Iran : le lac d'Ourmia, autrefois parmi les plus grands lacs salés au monde, est en train de disparaître

Celui qui était il y a vingt ans le sixième plus grand lac salé du monde est en train de disparaître. Victime de la politique de construction de barrages tous azimuts des années 1990, cet ancien lieu de villégiature prisé des touristes est devenu un désert de sel. Le président Hassan Rohani avait promis de le sauver mais il tarde à s'attaquer au problème. En attendant, la population locale affronte des tempêtes de sel de plus en plus fréquentes et regarde son agriculture mourir.

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Jadis le sixième plus grand lac salé au monde, le lac d’Ourmia et ses habitants subissent les conséquences du réchauffement climatique.

D'après un article PARIS MATCH FRANCE de Florent Detroy

Devant le panneau «Le petit Paris» gisent quelques carcasses de bateaux rongés par le sel. Sur une coque lépreuse on peut lire: «Chambre pas chère, avec jardin». Ce village surnommé d’après la capitale française, situé sur les rives du lac Ourmia, était autrefois un des hauts lieux touristiques de la région. «Ici, les touristes venaient faire la fête ou profiter des eaux aux vertus thérapeutiques. Ils allaient aussi sur l’île au milieu du lac pour chasser», explique Sina, un habitant qui venait ici se baigner dans les années 1990. Aujourd’hui, les eaux se sont retirées à plusieurs centaines de mètres pour laisser place à des pontons avançant dans le désert.

Le lac d’Ourmia était autrefois un des plus grands lacs salés du monde.Mais le réchauffement climatique et une activité agricole intensive l’ont progressivement privé de son eau. De 5000 kilomètres carrés initialement, sa surface est aujourd’hui tombée à 2000. Le niveau a baissé de 8 mètres entre 1995 et 2015. Cet assèchement est allé de pair avec une salinisation accélérée de ses eaux qui atteignent désormais un taux proche de 30%. Une concentration telle que toutes les espèces de la région, des flamants roses aux pélicans, ont fui. «Au-dessus de 240 grammes de sel par litre d’eau, aucun animal ne peut survivre», explique Hossein Shahbaz, directeur du programme de restauration du lac. Seule la crevette, «Artemia urmiana», du nom même du lac où elle fut découverte, y est encore observée.

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Aujourd’hui, grâce à l’arrivée de visiteurs venus de la ville voisine de Tabriz dans la province d’Azerbaïdjan oriental, l’activité touristique se maintient tant bien que mal.La région se partage le lac avec celle d’Azerbaïdjan occidental, dont la capitale, Ourmia, se situe à 140 kilomètres. «Les habitants d’Ourmia préfèrent rester dans leur piscine », explique Sina. Les plages ne sont pas attirantes. Au pied du pont qui traverse le lac d’est en ouest, quelques familles ont installé leurs serviettes sur les croûtes de sel pour barboter dans cette eau chaude et salée ou faire des châteaux de sel. Un père réprimande son enfant car celui-ci lui a envoyé de l’eau dans les yeux: à 30% de sel, brûlure garantie. Ce dernier été, le taux de salinité a atteint un niveau si élevé que les eaux sont devenues rouges. La salinité et la chaleur ont provoqué des modifications chimiques qui ont fait proliférer algues et bactéries.

Les minéraux sont utilisés en toute impunité par le secteur de la construction

De l’autre côté du pont, les pédalos échoués voisinent avec les pelleteuses qui s’activent. Au milieu d’un désert de sel, elles retirent des quantités de terre qu’elles basculent dans des camions. «Ce sont les sociétés de constructions de l’Azerbaïdjan oriental qui exploitent la silice, le magnésium et le lithium de ce désert, explique Ahmid, membre du comité de restauration du lac. Mais elles n’ont théoriquement pas le droit de faire ça.» Les minéraux sont utilisés en toute impunité par le secteur de la construction. Pourtant cette exploitation apparaît comme une piste de diversification des activités économiques à Ourmia, pour réduire ainsi l’agriculture dans la région. A la question de savoir si les ressources en magnésium et en lithium du lac sont suffisantes pour attirer des compagnies minières internationales, notre interlocuteur devient plus catégorique. «Ces types de matériaux peuvent être utilisés dans la construction de bombes nucléaires: ils resteront donc iraniens.» Etrange destin de ce lac qui autrefois faisait la fierté des habitants de la région…

Le tourisme souffre de l’assèchement. Mais ce n’est pas le seul secteur touché. ©Belga
Le tourisme souffre de l’assèchement. Mais ce n’est pas le seul secteur touché. ©Belga

Les raisons de cette sécheresse remontent aux années 1970.Le gouvernement du shah souhaite alors moderniser cette région, et lance la construction de barrages avec l’aide notamment de la filiale iranienne de la société française Scet. L’objectif est de bâtir une série de barrages pour fournir de l’électricité aux villes et à une industrie naissante. La politique est stoppée dans les années 1980, alors que l’Azerbaïdjan occidental est aux avant-postes de la guerre Irak-Iran. Dans les années 1990, la République islamique reprend l’édification de barrages. L’objectif du régime est alors de promouvoir l’agriculture. «De jeunes révolutionnaires allaient dans les zones rurales pour aider les paysans à développer leur agriculture. L’idée était de transformer les campagnes pour la révolution islamique, alors qu’elles étaient traditionnellement plus royalistes», explique Bernard Hourcade, géographe spécialiste de l’Iran. Le manque de fonds conduit à multiplier les petits barrages.

Dans le désert au nord-ouest, on tente de stopper l’érosion en cultivant des plantes. ©Belga
Dans le désert au nord-ouest, on tente de stopper l’érosion en cultivant des plantes. ©Belga ©© JanPietruszka - creative.belgaimage.be

Cette nouvelle abondance en eau pousse les agriculteurs à abandonner des cultures comme le raisin pour se tourner vers d’autres, plus rémunératrices, comme les fruits ou les betteraves, mais plus consommatrices d’eau.La part des vergers sur la totalité des cultures de la région passe alors de 16% à 30% entre 1994 et 2006. Les agriculteurs creusent des puits. C’est le début d’une fuite en avant, qui fait exploser le nombre de puits illégaux. Ils passent de 64400 en 2002 à 107000 en 2012. Les agriculteurs finissent par installer leurs pompes directement dans le lit des rivières censées alimenter le lac en eau douce. Résultat, les arrivées d’eau baissent brutalement. Elles sont réduites de 70% pour la rivière Aji Chai par exemple, une de celles qui alimentent le lac dans le nord du pays. Aujourd’hui, la moitié des puits sont illégaux dans la région. «Selon l’Onu, il faudrait que nous consommions moins de 20% des ressources renouvelables en eau. Malheureusement nous en consommons 70% actuellement», explique Hossein Shahbaz. L’agriculture a aujourd’hui acquis un poids démesuré pour la région en absorbant 89% de ses ressources en eau, mais elle ne fournit que 15% de son PIB.

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La mort lente du lac a ceci de paradoxal que c’est en Iran qu’a été signée la convention onusienne pour protéger les zones humides, dite «convention de Ramsar», dans la ville iranienne du même nom, en 1971. La catastrophe finit toutefois par émerger au niveau international lorsque la communauté scientifique commence à évoquer la disparition du lac. Le lieu reçoit une visibilité inespérée lorsque Leonardo DiCaprio reprend sur Instagram une photo du lac asséché au printemps 2016. La situation attire l’attention des Iraniens, effrayés par la disparition de tout un écosystème. Le sujet émerge sous la présidence de Mahmoud Ahmadinejad et s’impose au coeur de la présidentielle iranienne de 2013.

Leonardo DiCaprio s’engage pour Ourmia

Parmi les promesses de campagne de Hassan Rohani, qui remporte l'élection, celle de sauver le lac.Il met sur pied un comité national, lequel s'attaque aux tempêtes de sel, qu'il veut réduire en plantant des plantes halophytes afin de stopper l'érosion et retenir le sel et le sable. Nous visitons un de ces déserts responsables des tempêtes au nord-ouest du lac, à Jamalabad. C'était autrefois une des plus belles plages de sable de la zone, où les eaux étaient peu profondes. Aujourd'hui, c'est un vaste désert qui avance de 60 mètres par an. Le comité, aidé par la FAO, l'Organisation de l'Onu pour l'alimentation et l'agriculture, a couvert une bande de désert de 500 hectares de plantes halophytes. Amin et Reza, deux gardes forestiers à moto, sont chargés de surveiller et d'entretenir le site. «Nous patrouillons deux fois par jour, notamment pour éviter que les habitants viennent chasser ou abîmer le site. L'endroit est dangereux: il y a un an, un homme s'est fait attaquer par un ours», explique Amin. Les deux gardes prennent leur mission très au sérieux, même si leur action peut sembler dérisoire face à l'immensité du désert qui les entoure.

Pour enrayer la progression du sel, certains agriculteurs pratiquent l’irrigation au goutte à goutte ©Belga
Pour enrayer la progression du sel, certains agriculteurs pratiquent l’irrigation au goutte à goutte ©Belga ©© Stephen Coyne - creative.belgaimage.be

Le comité a également décidé de suspendre la construction de tous les barrages et entamé une politique de dragage des rivières. Il s’est surtout attaqué aux techniques d’irrigation des agriculteurs, avec l’objectif d’améliorer de 60% l’efficacité de leurs méthodes. Dans une région où les températures peuvent facilement atteindre près de 40 °C, les paysans continuent d’inonder leurs champs pour l’arrosage! Le comité leur enseigne la méthode du goutte à goutte, qui fut pratiquée en Iran il y a des siècles. Pourtant, ceux qui acceptent de modifier leurs habitudes restent rares. Beaucoup soutiennent une théorie farfelue de l’ancien président Ahmadinejad: la sécheresse du lac serait le fait des gouvernements occidentaux, qui auraient réussi à empêcher l’arrivée de nuages sur cette région pour assécher le lac! Ainsi, malgré le risque de voir leur lac mourir, nombreux sont ceux qui appuient la construction de nouveaux barrages pour leurs cultures.

Le lac d’Ourmia est en train de connaître le même sort que la mer d’Aral, en Asie centrale, restée le symbole de la surexploitation des ressources hydriquespar une politique agricole ou industrielle forcenée. Il doit servir d’électrochoc en Iran, car la mauvaise gestion de l’eau est un fléau dans le pays. Plusieurs villes y sont déjà confrontées, comme Bandar Abbas dans le sud. Et deux des lacs du Fars, ceux de Bakhtegan et de Maharloo, situés dans le sud-ouest, sont déjà asséchés. La faute à une consommation par habitant supérieure à celle de certains pays européens, à une agriculture par irrigation surdéveloppée, et à une absence totale de gestion.

D’ici à 2023 le comité de restauration du lac d’Ourmia s’est fixé comme objectif de faire remonter le niveau de 3 mètres, à 1274,1 mètres. Ses membres sont conscients que le lac ne retrouvera jamais son niveau d’antan. Cependant, à cette altitude, il retrouverait un niveau écologique, capable d’attirer les pélicans et les flamants roses, tout en fournissant les ressources hydriques indispensables au maintien de l’activité agricole. La réussite du projet serait surtout un exemple pour tout un pays confronté au défi de faire décoller la croissance économique tout en installant les bases d’une gestion plus durable de ses ressources.

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Les pelleteuses ont remplacé les pédalos

Les experts iraniens ont imaginé plusieurs moyens de renflouer le lac d’Ourmia. Une des solutions consisterait à faire venir de l’eau d’ailleurs via un canal. Si des projets ont évoqué l’utilisation des eaux d’un fleuve irakien situé dans une zone limitrophe de l’Iran, la région de Piranshahr, ou du détournement de celles du lac turc Van, un projet évoque la possibilité de créer un canal entre le lac d’Ourmia et la mer Caspienne. Pas sûr, toutefois, que les défenseurs de l’écologie se satisfassent de l’arrivée de cette eau tant sa qualité a été critiquée ces dernières années. Car la mer Caspienne, que l’Iran partage avec les quatre autres Etats riverains de la mer, le Turkménistan, le Kazakhstan, la Russie et l’Azerbaïdjan, est l’autre drame environnemental qui touche la région. Selon l’institut iranien de recherche écologique, 120000 tonnes d’hydrocarbures y sont déversées chaque année, ainsi que des tonnes de métaux lourds et divers autres types de polluants provenant des villes frontalières. Si l’Iran n’est pas le principal responsable de cette situation (aucun gisement de pétrole n’est situé sur la zone économique exclusive du pays), il est une des principales victimes de la pollution avec l’effondrement de la population d’esturgeons dans la mer, donc de la production de caviar sauvage. L’essor de l’activité pétrolière à partir des années 1990 aurait contribué à détruire 90% des zones de reproduction des esturgeons, selon la Banque mondiale. Protégé à partir de 1998 par une convention internationale, pour autant il n’est pas revenu dans «sa» Caspienne. Pourquoi ? A cause de la pollution et de la pêche illégale qui capture les poissons trop jeunes et enraye la reproduction. En 2008, les cinq pays riverains s’étaient entendus pour interdire la pêche à l’esturgeon. Le caviar sauvage est officiellement interdit depuis lors. Officiellement.

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