Daft Punk c'est fini, nous les avions rencontrés en 2013: "On continuera tant que ça nous plaira à tous les deux"
Après l'annonce de la séparation des Daft Punk, retour sur l'une des (très) rares interviews du duo... Avec Rétro Match, suivez l’actualité à travers les archives de Paris Match.
Publié le 23-02-2021 à 11h25 - Mis à jour le 23-02-2021 à 15h59
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Après l’annonce de la séparation des Daft Punk, retour sur l’une des (très) rares interviews du duo… Avec Rétro Match, suivez l’actualité à travers les archives de Paris Match.
D'après un article Paris Match France deAurélie RayaetBenjamin Locoge
L'onde de choc est digne du beat de « Rollin' and Scratchin' »… C'est par une vidéo énigmatique postée sur les réseaux sociaux, sobrement intitulée « Epilogue », que les Daft Punk viennent d'annoncer lundi leur séparation.Fer de lance de la French Touch, le duo était depuis le tonitruant et abrasif « Homework » en 1997, l'une des plus fameuseset des plus influentes formations de musique électronique. Un statut solidifié par trois albums plus pop au succès planétaire, « Discovery » (2001), « Human After All » (2005), et finalement « Random Access Memories » (2013), qui avec le tube « Get Lucky », offrira aux Daft Punk quatre prestigieux Grammy Awards.
Cela faisait quatorze ans que Thomas Bangalter et Guy-Manuel de Homem-Christo, amis depuis le lycée, ne s’étaient plus produits en concerts, sinon pour quelques apparitions lors de cérémonies télévisées. Une absence doublée d’une grande discrétion médiatique, et cette part de mystère adoptée dès leurs débuts, avec leurs visages dissimulés sous des casques de robot.En 2013, les Daft Punk avait donné un rendez-vous rare à notre magazine : une interview avec nos journalistesBenjamin Locoge et Aurélie Raya, et une séance photo dans les rues de Los Angeles, signée SébastienMicke.
Voici l’interview des Daft Punk,telle que publiée dans Paris Match en 2013…
Daft Punk brise la glace
Un entretien avec Benjamin Locoge et Aurélie Raya. PhotosSébastienMicke.
Depuis vingt ans, le duo français révolutionne la musique électronique. Déjà numéros un des ventes en Angleterre avec leur nouveau single « Get Lucky », ils publient cette semaine leur quatrième album coup de poing, sans pour autant tomber le masque. Entretien rare…
Dire que ce disque est attendu est un euphémisme. Depuis « Human After All » en 2005 et l’immense tournée internationale qui avait suivi, Daft Punk semblait en sommeil. Hormis la bande originale du film « Tron » pour Disney, le duo parisien semblait ailleurs. Séparés ? Retraités ? Thomas Bangalter et Guy-Manuel de Homem-Christo ne sont pas du genre à raconter leur vie sur Facebook ou sur Twitter. Non, les Daft travaillaient, tels des chercheurs voulant une fois encore innover et surprendre. Pour « Random Access Memories », ils ont ressorti les vinyles de leur enfance, ceux de Michael Jackson, de Kool & The Gang. Les chantres de la musique robotique ont compris qu’ils avaient besoin de vrais musiciens pour incarner leurs nouveaux titres. L’album est plus que réussi. Dansant, intelligent, technologique et vivant, il permet à Daft Punk de continuer à régner sur la musique française.

Paris Match. On vous croyait séparés, fâchés. Que faisiez-vous depuis huit ans ?
Guy-Manuel de Homem-Christo. Je n'avais pas entendu les rumeurs de séparation… car on arrête très rarement de travailler…
Thomas Bangalter. Après notre tournée en 2006-2007, nous avons commencé à bosser sur des morceaux. Puis nous avons vite eu l'opportunité de faire la bande originale du film "Tron" pour Disney. C'était un challenge nouveau, nous avons accepté sans savoir que cela nous prendrait autant de temps.
G.-M. "Tron" nous a demandé deux ans de boulot. Mais nous sommes toujours pris par la musique, nous n'avons jamais fait de break.
Th. Depuis nos débuts, en 1993, on ne supporte pas de ne rien faire. Quand nous travaillons sur un projet, nous ne sommes jamais sûrs de pouvoir le commercialiser. Mais chaque expérience nous enrichit. Je nous vois vraiment comme des chercheurs qui lancent différentes pistes.
Certaines aboutissent, d'autres pas.
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Comment est venu le son très seventies du disque ?
Th. C'est une intuition. On travaille en circuit fermé. Nous n'avons jamais essayé de concrétiser l'attente d'un public. A partir de là, c'est comme si on entrait dans un cinéma. Le rideau s'ouvre, l'écran est blanc et on imagine le film que l'on aimerait voir. Cette fois, notre envie première était de remplacer la boîte à rythme par un batteur, d'aller vers des choses moins électroniques.
G.-M. Il y a trois batteurs sur le disque, dont John JR Robinson qui a joué avec Quincy Jones sur "Off The Wall" et "Thriller" de Michael Jackson. Et il y aussi Omar Hakim, qui a débuté avec Stevie Wonder quand il avait 16 ans. Ce sont des requins de studio des années 70-80, les meilleurs musiciens de cette époque. Et ils étaient sur les albums de notre enfance.
Th. Notre but était également de continuer à créer notre musique mais de changer les moyens d'interprétation et de production.
Etiez-vous lassés de la musique électronique ?
Th. Non, mais nous voulions composer un disque que nous n'avions pas encore fait. A nos débuts, on s'est battus pour démontrer qu'on pouvait produire un album à la maison. Maintenant, c'est devenu presque la norme. Or, on ne réussit pas tout soi-même. Un film comme "Le projet Blair Witch" se monte peut-être avec 2 000 dollars, mais doit-on pour autant renoncer aux films ambitieux ? Non. Notre envie était de faire à nouveau une musique un peu magique.

« La pop est devenue uniforme. Les ordinateurs ont pris le dessus sur l’humanité » Guy-manuel
On sent les influences de Michael Jackson, Kool & The Gang… Vous vous inspirez quand même d'artistes qui ont vendu beaucoup de disques…
Th. Vu ce qu'il s'est passé dans le monde de la musique ces cinq dernières années, on a plutôt l'impression d'être totalement déconnectés du reste du monde… On a réalisé un disque optimiste, coupé du temps et de la morosité actuelle. On est loin du truc formaté dans la pop actuelle, qui tourne un peu en rond, et qui ne sonne pas du tout comme la musique contemporaine.
G.-M. Quand on crée, on ne se rend pas compte de ce qui se passe autour de nous.
Th. On a juste l'impression d'apporter une proposition musicale à l'opposé du contexte actuel. Mais nous sommes des perfectionnistes, tout cela nous prend des années…
Que reprochez-vous au contexte actuel ?
G.-M. Le mainstream est assez pauvre… Même s'il y a plein de bons groupes.
Th. Qui ne passent pas à la radio.
Phoenix ? Lana Del Rey ?
Th. Ils restent des exceptions.
G.-M. La pop en général a un son uniforme, pareil pour le hip-hop ou l'électro. Les ordinateurs ont pris le dessus sur l'humanité…
"Get Lucky" est devenu un tube dès sa sortie. C'est ce que vous recherchiez ?
Th. On ne fait pas de la musique pour vendre des disques. Si c'était le cas, on aurait sans doute sorti plus d'albums, on aurait voulu être plus populaires…
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Mais vous donnez l'impression de bien maîtriser la machine de la communication, entre votre image très contrôlée, les teasers bien envoyés ici ou là…
Th. Daft punk n'est pas une machine !
G.-M. Dans les années 70, pour la sortie des gros albums, on communiquait toujours par des affiches ou des pubs télé. On a repris un truc qui était déjà là. Ça donne peut-être l'impression d'être partout, mais ça, on n'y peut rien. Nous avons un budget beaucoup moins conséquent qu'une marque de parfums ou de chaussures !
Th. Je n'accepte pas que vous sous-entendiez que nous sommes une machine bien organisée ou que nous faisons de la musique pour vendre des disques. C'est vraiment un esprit français de penser ainsi… En sortant quatre albums en vingt ans, j'estime qu'on a fait preuve d'une intégrité artistique maximale. Nous n'avons pas surfé sur la vague. En France, il y a toujours un tel cynisme… Si on avait fait un disque électro, on nous aurait accusés d'opportunisme…
Mais on vous pose des questions ! Votre disque est super réussi.
Th. Peut-être, mais vos questions sont biaisées. On organise la sortie du disque à notre manière. Nous communiquons peu, ce qui a toujours été le cas, et, effectivement, quand on lâche quinze secondes de musique, on a l'impression d'être l'oncle du dîner de famille. Celui qui ne parle jamais mais, quand il se met à parler, tout le monde l'écoute. Notre rythme de communication, c'est tous les cinq ans, voire tous les huit ans, alors que la plupart des artistes c'est toutes les cinq minutes sur Twitter ! Alors oui, l'effeuillage de notre musique avant la sortie du disque, c'est l'idée du désir, de la séduction. Nous, notre désir après l'effondrement de l'industrie du disque, c'est d'être remarqués et écoutés. On fait les choses de façon bien plus artisanale que vous ne l'imaginez… Ce disque s'est préparé sans label, de manière totalement autoproduite. Nous ne sommes définitivement pas une machine, même si c'est ironique de dire cela en nous présentant comme deux robots…

« On est lents, déconnectés… Etonnant pour des robots, non ? » Thomas
Quel est votre quotidien ?
Th. Le quotidien, c'est comme celui d'un sculpteur qui va dans son atelier et qui essaie des trucs. Un artiste, c'est quelqu'un de marginal qui a une vie déconnectée de la réalité.
Donc la politique française ne vous intéresse pas ?
Th. On ne donne pas notre avis, c'est tout. Nous ne sommes pas des donneurs de leçons, nous n'avons pas d'idées prémâchées sur le monde dans lequel on vit.
G.-M. C'est déjà assez dur de s'occuper de soi-même.
Dès qu'on parle de réussite française à l'international, on cite généralement Daft Punk. Cela vous touche ?
Th. Remettons un peu les choses à leur place. On a eu des gros succès en 1997 et en 2001. Et c'est tout. Depuis, certains artistes français vendent beaucoup plus que nous.
G.-M. C'est assez abstrait pour nous. On n'est pas collés devant la télé, on ne lit pas trop les journaux. En ce moment,
j'ai l'impression qu'on parle plus de Phoenix que de Daft Punk. On me dit que notre single passe partout mais, personnellement, je ne l'ai pas entendu…
Th. On est dans un autre rythme biologique que celui de la rapidité dans laquelle avance le monde. On est lents, déconnectés… Etonnant pour des robots, non ?
Daft Punk, ça va durer encore longtemps ?
G.-M. On a la chance depuis le début de ne faire que ce dont on a envie. On a osé essayer et on continuera à le faire tant que ça nous plaira tous les deux. Peu importe les ventes…
Th. On est contents de n'avoir honte de rien. Dans le showbiz, dans la politique, on a toujours l'impression qu'il faut se compromettre à un moment ou à un autre. Nous, cela ne nous ait jamais arrivé. On a toujours opté pour ce que l'on ressentait, ce que l'on aimait vraiment. Contrairement à ceux qui ont un objectif et qui sont prêts à tout pour l'atteindre, nous, nous n'attendions rien, si ce n'est de faire de la musique au jour le jour. En cela, rien n'a changé depuis vingt ans.

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