Quand la culture de sésame décime les forêts tanzaniennes
Au sud de la Tanzanie, la culture de sésame est devenue la cause principale de déforestation. Des hectares de terrains forestiers sont brûlés chaque jour au profit des vergers de sésame.
Publié le 07-04-2017 à 11h48 - Mis à jour le 07-04-2017 à 11h57
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Dans le village de Nanjirinji A, au sud de la Tanzanie, degros troncs d’arbres dépassent du sol, certains se consomment encore lentement. Abritant autrefois une forêt prospère, la région de Lindi a progressivement perdu de sa verdure. Ses arbres verdoyants, dont certains sont âgés de plus de 50 ans, sont brûlés chaque jour au profit desvergers de sésame.
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Lademande internationaleen hausse
Figurant parmi ses plus grands exportateurs, la Tanzanie est le pays africain qui produit le plus de sésame, d'après les derniers chiffres de l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture. Produit pour faire de l'huile, de la farine mais aussi très prisé pour ses propriétés thérapeutiques, le sésame y est précieux, particulièrement pour les ménages qui vivent dans la région côtière de Lindi. Selon une étude, 44 000 familles font pousser du sésame au Lindi et dans la région voisine de Mtwara, soit environ 12% de tous les ménages agricoles.

En hausse, la demande internationale a fait grossir le marché du sésameen Tanzanie. En 2016, les fermiers ont commencé à subir la pression des exportateurs locaux avec l’obligation deproduire davantage de sésame. Critiquée pour avoir manqué certaines opportunités commerciales – notamment par le directeur de l’Autorité du développement du commerce du pays (TanTrade), Edwin Rutageruka – la Tanzanie s’est mise à produire plus de sésame. À elles seules, les régions du Lindi et de Mtwara – ayant une capacité d’export de près de 450 000 tonnes de graines de sésame, selon M. Rutageruka – ont été les premières visées pour répondre à la demande grandissante.
Quand le sésame empiète sur la forêt
En 2012, une étude estimait que le taux d’expansion agricole s’élevait à 5% chaque année dans la région, alors que la culture de sésame est particulièrement destructrice pour l’agriculture de la région, selon le Mpingo Conservation Development Initiative (MCDI). De plus en plusd’agriculteurs étrangers envahissent la région, à la recherche de terres fraîches pour cultiver la petite graine. Afin d’installer leurs vergers – qui ne seront utilisablesque pour deux ou trois saisons – ilsbrûlent clandestinement les zones forestières, favorisant les terrains vierges qui offrent un sol plus fertile, plus facile à travailler et nécessitant peut d’entretien. Chez les fermiers locaux, on pense également que la production est bien meilleure sur les terrains vierges.
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Juste derrière les noix de cajou, le sésame estla deuxième graine la plus lucrative de la région etpromet un business plutôt juteux,les agriculteurspouvant gagner entre 190 et 380 euros par demi-hectare. La perspective de nouveaux espaces de croissance est en plein essor. Car avecl’augmentation actuelle du prix du sésame, de plus en plus d’agriculteursrecherchent de nouveaux terrainspour le cultiver, notamment dans les zones forestières protégées.
Le bois tanzanien, l’un des plus précieux au monde
La façondont les agriculteurs de sésame cultivent le sol est égalementnéfaste pour la flore locale. Beaucoup pénètrent illicitement les zones forestièreset détruisent certainesespèces d’arbres rares que l’on ne trouve que dans ces zones, comme l’ébène du Mozambique, l’iroko ou la panga panga.Ces bois tanzaniens sont considérés comme les plus précieux au monde, souventutilisés pour fabriquer des instruments de musique comme la clarinette, le hautbois, les cornemuses mais aussi pour les meubles, le parquet ou la joaillerie.

La région de Lindi n'est pas la seule dans cette situation, la culture de sésame proliférantà travers tout le pays. Sur les cinq dernières années, une légère hausse des prix et un marché en croissance ont poussé davantage d'agriculteurs à se tourner vers l'agriculture de sésame, selon l'association Farm Africa. «Le prix du sésame ne cesse de grimper, les agriculteurs sont donc très intéressés pour en faire du profit», explique l'ONG soulignant qu'àforce de brûler les terrains, «la fertilité du soldiminue très rapidement par rapport à des terrains de culture normaux».
Une situation devenue «désastreuse»
En janvier dernier, le Premier ministre tanzanien Kassim Majaliwa– également un membre du Parlement de la région – avertissaitles populations de la région que si elles continuaient à contribuer à la déforestation, les zones humides deviendraient bientôt deszones semi-arides.
L'agriculture de sésame est devenue désastreuse. Depuis que les agriculteurs abattent les arbres,il n'y a plus d'eau dans la région.
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Pour sensibiliser les consciences, le Premier ministre a évoqué l'exemple dubassinde Mbwemkuru qui ne s'est jamais asséché au fil des ans etqui actuellement, «se transforme en une simple source d'eau saisonnière». Un phénomène encore nouveau mais dont lele processus s'accélère d'année en année.

Première cause de déforestation
Devant ces préoccupations, le comité des ressources naturelles du village de Nanjirinji A a déployé des patrouilles dans les zones forestières pour stopper les agriculteurs clandestins.Le président du comité a assuré qu’il luttait également pour contrôler toute la région afin de calmer lestensions existantes entre agriculteurs et villageois.
Même si on ne connait pas encore lenombre d'hectares de forêts détruits au profit dela culture de sésame, une récente étuderéalisée par la Tanzania Forest Services Agency souligne que depuis son essor, l'agriculture de sésame est devenue la cause principalede déforestation. Pour l'agence tanzanienne,il esturgentd'éduquer les agriculteurs à la conservation de leur terres, leur apprendre un type d'agriculture plus durable afin degarantir l'avenir de l'agriculture locale.
Source : Mongabay