercices militaires de terrain. Ses traits restent sereins.